Publié le 10 Mar 2019 - 17:22
EN PRIVE AVEC FATOU KINE SENE, PRESIDENTE DE LA FACC

‘’Je suis pour le mérite…’’

 

Journaliste à l’Agence de presse sénégalaise (Aps) après une dizaine d’années passées à ‘’Walfadjri’’, Fatou Kiné Sène est très bien connue dans le monde culturel dakarois. Dans l’univers du septième art, sa notoriété dépasse nos frontières. Lors du dernier Fespaco, elle a été élue présidente de la Fédération africaine des critiques de cinéma (Facc). Elle est la première femme à occuper ce poste, depuis la création de l’organisation. Elle est, parallèlement, présidente de l’Association sénégalaise des critiques de cinéma (Ascc). Une femme battante qui s’impose dans ce milieu. Ici, elle décline ses ambitions pour l’organisation qu’elle dirige désormais.

 

Plus d’une dizaine d’années dans la critique cinématographique en Afrique. Aujourd’hui, vous êtes la première femme élue à la tête de la Facc, après Baba Diop et d’autres. Quelle est votre première réaction ?

Cela fait 12 ans que je suis dans la critique africaine. J'ai participé au premier atelier de la Facc à Ouagadougou, pendant le Fespaco, en 2007, et c'est à partir de là que la Facc a jeté les bases de formation pour les critiques africains. La Facc a été créée en 2004 à Tunis, lors des Journées cinématographiques de Carthage (Jcc). Les membres fondateurs, Olivier Barlet, Baba Diop, Thierno Ibrahima Dia, Clément Tapsoba et l'Association tunisienne des critiques ont voulu intéresser d'autres jeunes journalistes culturels à la critique cinématographique, car il y en avait très peu sur le continent. La Facc a eu comme président Clément Tapsoba (2004 à 2008) du Burkina Faso, Baba Diop (2009 à 2012) du Sénégal et Khalil Demmoun (2013 à 2018) du Maroc. Là, je suis élue pour un mandat de 3 ans. J'étais la seule candidate, lors de l'élection. Mes camarades ont eu confiance en moi, pour ce poste. J'étais très contente après mon élection et j'ai mesuré à sa juste valeur la mission qui m'attend, surtout avec les nombreux acquis du bureau sortant dont je faisais partie, car j'étais secrétaire générale adjointe du bureau. 

La Facc est confrontée à différents problèmes. Quels sont, pour vous, les défis que la fédération doit absolument relever ?

Le premier défi est celui de son maillage sur tout le continent. Car les productions cinématographiques africaines ont besoin d'un regard critique et panafricain. Nous comptons contribuer à la valorisation de cette production des cinémas africains. Le pôle arabophone de la Facc est très dynamique, avec des critiques les plus anciens d'ailleurs, des universitaires marocains, tunisiens, algériens, égyptiens. Le pôle francophone, avec le Sénégal en tête, le Bénin, le Togo, le Mali, etc. Mais le pôle anglophone est très faible, même s’il y a l'Afrique du Sud en tête.

Ils ont été bien représentés, lors du dernier atelier au Fespaco, pour redynamiser cette zone. Le deuxième est surtout la reconnaissance de la Facc. Aujourd'hui, beaucoup de festivals nous font confiance. La Facc a des jurys aux Jcc, au festival de Durban en Afrique du Sud, au Fespaco à Ouagadougou et à Zagora au Maroc.  Nos membres ont été au Festival du film d'auteur de Rabat, à Marrakech film festival, aux Rencontres cinématographiques de Dakar (Recidak). Aujourd'hui, on est sollicité aux Rencontres du film court de Madagascar, etc. Un autre défi est d'intéresser les institutions sous-régionales, régionales et continentales (Uemoa, Cedeao, Ua) à ce que nous faisons.

