Vendredi 6 janvier 2017, les musiciens Pape et Cheikh ont vu leur spectacle interrompu de manière brusque. Ce qui n’a pas plu au duo. Lequel n’a pas manqué de dénoncer une telle attitude qu’ils jugent ‘’irrespectueuse’’. Mais pour l’administrateur du Grand-théâtre, si préjudice il y a, c’est la structure qu’il dirige qui l’a subi. Aussi, dans cet entretien accordé à EnQuête, Keyssi Bousso revient-il sur les circonstances ayant abouti à cette situation. Pour ensuite répondre à ceux qui réclament la gratuité de la grande salle de spectacles.

Certains artistes jugent les tarifs de location de la grande salle du Grand-théâtre exorbitants, que leur répondez-vous ?

Je suis victime de ma générosité. Je ne fonctionne pas comme un directeur classique. Je suis un artiste comme eux et j’essaie de tout faire pour les aider. Il y a beaucoup d’artistes qui ne sont pas reconnaissants. Il y en a qui aiment aussi la facilité et qui pourraient dans ce cas venir dans mon petit patelin de Doungalao. Je pourrais leur y trouver une place. Maintenant, pour Pape et Cheikh, ils n’avaient pas signé de contrat ici. Pourtant, trois mois avant la tenue de leur évènement, ils ont commencé à faire leur publicité en disant que leur soirée allait se tenir au Grand-théâtre. Un professionnel doit signer un contrat avant de faire la publicité. Pour moi, c’est le minimum à faire. Il n’y a pas eu cela. C’est le jour du spectacle même qu’ils sont venus payer la location de la salle.

Est-ce pour cela que vous avez fermé les rideaux avant la fin de leur spectacle ?

Mais non ! On l’a fait parce que quand ils vont jouer au centre culturel français, ils viennent à l’heure. Pourquoi ne pas faire autant quand ils doivent jouer ici. Ils viennent à minuit. On leur a donné jusqu’à 2h 30mn du matin. Moi, je n’ai pas de problèmes personnels avec Pape et Cheikh. Ce qui s’est passé est un malentendu. Ils ont enfreint beaucoup de règles sans que je pipe mot publiquement. J’ai essayé de les comprendre en tant qu’artiste et parce que je leur avais aussi donné ma parole.

Ils n’avaient pas réservé la salle pour la date du 6 janvier avant de faire passer leurs publicités. Guissé Pène est un de mes conseillers (chargé de communication et régisseur du groupe  Pape et Cheikh). Il sait bien qu’avant toute chose, il faut d’abord un contrat. Il n’y a pas eu cela. Malgré tout, j’ai laissé faire. Pour les tickets, on demande aux organisateurs de les amener ici afin qu’on y mette le cachet du Grand-théâtre. Cela nous permet de contrôler le nombre de billets à vendre. Eux, ne l’ont pas fait. On n’a pas pu contrôler cela. Ils ont vendu les entrées pendant des jours sans être venus au Grand-théâtre pour le cachet et je n’ai rien dit. Ils disent avoir oublié de le faire,  mais ont-ils oublié de vendre les tickets ?

Très souvent lors des concerts, la salle est pleine au moment où dehors des spectateurs errent tickets à la main

S’il n’y a pas d’hologrammes pour la vérification, ça pose problème. Il y a un système qui nous permet de nous en tenir à 1 800 places. S’ils vendent 2 000 tickets, on ferme quand la salle est pleine. Au Grand-théâtre, on met les cachets sur 1 800 tickets. Après, les musiciens donnent des invitations.

Dans le contrat qui vous lie, est-il stipulé qu’ils devaient arrêter leur spectacle à 2h du matin ?

Vous savez, on a un contrat type au Grand-théâtre. Il y est stipulé que les spectacles se terminent à 2h du matin. Si vous souhaitez continuer, il faut négocier un forfait. C’est ce qui a été fait avec Kiné Lam par exemple. Elle est restée dans la salle jusqu’après 3h du matin mais elle a payé ce dépassement horaire. Chaque mois, on paie entre 17 et 18 millions d’électricité. Tout le monde réclame la gratuité mais l’on ne se demande pas si c’est possible. Si je reçois une lettre venant de la Présidence ou du ministère de la Culture me demandant de donner la salle gratuitement, je le ferai. Moi, je suis venu et j’ai trouvé des règles que je ne peux changer. Je ne vais pas faire ça.

Pape et Cheikh ont-ils demandé un forfait pour continuer ?

Je vous ai dit que c’est le jour même du spectacle qu’ils sont venus payer dans l’après-midi. Les choses ne doivent pas se passer ainsi mais j’ai laissé faire. Ils n’ont fait aucune démarche administrative. On les a appelés à maintes reprises. Ils disaient tout le temps être dans l’attente de tel ministre ou tel sponsor. Ce sont des choses pas professionnelles. Des ministres m’ont même appelé pour me dire : ‘’Patientez encore, ils vont venir payer, etc.’’ Ils devaient arrêter à 2h du matin, on leur a donné jusqu’à 2h 30 mn.

