Publié le 16 Jul 2016 - 01:08
EN PRIVE AVEC MURAD SUDANI PRESIDENT DE L’UGEP

‘’Nous écrivons avec le sang des martyrs…’’

 

Poète, enseignant et président de l’Union générale des écrivains palestiniens, Murad Sudani est actuellement à Dakar. Il prenait part à la 9e édition des rencontres poétiques de Dakar. Dans cet entretien accordé à  EnQuête dans les locaux de l’ambassade de la Palestine à Dakar, il fait le point sur l’engagement de ses pairs dans le combat israélo-palestinien et les persécutions dont ils sont victimes.

 

Pouvez-nous parler de l’Union générale des écrivains palestiniens ?

C’est une organisation crée en 1966 avec les plus grands écrivains et hommes de culture palestiniens. L’association s’est après installée au Caire. Elle est devenue membre de l’organisation de libération de la Palestine en 1972. C’est à cette date qu’elle a été rebaptisée l’Union générale des écrivains et journalistes palestiniens. Elle avait pour slogan : ‘’Avec notre sang, nous écrivons pour la Palestine’’. C’est pour cela d’ailleurs qu’une grande partie des membres de l’association ont été assassinés par les Israéliens.

Quel intérêt pour l’union générale des écrivains palestiniens de signer une convention avec l’association des écrivains du Sénégal ?

Je remercie Amadou Lamine Sall qui m’a permis de prendre part aux rencontres poétiques. Ceci est une occasion pour moi de découvrir le paysage culturel et poétique sénégalais et de rencontrer les institutions. Je voudrais remercier aussi M. Alioune Badara Bèye pour nous avoir accueillis au siège de l’association des écrivains du Sénégal. La Palestine et le Sénégal entretiennent des relations historiques qui datent de plus de 40 ans. Elles ont commencé avec feu le Président Senghor et feu le Président Yasser Arafat. Aujourd’hui, nous pouvons renforcer cette coopération surtout sur le plan culturel. Nous voulons que les écrivains palestiniens puissent venir en visite de travail au Sénégal et que les Sénégalais puissent à leur tour en faire autant en Palestine. A ce titre, nous envisageons d’inviter les écrivains et personnalités sénégalais à venir en août prochain en Palestine. On souhaite aussi arriver à traduire des ouvrages d’auteurs sénégalais en arabe et des produits d’écrivains palestiniens en français.

Comment les écrivains palestiniens vivent-il le conflit israélo-palestinien ?

Les écrivains palestiniens vivent une situation différente de celle de leurs collègues des autres pays pour la bonne et simple raison qu’ils sont obligés d’écrire avec le sang des martyrs. La littérature palestinienne est imprégnée du quotidien des Palestiniens. C’est une littérature résistante.

Comment se porte le secteur de l’édition dans votre pays ?

Il y a des publications dont la vente est interdite en Palestine. Nos produits, nous écrivains, sont objet de persécution et de censure. Même à l’exportation, nous n’arrivons pas à avoir une relation normale avec le monde extérieur. Il s’ajoute à cela l’effacement prémédité de la culture palestinienne. Ceux qui assiègent le pays le font dans l’optique d’anéantir le peuple palestinien, de le mettre à genoux et de le remplacer en quelque sorte. Par exemple, le folklore et l’art culinaire palestiniens ainsi que les broderies des femmes palestiniennes, d’autres se les approprient. On trouve les broderies de nos femmes sur les tenues des hôtesses de l’air de compagnies aériennes israéliennes. Elles disent que cela leur appartient. Ils veulent ainsi rendre le peuple palestinien inexistant et, en même temps, falsifier l’histoire.

Les écrivains palestiniens combattent-ils cette volonté d’effacer l’histoire de leur peuple à travers leurs écrits ?

Nous sommes conscients qu’il nous faut résister. Et nos premières armes sont nos écrits et nos contributions dans la littérature, la poésie. Nous écrivains de la Palestine, depuis 70 ans, depuis cette occupation étrangère sur nos terres, depuis que notre peuple a été jeté sur les routes de l’exil, nous sommes en train de reconstituer notre mémoire collective. Nous savons que c’est un travail de mémoire considérable mais nous tenons, dans nos écrits, à rappeler tous les détails nécessaires à l’existence d’un tel peuple, partager les images et les symboles de ce peuples. Nous avons réussi. Tout au long de l’histoire de cette lutte, nous avons toujours été en avant. Nous avons accompagné cette lutte et délivré des symboles reconnus à l’échelle internationale.