Il nous faut écrire sur nos cinématographies, en parler à la télévision, à la radio, pour que tout le monde sache qu'elles existent. Pendant longtemps, les regards portés sur les cinémas africains venaient, pour la plupart, d'ailleurs. La Facc, depuis sa naissance, se bat pour que l'on ait un regard critique panafricain sur nos cinémas, à travers son site www.africiné.org. Et ce travail ne peut être fait qu'avec le soutien de nos institutions sur le continent. Jusque-là, la Facc est soutenue par l'Oi, Africalia Belgique et le Goethe Institut. Le chef de l'Etat du Sénégal a récemment parlé, en Conseil des ministres, de ''l'impératif de produire le répertoire des films sénégalais''. Une chose très importante qui permettra de documenter notre cinéma. Il y a eu des écrits de nos aînés Paulin Soumanou Vieyra, etc. Nous suivons leurs pas pour permettre à nos populations d'avoir des informations sur nos cinémas. La Facc et l'Association sénégalaise de la critique cinématographique y apporteront leurs contributions. La Tunisie a réussi à le faire ; ils ont produit un beau catalogue sur les films tunisiens. 

Un accord de siège avait été signé avec le Sénégal, mais pas concrétisé. Une Sénégalaise prend les rênes de cette organisation. Que comptez-vous faire pour régler cette question ?

C'est une opportunité pour la Facc. Dès mon élection, j'ai automatiquement pensé à cela. Mais il faut préciser que la balle n'est pas du côté du Sénégal. J'ai eu la chance de suivre ce dossier, depuis son début. Le Sénégal avait accordé à la Facc le siège, nous avons signé l'accord avec Me Madické Niang, du temps Me Abdoulaye Wade président. C'était d'ailleurs Baba Diop, notre doyen et mentor, qui l'avait signé au nom de la Facc, en tant que président. Aujourd'hui, c'est à la Facc de fournir tous les documents nécessaires pour renouveler cet accord dissout, on s'en souvient, par l'ancien président, car la Facc avait un titre d'Ong, après cet accord. Les autorités sénégalaises sont disposées à accorder cet accord de siège à la Facc. La spécificité de la Facc doit être éclairée, car nous ne faisons pas d'investissements. Nous participons à la valorisation des productions cinématographiques africaines par la visibilité. Nous organisons des projections des films africains et invitons surtout à la discussion autour de ces films. Car les cinéastes proposent un regard sur nos sociétés. A nous de confronter leurs regards avec les nôtres. Les critiques sont des tampons entre les cinéastes et le public à qui les productions sont destinées. 

Durant votre mandat, quelle sera la place des femmes ?

Elle sera à la place qu'elle voudra prendre. Il ne s'agit pas de donner une place aux femmes. Je suis pour le mérite. Je n'ai jamais voulu qu'on m'octroie quelque chose parce que je suis une femme, mais parce que je le mérite par mes compétences. Au sein de la Facc, on a toujours eu des femmes combattantes qui n'attendent rien de personne. Elles se battent pour mériter leur place. On est quatre femmes sur sept dans ce nouveau bureau de la Facc ; toutes sont des femmes combattantes. L'Association sénégalaise des critiques est un exemple. 

Peut-on s’attendre à vous voir aux avant-postes du combat comme We are Yennengas ?

Non. J’ai participé à ce débat We are Yennengas, en tant que journaliste, lors du Fespaco. Mais, comme je l'ai dit, je crois que le mérite doit primer avant tout, sinon cela devient réducteur pour la femme. Les hommes ont jusqu'ici remporté l'Etalon d'or de Yennenga, parce qu'ils le méritent. Ils ont présenté des films de qualité devant les autres. Il est aussi vrai qu'en regardant le nombre d'hommes et de femmes en compétition pour les longs métrages fiction, il y a disparité, car sur les vingt films, il n’y a que quatre femmes. La femme rencontre beaucoup de problèmes pour arriver à faire quelque chose. Je crois qu'il faut s'attaquer à ces goulots d'étranglement pour permettre à la femme d'être au rendez-vous. Le reste, c'est le travail bien fait qui est récompensé. 

