Publié le 3 Mar 2015 - 17:38
EN PRIVE AVEC OUMAR SALL (DIRECTEUR DE CINEKAP)

 ‘’Les sociétés de production n’ont même pas de statut’’

 

Coproducteur du premier étalon d’or de Yennenga du Sénégal, Oumar Sall, producteur cinématographique et audiovisuel, est le directeur de Cinékap. Formé à l’institut national de l’audiovisuel de Paris, il est également l’initiateur du projet de formation Up court-métrage dont il trace les grandes lignes dans cette interview. Le prochain projet d’Alain Gomis est évoqué au même titre. C’est également l’occasion pour Oumar Sall de revenir en long et en large sur le fonds de promotion de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel (Fopica). Mais aussi de donner son avis sur l’étude diagnostic portant sur le secteur du cinéma.

 

C’est quoi Up court-métrage ?

C’est une formation endogène. C’est-à-dire qu’on développe à l’intérieur de notre système. Avec Alain Gomis, on a eu l’idée originale du programme. J’ai senti aujourd’hui chez les jeunes Sénégalais, les jeunes Africains de l’envie, de la passion et de l’amour. Je me suis dit qu’il faut un système pour canaliser tout cela. C’est ainsi qu’est né le projet Up court-métrage. C’est du Learning by doing (ndlr apprendre en s’exerçant).

Donc c’est un système où l’apprentissage rejoint la formation. On a pris les doyens du secteur du cinéma afin qu’ils forment les jeunes. Il y a Baba Diop, Ben Diogoye Bèye, Moussa Sène Absa…. Ainsi le cordon ombilical ne va pas être coupé entre les différentes générations. Nous faisons des appels à projets. Après réception des divers scénarii, nous faisons une sélection au niveau national. Pour la première phase, on a choisi sept ou huit projets. Les réalisateurs sont encadrés à travers des ateliers de réécriture.

Quelle est la finalité du projet ?

On produit après ces scénarii choisis. Bientôt vous allez voir les productions des premiers films issus du programme Up court-métrage qui sont des films de qualité qu’on peut présenter partout dans le monde. Ce projet entre dans le cadre de la redynamisation du cinéma sénégalais qui est au point mort. Tout le monde le constate, il y a des générations sacrifiées. Mais moi, je refuse d’être sacrifié. Comme dans la philosophie du Mahatma Gandhi, soyez le changement que vous voulez de votre monde. Doit-on baisser les bras ou attendre l’Etat pour travailler ? Moi, je dis non.

On doit créer des modèles économiques et équilibrer le discours cinématographique au Sénégal. On a un cinéma réalisateur qui a fini de faire ses preuves. Il est vrai que les plus grands noms du cinéma africain sont sénégalais. Il y a toujours eu du soutien à l’égard du cinéma sénégalais mais il y a toujours eu une mauvaise gestion. Cela est lié au fait qu’on ne peut pas être producteur, monteur et réalisateur en même temps. C’est un flou artistique et juridique qui existait. Aujourd’hui, il faut laisser la place à la production. La production est la terre végétale d’un film puisque le réalisateur est un rêveur. Il a envie de trouver un producteur qui donne corps à son rêve.

Dans l’optique de redynamiser le cinéma, l’Etat du Sénégal a doté le Fopica d’une enveloppe d’un milliard. La liste des premiers bénéficiaires est connue. Comment appréciez-vous le partage fait ?

Nous qui sommes des sociétés de production avons toujours travaillé sans l’Etat. Je pense que ma génération n’a pas trop attendu l’Etat à partir du moment où nous avons fait le constat qu’il nous faut d’autres modèles économiques. Dans la production de ‘’Tey’’, l’Etat n’a pas mis un franc dessus. Idem pour ‘’Des étoiles’’. En plus de la production, nous avons tenu la promotion de ces films aussi. Suite à la moisson de médailles récoltées à Ouaga, le chef de l’Etat a dit qu’il mettait un milliard pour aider la production audiovisuelle et cinématographique. Nous avions très bien accueilli la nouvelle puisque cela permettait aux producteurs d’aller solliciter la contribution financière de l’Etat.

