Publié le 27 Oct 2016 - 03:19
EN PRIVE AVEC NGONE NDOUR (PCA SODAV)

‘’Si d’ici un an, je ne fais pas de résultat, qu’on me vire !’’

 

Elle est depuis bientôt une semaine la nouvelle présidente de la Sénégalaise du droit d’auteur et du droit voisin (Sodav). Une élection qui ne fait pas l’unanimité même si tous lui reconnaissent ses compétences et son savoir-faire. Quoi qu’il puisse en être, Ngoné Ndour ne se laisse pas déstabiliser. Elle est à fond dans son projet managérial et y croit fermement. Entretien.

 

Qu’est-ce qui a motivé votre candidature à la tête de la présidence du conseil d’administration de la Sodav ?

Je m’étais déjà présentée à cette élection lors du premier vote et j’ai été battue par la réalisatrice Angèle Diabang. J’étais positionnée deuxième. Je suis le processus de mise en place de cette société depuis très, très longtemps. Je suis là-dessus avec d’autres personnes depuis plus de 17 ans. Vu l’expérience que j’ai aussi dans les métiers de la musique et de la production, j’ai tenu à présenter ma candidature.

Concrètement que pensez-vous pouvoir apporter à la Sodav ?

Je pense pouvoir lui apporter du dynamisme et de la modernité entre autres. Je crois en la modernisation parce que l’économie qu’offrait la culture a complètement changé. On est en 2016 quand même. On n’est plus dans l’analogique mais plutôt dans le numérique. D’ailleurs, dans mon projet managérial, c’est cela qui y est mis en exergue. Je crois en la modernisation de l’entreprise et c’est ce que doit être la Sodav. Je mise beaucoup sur les nouvelles technologies et dans tous les domaines que cela soit dans le traitement des documents, de l’adhésion, des répartitions, de l’archivage, de la communication, etc. Bref, dans tout. D’ailleurs, on travaille avec des sociétés comme celles de téléphonie qui sont complètement dans le numérique. Moi, je reste convaincue que c’est avec le numérique qu’on peut avoir une bonne performance économique au niveau du Sénégal.

Dans ce sens, vous prônez une adhésion par le numérique. Pensez-vous que tous les ayants droit sénégalais ont le niveau ou les moyens pour cela ?

Je le pense vraiment. Le numérique est devenu aujourd’hui populaire. Je prends l’exemple du transfert d’argent. Aujourd’hui, n’importe qui peut envoyer de l’argent à partir de ces systèmes. Tout le monde peut les utiliser. Aujourd’hui, nos mères, nos sœurs, etc. arrivent à se connecter sur internet et utiliser les réseaux sociaux. Ils commentent et suivent l’actualité. En outre, qui dit artiste dit créativité. Ce sont des gens très intelligents et très modernes. On peut peut-être dire qu’il y a les moyens qui peuvent manquer. Peut-être qu’il y aura quelques-uns qui ne vont pas disposer de Smartphones. Ce qui fait qu’on est conscient de ne pas pouvoir avoir dès le début une société moderne. On va malgré tout y travailler en se donnant des délais. Peut-être qu’au bout de 2 ou 3 ans, on arrivera au niveau d’une société standard moderne comme les autres sociétés de gestion collective dans le monde.

Au-delà de la modernisation, quels sont les autres chantiers sur lesquels vous voulez travailler ?

On nous a donné une société qui n’est pas très rose et qui a des difficultés. Là, on est en train de voir ce que nous a légué financièrement le BSDA (ndlr bureau sénégalais du droit d’auteur). D’ici peut-être deux semaines, on aura les chiffres de l’audit interne qui est en train d’être fait. On saura ainsi ce que le BSDA a ou n’a pas. Au-delà de cela, on veut une adhésion en masse des ayants droit. Alors, qui dit adhésion en masse parle de sensibilisation et de communication. Il faut déjà mettre en confiance les artistes et leur demander après d’adhérer à la Sodav afin que la société puisse fonctionner. Aussi, on pense à la réorganisation et au renforcement des ressources humaines parce qu’il y a les nouveaux types de droits qu’il ne faut pas ignorer ; qui dit nouveaux types de droits, pense à l’appel de nouveaux bras.