Nous avons de grands poètes reconnus par l’histoire humaine comme Mahmoud Darwich, Samir Hassen, Rahib Touqan, Fadwa Touqan et bien d’autres. Nous avons beaucoup de jeunes poètes aussi.  Tout un peuple instruit reste attaché à cette identité culturelle. C’est notre richesse.  Nous sommes déterminés à aller de l’avant pour combattre toute tentative d’effacement de notre identité. Pour vous démontrer concrètement que les écrivains n’ont pas seulement donné de leurs écrits et en prenant position. Ils ont aussi donné de leurs chairs et de leur sang. On compte beaucoup de morts dans le milieu des écrivains palestiniens. Il y en a des centaines de personnes connues et reconnues dans les régions qui y ont laissé leurs vies. On peut citer le caricaturiste Naji al-Ali, l’écrivain Ghassan Kanafani, Kamal Nasser, Ali Fouda, et bien d’autres hommes et femmes. Tous ont été des cibles de l’armée d’occupation israélienne. On ne nous laisse pas écrire. On nous suit jusque dans nos maisons pour faire avorter toute pensée ou toute possibilité d’écriture pour la liberté et l’indépendance. Cela les gêne.

Est-ce que vos écrits ont un impact sur la population ?

Bien sûr que cela a un impact sur elle. Les écrivains sont appréciés et bien suivis dans les rues arabes. Ils ont eu beaucoup de prix et de reconnaissances à leurs égards et à leurs écrits. Quand on parle des écrivains palestiniens, il faut comprendre qu’il ne s’agit pas d’écrivains ordinaires. Ce sont des écrivains qui écrivent avec une encre chaude. Ils encourent beaucoup de risques, juste pour partager avec les autres la réalité que vit le peuple palestinien. L’emblème général de l’Union générale des écrivains palestiniens : c’est le stylo. Ce dernier peut être transformé en fusil qui ne tue pas mais qui dérange ceux qui s’opposent à la liberté de la Palestine. Parce qu’on dit la vérité et on montre la frustration et l’humiliation que subit le peuple palestinien dans la quête de sa liberté et de son indépendance.

Vous ne parlez que de liberté et d’histoire, n’avez-vous pas d’autres thématiques à développer dans vos écrits?

Il est vrai que nous sommes plutôt focalisés sur la culture de la résistance parce que nous sommes en face d’un Etat qui fonctionne de manière anormale et d’une situation insupportable qui est l’occupation et la colonisation de nos terres. Cela ne nous empêche pas pour autant d’écrire sur tous les sujets qu’on peut imaginer. On écrit sur la vie, l’amour et nous sommes très attachés à l’ouverture sur le monde extérieur. Comme le disait un de nos grands poètes, le bon combattant est le combattant amoureux. C’est celui qui a un cœur, des affections et qui arrive à les exprimer d’une manière ou d’une autre. Nous aimons la vie et à travers cet amour de notre terre, nous vivons un vrai amour. Par nos écrits nous défendons la joie, la vie, l’amour et toutes valeurs humaines et aspirations légitimes d’un peuple qui souhaite figurer parmi les pays dignes. Un pays qui veut une vie normale et qu’il puisse la vivre sans restriction, en toute liberté et en toute dignité. Tant que les choses continueront, nous aussi nous continuerons à dénoncer cette occupation.

Comment se porte l’éducation en Palestine ?

La situation de l’éducation, de la culture en Palestine s’intègre dans une situation globale de tout un peuple qui réside sous occupation étrangère. Encore que ceux qui nous assiègent essaient d’effacer l’identité du peuple palestinien dans son caractère socioculturel. Cela, en mettant en état de siège et d’humiliation, de façon quotidienne, les institutions scolaires et culturelles. Nous avons assisté à la fermeture de 26 institutions éducatives et de centres culturels dont des maisons de poésie à Jérusalem. On a assisté à l’arrestation de plusieurs écrivains palestiniens qui n’ont d’armes que leurs écrits.

Dernièrement, il y a une jeune écrivaine, Darine Tartour qui est mise en résidence surveillée après qu’elle eut vécu une série d’arrestations et d’humiliations. Et c’est le cas de beaucoup d’autres écrivains et de journalistes. Des dizaines de journalistes sont souvent blessés, torturés, etc. Récemment, le vice-président du syndicat des journalistes palestiniens a été arrêté. Il est d’ailleurs toujours en détention. En outre, il y a des mesures dissuasives mises en place pour la création d’écoles.

Pour construire une école, il y a une ribambelle de permissions à chercher et c’est très difficile de les avoir. Beaucoup d’écoles à Jérusalem n’ont pas de permis pour être rénovées. Les élèves étudient dans de vieux bâtiments qui sont dans des états de délabrement avancé. Ce qui constitue un danger pour les enfants. On n’a pas encore trouvé de solutions à ce problème. Et on n’a pas non plus de permissions pour construire de nouvelles écoles.  

BIGUE BOB

 

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