Maintenant, ce qu’on peut retenir, c’est que quels que soient Alfa et la manière, le procédé est à saluer. Mais il faut noter trois choses. En prenant cette décision, le Chef de l’Etat sait premièrement que la survie de notre culture a besoin d’un Etat fort. Deuxièmement, il y a des sociétés de production qui sont en place et qui sont du secteur privé. Et parallèlement, le Président a besoin d’un secteur privé dynamique. L’indépendance de notre production a une base industrielle et commerciale si on veut parler d’industrie du cinéma. Le troisième élément qui s’impose après ce milliard est le changement de mentalités pour aborder la structuration. C’est pourquoi on réclame toujours un centre autonome de la cinématographie pour mieux gérer ces questions de fonds et de distribution.

Mais concernant cette première distribution du fonds, vous la jugez comment ?

Alors, moi j’ai mis mes projets. Je n’individualise pas. Attention ! Je porte des projets de jeunes. Si demain, je n’arrive pas à les faire, je rendrai l’argent. Il y a un jury qui a statué et qui a délibéré. J’ai eu à déplorer le fait qu’on sélectionne un projet, qu’on dise c’est bien et qu’on ne le finance qu’à moitié. Par exemple : sur 100 ou 99 millions demandés, on ne donne que 50 millions. On ne raisonne pas comme ça dans les autres fonds.

Il y a une manière de fonctionner. Ce que je peux dire, c’est que c’est un jury et un jury peut être subjectif. Maintenant, moi dans mon rôle de producteur, je suis content parce que l’Etat a mis de l’argent. Et cela permet aux cinéastes et producteurs sénégalais de mieux maîtriser leurs droits au sein de leurs territoires. Cependant, pour des soucis de perfection, on peut ne pas être content. Le fonds est jeune et je pense qu’il y a des choses à améliorer. L’alerte d’un producteur, c’est pour permettre d’améliorer les choses et de penser à certains critères.

Comme quoi ?

Comme je l’ai dit, on ne peut pas sélectionner un projet, dire que tout est bon, tout est rose, tout est nickel et ne donner que 50% du budget demandé. Cela manque de pertinence pour moi.

Quelles suggestions concrètes faites-vous au comité du Fopica ?

Dans la vie, il faut que les gens évitent de regarder la main de celui qui montre la lune. Il faut regarder là où elle pointe. Moi je suis un producteur et un professionnel. Quand je parle, peut-être, les producteurs peuvent me comprendre facilement. Et ceux qui ne sont pas du métier peuvent l’interpréter autrement. Quand on dit des choses, il y a souvent ce qu’on appelle des déformations de prose. Nous avons aidé à la mise en place de ce comité, mais il est appelé à changer l’année prochaine.

Qui sait, moi-même je pourrais être membre du comité et à ce moment, je mettrais à contribution mon expérience de producteur. J’ai attiré l’attention en évoquant le dossier de Khardiata Pouye qui, au même titre qu’Alain Gomis, nous a valu une satisfaction lors du dernier Fespaco. Des gens comme ça, il faut leur accorder plus d’attention puisqu’ils nous donnent satisfaction. Tous les Sénégalais ont du mérite. Mais l’ordre du mérite permet à certains de s’améliorer.

Au-delà du partage, que pensez-vous des textes qui régissent le Fopica ?

Il y a des choses qui relèvent purement du management. Alors, autant je peux dire que les textes ici au Sénégal sont bons et je pense aux accords de coproduction etc, autant je ne suis pas d’accord avec les textes qui régissent le Fopica. Ils recèlent énormément de manquements. J’en veux pour preuve la mauvaise définition d’un producteur.

Ensuite, quand le Président dit : je mets un milliard pour aider la production audiovisuelle et cinématographique, moi j’ai envie de lui dire : M. Le Président, nous voulons un décret portant création d’un centre national autonome de la cinématographie. Ce centre-là devrait gérer le fonds et avoir un budget de départ d’un milliard. Ensuite, on fait des textes qui régissent le mécanisme opérationnel de financement. En tant que producteur, moi j’ai des problèmes avec ce fonds. En déposant les projets,  il n’y avait pas ce qu’on appelle une matrice de devis pour tous les producteurs. On parle de cette matrice de devis avec des numéros de comptes, le plan comptable sénégalais afin de justifier après l’emploi de l’argent. Pour pérenniser le fonds il faut justifier l’argent alloué.