Aujourd’hui, on est en train de voir l’organisation même. Là où il sera nécessaire de renforcer le personnel, on le fera. On va chercher des moyens également. Cette société nous a été léguée par l’Etat. On est parti d’une société publique à caractère professionnel à société privée. Nous considérons l’Etat comme notre premier partenaire. Le président de la République est le premier protecteur des Arts et des Lettres. Nous lui tendons les mains afin qu’il nous appuie. On a besoin de fonds de démarrage. La première fois que je suis allée dans les locaux de la Sodav, ce qui m’a le plus marquée, c’était l’état des lieux. Le bâtiment n’est pas loin de l’effondrement avec des murs défraîchis. Il nous faut peut-être des locaux provisoires en attendant de voir ce qu’on peut faire de cet espace là. Pour cela, on a besoin de l’appui de l’Etat qui, depuis qu’on a voté cette loi, ne cesse de nous accompagner. Je pense qu’on peut continuer à compter sur lui à travers notre ministère de tutelle.

Hormis le logement, quelles sont les autres difficultés auxquelles la Sodav fait face ?

Ce n’est pas trop rose parce que presque tout le Sénégal nous doit de l’argent en commençant par les radiodiffusions, les télés, et quelques sociétés de téléphonie. Donc, il y a des contrats à reprendre. Il y a des usagers éparpillés dans le Sénégal et qu’il faut essayer de contacter. Il faut revoir le répertoire des usagers. Il y a des gens qui ont des débits dans la société. Pour moi, la stratégie la plus sage est d’aller en partenariat et d’échanger avec les gens. Parce qu’au-delà du droit d’auteur, il y a de nouveaux types de droits qu’il faudra intégrer. Les taxes vont augmenter ainsi que les charges. Aujourd’hui, on est plus dans le partenariat que le forcing. On n’est pas là obligatoirement pour faire la police ou se tirailler avec les gens. Je pense que si les uns et les autres comprennent le rôle de la Sodav et ce que c’est la culture, il n’y aura pas du tout de problèmes. Notre premier rôle, c’est d’aller voir tous les utilisateurs, parler avec eux, leur expliquer les procédés, les sensibiliser, etc. Il ne faut pas perdre de vue que les sociétés de radiodiffusion font maintenant partie des ayants droit. Il leur appartient aujourd’hui de venir nous soutenir, nous accompagner et de s’acquitter de leurs redevances.

Quels sont les nouveaux droits et les taxes qu’elles impliquent dans le paiement des redevances ?

Il y a la rémunération équitable  qu’il faut rajouter au droit d’auteur et qu’on doit partager avec les artistes interprètes ou producteurs et qui concernent toutes les œuvres qui seront diffusées. Il y a aussi la copie privée qui constitue l’une des mannes financières qui peuvent rapidement aider à l’essor de cette structure. Pratiquement, tous les pays qui l’ont adopté ont vu, au bout de 2 à 3 ans, leurs chiffres augmenter. Maintenant, il faut mettre les mécanismes requis. Ce n’est pas simple de le faire mais on va essayer très rapidement d’y procéder avec le ministère de tutelle parce qu’il y a des arrêtés à prendre, parler avec les parties prenantes, s’organiser, etc. Il faut aussi l’implication de la Douane qui doit collecter cette taxe-là et la reverser. Il y a énormément de choses à faire mais on va essayer de les faire très rapidement et de les communiquer. Parce qu’on ne peut venir et dire aux gens qu’il y a une nouvelle taxe, il faut payer. Il faut les sensibiliser avant et leur expliquer le pourquoi. Par conséquent, comme c’est une loi. Tout le monde va payer et respecter ce qu’elle stipule.

Vous êtes très à l’aise dans votre discours. Vous semblez maîtriser tout ce qui tourne autour des droits d’auteurs et des droits voisins. Vous avez suivi des cours spéciaux sur cela ou vous vous êtes contentée de faire des recherches sur la question ?

Je fais partie des gens qui ont aidé à écrire cette loi. Je fais partie du comité de pilotage depuis des années. Je sais de quoi je parle. En plus, je suis très active culturellement. J’ai une entreprise et tout ce que j’ai expliqué là sont des choses que je fais au quotidien. Je vais au BSDA déclarer des Cd ou des spectacles. Je travaille beaucoup avec le numérique. Ce sont des choses qui sont en moi au-delà du fait d’avoir fait partie du comité de pilotage. Même si y participer m’a beaucoup aidée. Je me rappelle la première fois que Aziz Dieng m’a appelée pour me proposer d’intégrer le  comité de pilotage, je lui ai demandé ce que cela signifiait. Il m’a expliqué et j’ai trouvé cela excitant. J’ai intégré le groupe. On a commencé à travailler sur ça. Des experts sont venus d’un peu partout pour nous aider à écrire la nouvelle loi. On a dit ce qu’on voulait et ils nous l’ont traduit juridiquement. C’est la raison pour laquelle je suis à l’aise sur cela. C’est un vécu.