Ils ne sont pas les premiers artistes à être victimes de cet état de fait. Que préconisez-vous pour que pareille situation ne se reproduise plus dans l’avenir ?

C’est bien écrit dans le contrat. Le Grand-théâtre prend 1 800 places et le reste, c’est au musicien. Avant, le musicien doit payer une caution. C’est ce qu’on appelle la garantie locative. Personne ne l’a jamais payée ici. Mais cela n’est pas le problème. Le vrai problème, c’est qu’ils devaient arrêter à 2h du matin et  ils ne l’ont pas fait. A partir d’aujourd’hui, je dis que les portes seront ouvertes à 20 heures et à 2h du matin, je ferme la salle. C’est officiel. Ils peuvent maintenant me dire ce qu’ils veulent. On ne peut pas commencer à minuit, amener tout le Sénégal pour qu’il chante et vouloir terminer à l’heure. Je suis humain. Je peux comprendre certaines choses. Il y a une manière de parler et de faire. Je ne vais plus accepter qu’on bloque ici mes gens jusqu’à certaines heures.

Le manque de professionnalisme ne vient-il pas des deux côtés, c’est-à-dire du Grand-théâtre qui n’a pas exigé le contrat et du groupe Pape et Cheikh qui n’est pas venu, selon vous, à temps ?

On est au Sénégal. Je leur avais donné ma parole quand ils m’ont contacté après avoir commencé leurs publicités. Mais pour le contrat, on les a appelés plusieurs fois, en vain. Le Grand-théâtre est professionnel dans ses démarches. On n’a jamais mis des bâtons dans les roues de quiconque. Tous, je les ai soutenus. La plupart d’entre eux sont très ingrats.

Pourquoi cette ‘’souplesse à la Sénégalaise’’ dans les démarches administratives n’a pas prévalu lorsqu’il a fallu baisser les rideaux ?

Quand on m’a appelé à 2h du matin, parce que je revenais de voyage, j’ai dit aux techniciens de leur donner 30mn de plus. Le personnel du Grand-théâtre était là depuis 19h. Les gens étaient fatigués. Maintenant, quand quelqu’un doit commencer son spectacle à 20h et qu’il commence à minuit, il y a problème. Ils viennent des fois me voir, on discute et on leur donne une heure de plus sans problème. Peut-être, ce  sont des professionnels mais, qu’ils se disent qu’ils sont ‘’Pape et Cheikh’’ et qu’ils peuvent se passer de certaines choses. Vous savez, on pouvait négocier pour qu’ils jouent les deux morceaux restants. Mais les gens commençaient à partir.

Avant de baisser les rideaux, les avez-vous prévenus ?

Oui. Le technicien est venu leur dire qu’il est temps d’arrêter et que s’ils veulent continuer, ils n’ont qu’à  payer 200 000 F CFA de pénalités. Ils ont refusé de le faire. Je n’ai pas de problèmes avec eux. Ils ont des problèmes avec eux-mêmes. Ils n’ont pas dit tout ce qu’ils ont fait.

Ils considèrent tout de même que c’est un manque de respect et de considération à leur égard et vis-à-vis des autorités qui étaient dans la salle. Qu’en dites-vous?

C’est eux qui ont manqué de respect au Grand-théâtre. Ils ont fait tranquillement leur publicité sans avoir réservé la date. Vendre des billets sans les avoir amenés ici pour qu’on y mette un cachet, c’est cela un manque de considération. C’est aussi d’attendre le jour J pour venir payer. Je peux encore en citer.

L’association de l’industrie musicale (Aim) réclame la réparation du préjudice subi par Pape et Cheikh. Que leur répondez-vous ?

Je vais leur dire que s’il y a préjudice, c’est le Grand-théâtre qui l’a subi. Ce n’est pas mon problème. Qu’ils m’amènent au tribunal ! Moi, j’aime bien aller en Justice. Ils peuvent m’amener même chez Macky Sall ! Je n’ai pas peur de la Justice. Si moi j’ai commis une erreur en les laissant jouer sans avoir signé de contrat, Pape et Cheikh en ont commis 25. Je pouvais donner la salle à quelqu’un d’autre le 6 même. Ils ne pouvaient rien faire parce qu’aucun contrat ne nous liait. Le droit qu’ils avaient de dire ‘’on continue’’, j’avais ce même droit de dire ‘’non, arrêtez-vous là’’. Ils peuvent m’amener en justice, je les attends.

N’avez-vous pas peur de faire fuir les artistes en disant qu’à 2h du matin, on arrête. N’êtes-vous pas en train de les pousser vers Sorano.

Ils peuvent aller à Sorano. Moi, je n’ai pas de problème avec ça. Celui qui veut venir au Grand-théâtre y viendra. Celui qui veut aller à Sorano y ira également. Celui qui veut venir aussi à Doungalao, mon patelin, je peux lui donner de la place. Il n’y a pas de problèmes.