Avec un centre national, on peut mettre en place un memo comptable, audiovisuel et fiscal pour le secteur de l’audiovisuel. Je dis bien audiovisuel en général. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il faut poser les actes de la normalisation. Il faut profiter du passage de l’analogie au numérique. Aucune télévision ne maîtrise aujourd’hui son coût de film parce qu’elle n’applique pas la comptabilité de l’audiovisuel. Idem pour les boîtes de production. Encore que les sociétés de production n’ont même pas de statut. Nous répondons de la convention collective régissant les journalistes et techniciens. Il faut remédier à tout cela. Pour jeter les bases d’une industrie du cinéma, il faut une administration forte de l’audiovisuel dans tous ses aspects.

Cette année, le seul film présent dans la sélection finale pour l’étoile de Yennenga est porté par Cinékap. ‘’Des étoiles’’ pourrait-il faire autant que ‘’Tey’’ ?

Je nourris absolument les mêmes espoirs que ceux que je nourrissais pour ‘’Tey’’. Dyana est une réalisatrice qui a fait ses preuves. En 2008, son court-métrage ‘’deweneti’’ était nominé aux césars. Elle a fait le film ‘’transport en commun’’ qui a beaucoup de succès. Elle a fait pas mal de réalisations. Elle est bien connue surtout en France. Comme je disais pour Alain, Dyana est aussi un grand espoir pour le Sénégal, pour l’Afrique et pourquoi pas pour le monde entier.

Je dis toujours que dans la vie si on ne sent pas le besoin de marcher, on reste assis. Quand on est debout, c’est pour marcher. On porte le drapeau du Sénégal donc on doit faire la promotion de notre pays. On va au Fespaco pour défendre les couleurs du Sénégal. Etre déjà dans la compétition officielle, c’est quelque chose d’extraordinaire. Rien que cela, c’est du mérite. La sélection se fait de manière rigoureuse. Le deuxième élément est qu’on porte le drapeau du Sénégal et on compte le faire avec abnégation, dignité et avec la tête haute. Nous demandons à tous les Sénégalais de soutenir le film, en premier, le chef de l’Etat et le ministre de la Culture.

Quels sont vos projets avec Alain Gomis et Cinékap au-delà de Up court-métrage ?

La deuxième édition de Up court-métrage est lancée. La machine continue à tourner. Je prépare le prochain film d’Alain Gomis. Tous les jeunes devraient le remercier. Parce qu’il a dit qu’il ne sollicitait pas le nouveau fonds pour l’instant. Car il dit le laisser aux autres Sénégalais du moment qu’il peut aller trouver des moyens autrement. Je salue vraiment son courage et cet amour qu’il porte aux jeunes et à son pays. Son prochain film, c’est ‘’Félicité’’ qui raconte l’histoire d’une musicienne. Je m’en arrête là. On n’a pas encore tourné et on cherche les moyens. Je prépare des choses aussi avec Dyana.

Une étude diagnostic du cinéma sénégalais est lancée officiellement la semaine passée. Avez-vous reçu en tant que producteur le plan de travail ?

Personnellement, je n’étais pas à la rencontre. C’est un jour où je sollicitais d’autres fonds pour des projets. Je n’avais pas le temps. Ma priorité, c’étaient mes dossiers. L’étude pour moi, c’est la normalisation. Si le plan de cette étude ce n’est pas ça, pour moi, il y aurait des manquements.

Un plan quinquennal du développement du cinéma devrait résulter de cette étude. Pensez-vous que c’est pertinent ?

Moi, je ne m’appelle pas Etat. Je n’ai pas encore vu une étude comme on l’a annoncée. Peut-être que ça existe déjà comme ici il y a beaucoup de choses qui existent et qu’on range dans les tiroirs. Mais je pense que cette étude devrait être inclusive. La normalisation doit être prise en compte tout comme la fiscalité qui est une catastrophe pour les sociétés de production cinématographique. Nous sommes imposés comme si nous étions des entreprises commerciales qui faisons quotidiennement des recettes dans un pays où il n’y a presque pas de salles de cinéma.

Cela mérite une réflexion. Je pense personnellement que l’étude devrait être destinée à la mise en place d’une industrie. Je le pense personnellement, ça c’est mon avis personnel. Et pour une industrie, il faut des bases administratives solides d’abord. Ensuite, parler d’autres mécanismes de financement, parler de la reconstitution du circuit en général, etc. Tout cela normalement devrait être pensé.

BIGUE BOB

 
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