Vous avez participé au dernier Fespaco. Pouvez-vous nous faire le bilan de ce cinquantenaire ?

Faire le bilan du cinquantenaire serait très fastidieux. On a beaucoup attendu ce moment, vu les préparatifs et le moment solennel, parce qu'on n'était pas là au début et, grâce à Dieu, on a assisté au cinquantenaire. L'ambiance était géniale, la Facc revenait au Fespaco pour un atelier, après 15 ans, mais il y a eu beaucoup de difficultés, notamment avec les billets d'avion. Il y a eu trop d'invités et, du coup, c'était difficile de faire le suivi. Les deux membres du jury de la Facc ont reçu tardivement leur billet d'avion, ce qui a influé sur leur travail, comme d'ailleurs beaucoup de cinéastes qui étaient même en compétition. Il y avait trop de manifestations en même temps. De ce fait, on ne pouvait pas être partout en même temps. Mais, dans l'ensemble, et c'était l'essentiel, il y a eu des films à gogo et tous les genres. On n'a pas pu tout voir, mais l'essentiel a été fait. C'était génial de rencontrer les pionniers du cinéma africain et voir l'implication des autorités du Burkina Faso et du Sénégal aussi pour accompagner les cinéastes et acteurs du secteur. 

Deux réalisatrices sénégalaises se sont distinguées de fort belle manière. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Vous me donnez l'occasion de les féliciter à nouveau. Ceux sont deux réalisatrices qui ont toujours honoré le Sénégal, à travers leur travail. Je suis leur travail, depuis un certain temps, et vois l'évolution et la persévérance dont elles font preuve à chaque fois. Bravo encore.  

Vous êtes la présidente de l’Ascc. Vous organisez le Mois du cinéma au féminin. Pouvez-vous nous parlez de ce concept ?

Le Mois du cinéma au féminin est né d'un constat en 2013. L'Association sénégalaise de la critique cinématographique, qui existe depuis longtemps avec notre pionnière tata Annette Mbaye D'Erneville, qui est notre référence dans ce métier de journalisme et de critique de cinéma, a été relancée en 2007 et présidée par Baba Diop puis Mamoune Faye du ‘’Soleil’’ que j'ai remplacé à ce poste que je compte céder d'ailleurs, Inch Allah, en décembre prochain. 

Je disais, l'Ascc a constaté la présence de plus en plus importante de femmes dans le secteur. Parce que, depuis Safy Faye, réalisatrice pionnière du cinéma africain, la génération la plus importante qui a suivi a été les Angèle Diabang, Khardiatou Pouye, Khady et Mariama Sylla. Ensuite, il y a eu d'autres, etc. Partant de là, il fallait leur donner plus de visibilité. L'idée était de discuter autour de leurs propositions cinématographiques, leurs orientations filmiques, leur choix artistiques, etc. Nous avons choisi le mois de mars pour leur donner plus de visibilité.

Le Mois du cinéma au féminin ne s'intéresse pas seulement aux réalisatrices ; les techniciennes et autres femmes du métier sont aussi valorisées. Depuis deux ans, nous avons pris l'option d'organiser le Mois du cinéma au féminin dans les institutions de communication et de journalisme, histoire de donner un avant-goût aux futurs confrères et consœurs l'envie de s'intéresser à la critique cinématographique et d'être de futurs cinéphiles. Notre objectif est de l'étendre aux collèges et lycées, en y mettant en place des ciné-clubs pour qu'ils s'intéressent plus au cinéma. L'industrie cinématographique ne se met pas en place seulement parce qu'on a un financement, des productions, des salles de cinéma. On va dans des festivals, il faut un public averti pour créer l'engouement autour de nos films. 

BIGUE BOB

 

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