Pourquoi leur avoir mis la pression ?

Ils n’étaient pas justes dans ce qu’ils voulaient faire. Ils ont joué partout dans le monde donc, ils savent très bien qu’ils ne doivent pas jouer quelque part sans contrat. Ils ont voulu installer leur logistique et j’ai dit que rien ne se ferait avant qu’ils ne paient. Si je n’avais pas pris ces dispositions, ils allaient faire leur spectacle et partir. Tous les musiciens qui jouent ici signent un contrat. Ils sont les seuls à ne s’être pas acquittés de ça. J’ai fait exprès d’éteindre mon téléphone après avoir donné mes instructions. Je ne voulais pas qu’ils me baratinent (sic). Des artistes doivent actuellement 17 millions au Grand-théâtre.

Qui sont ces artistes ?

Non, je ne peux pas citer leurs noms. J’ai une liste ici. Je ne leur dis rien parce que je sais qu’ils vont vouloir revenir. A ce moment, j’exigerai le paiement de tout cela. J’ai déjà fait cela à certains.

 A défaut d’une gratuité, pensez-vous à revoir à la baisse les prix ?

Normalement, la salle doit être louée à 5 900 000 F Cfa. Personne n’a jamais payé cette somme. Ceux qui louent la salle paient 2 500 000 en sus des taxes. Cela fait généralement un total de 3 millions à 3 500 000 F Cfa. Il y a ce qu’on appelle la mise à disposition de la salle. Quand quelqu’un vient de la banlieue par exemple et n’a pas les moyens de payer, je mets à sa disposition la salle. Il paie 1 500 000 F qui constitue les taxes d’eau, d’électricité, etc. Mais quelqu’un ne peut pas vendre près de 600 tickets à 20 000 F Cfa (ndlr les tickets VIP), le reste à 10 000 F CFA et venir réclamer la gratuité. Ils pleurnichent en disant que c’est cher. S’ils veulent la gratuité, ils n’ont qu’à organiser des spectacles gratuits.

Où va l’argent que les artistes paient ?

Il y a beaucoup de choses à gérer ici. Le Grand-théâtre, par exemple, doit être propre à 100%. Il y a beaucoup de matériels qu’on doit changer régulièrement. Rien que 17 millions d’électricité par mois, c’est assez colossal.

Que vous sert dans ce cas le budget que vous alloue l’Etat et qui est estimé à 800 millions ?

Ce n’est pas 800 millions, c’est 700 millions. On a un personnel, du matériel, etc. à gérer. Avant, le budget était à 1 300 000 000 de F Cfa. 700 millions, ce n’est rien. On doit faire des spectacles et venir en aide financièrement à des artistes qui manquent de moyens.

Est-ce dans les prérogatives du Grand-théâtre de faire cela ?

Si, on peut le faire. S’ils ont des problèmes ou des projets, on peut les soutenir.

Vous avez 700 millions mais la programmation du Grand-théâtre est quand même faible. Pourquoi vous n’organisez pas beaucoup de spectacles ?

Faire des spectacles demande des moyens. On est passé d’un milliard 300 millions de F CFA à 700 millions, il y a problème. Si on veut faire venir un Gad El Maleh par exemple, ça demande beaucoup d’argent. Qu’on nous donne les moyens de parfaire notre programmation et on le fera. J’ai fait venir ici les ‘’Moines Shaolin’’, le ballet Béjart et ça m’a coûté beaucoup d’argent. On est en train de faire venir Gad mais c’est beaucoup d’argent. On travaille également sur un programme avec des Mauritaniens et des Nigérians mais ça demande beaucoup de moyens financiers. Qu’on dise qu’on a reçu beaucoup d’argent, ce sont des blablas. J’aide les artistes et après, ils me dénigrent. C’est cela qui me fait mal. La preuve, on a empêché à quelqu’un de jouer juste pendant 20 minutes et il croit que le monde s’arrête là.

Les artistes fustigent aussi les 180 tickets que prend le Grand-théâtre. Cette retenue se fait à quelle fin ?

C’est ainsi que ça marche ici. Depuis que le Grand-théâtre existe, ça a toujours été ainsi. C’est pour le personnel du Grand-théâtre, nos sponsors, etc. Ce ne sont pas les musiciens qui vont changer ça. Ce n’est pas moi qui ai créé ce système. Je l’ai trouvé ici.

Pourquoi ceux qui viennent ici sont obligés de louer leurs sonos ?

Parce que la salle a été construite pour des orchestres symphoniques. C’est pour ceux qui font la musique jazz. Maintenant, quand quelqu’un veut jouer ici et faire son mbalax, c’est lui qui loue son matériel. On loue la salle, pas le matériel. La sono qui est là est bien pour nous. Ceux qui font des remises de prix et autres utilisent cette sono. Quand quelqu’un veut amener ici Youssou Ndour, il loue sa sono. Ces artistes veulent gagner beaucoup d’argent et dépenser peu. Pape et Cheikh n’ont pas eu de contrat mais une facture. 

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