Malgré ce vécu, votre élection n’a pas été facile. Comment avez-vous vécu ces moments de tension ?

Je ne me suis pas imposée. Lors de la première élection, j’ai déposé ma candidature en respectant les points imposés par le conseil. J’ai déposé  mon projet en me disant naturellement que les gens vont lire les projets et voter selon ces derniers. Lors de la 2e élection, je me suis présentée à nouveau en expliquant ma vision. J’ai fait une campagne assez plate car je ne connais pas le lobbying. Je demandais aux votants de lire les projets des 5 candidats et de choisir celui qu’ils croient porter la société. Cela m’a été bénéfique. Il y a une des administratrices qui m’a dit : ‘’toi, tu es folle, tu appelles les gens, tu ne leur dis pas de voter pour toi mais de lire les projets’’. Mais dans ma tête, la logique est de lire les projets et de voir ce que chacun d’eux propose. Si l’un d’eux vous convainc, vous votez. Aussi, il y a mon expérience. Je suis dans ce milieu depuis longtemps et j’essaie tant bien que mal de faire marcher les choses comme je peux. Beaucoup de gens ont laissé tomber, mais nous, nous sommes restée là malgré les difficultés. Je pense que cela a pesé sur la balance.

Autant certains ont trouvé votre élection légitime, autant d’autres ont vu derrière la main de votre frère. Youssou Ndour vous a soutenue ?

Pour moi, ce n’est pas un débat. Parce que tout simplement la loi dit que cette société appartient aux artistes. Donc naturellement, ce sont les artistes qui vont la diriger. Hier, il y avait Angèle. Elle est réalisatrice et cinéaste. Moi, je suis productrice. Demain, ce sera quelqu’un d’autre à la tête de la Sodav. Alors, pourquoi mon cas pose problème ? C’est très difficile quand même. Jugeons les gens par rapport aux résultats. Même ceux qui considèrent qu’il y a derrière la main de Youssou Ndour reconnaissent quand même que je sais de quoi je parle dans cette histoire de droits d’auteur etc. C’est bien après mon élection que Youssou l’a apprise. C’est moi-même qui l’ai appelé pour le lui annoncer. Il m’a félicitée et m’a encouragée. Etre la sœur de Youssou Ndour est une fierté. Cela ne doit pas être un frein ou un crime. Je pense que je n’ai pas toujours été là à suivre derrière lui. Parallèlement, j’ai tenté de faire de ma carrière artistique quelque chose qui est un peu détaché de ce qu’il fait. Les gens objectifs et sincères ne voient pas la main de Youssou derrière. Je sais où je veux aller. Personne ne peut me déstabiliser parce que je crois en moi. Je sais que j’ai du talent et je vais le donner entièrement à cette entreprise. Je ferai de mon mieux pour la faire aller de l’avant. Si d’ici un an je ne fais pas de résultat, qu’on me vire et qu’on choisisse quelqu’un d’autre ! C’est aussi simple que cela.

Quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés pour cette première année d’exercice ?

L’adhésion massive des ayants droit est le premier. Il faudra mettre en place un système de recouvrements des dettes de l’entreprise, renforcer le personnel, mettre en place tout ce qui est nécessaire pour que la copie privée et la rémunération équitable puissent fonctionner rapidement. Je veux aussi que le conseil d’administration soit très dynamique. J’ai parlé à mes collègues dans ce sens. Ce n’est pas que moi qui décide. Toutes les choses que je propose, j’en discute avec eux. C’est le conseil d’administration qui décide. C’est cela ma vision. Je crois en la démocratie, en l’équité et au talent de tout le monde. C’est comme cela d’ailleurs que j’ai présenté mon projet et je pense que cela a réconforté les gens. Il nous faut être bien équipé en consommables informatiques. Il nous faut un site internet dynamique, un système informatique transversal qui touchera les différents départements de la Sodav, être très actifs au niveau des réseaux sociaux et avoir une application pour l’adhésion des ayants droit. Il nous faut aussi amener des moyens de paiement modernes.

BIGUE BOB

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