Publié le 9 Mar 2017 - 23:04
EN PRIVE AVEC ROKHAYA NIANG (ACTRICE)

‘’Les gens ne me connaissent pas au Sénégal parce que…’’

 

Aimée au Burkina, adulée au Cameroun, admirée au Maroc, Rokhaya Niang est pourtant peu connue au Sénégal où elle est née et a grandi. Cette actrice de talent a joué dans plus d’une vingtaine de films de réalisateurs africains, ce qui lui a valu sa renommée. Présente au 25e Festival panafricain de cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), elle s’est confiée à EnQuête. Entretien !

 

Comment êtes-vous devenue actrice ?

C’était mon rêve. Quand je regardais les films américains ou africains, je me disais que je veux faire ce que font ces acteurs. Quand je regardais maman Isseu Niang, Awa Sène Sarr, Marième Kaba etc, j’avais beaucoup d’admiration pour elles. J’aimais ce qu’elles faisaient. Je pratiquais les arts martiaux et en regardant les films asiatiques, je me disais que ce serait bien que je fasse cela un jour. Alors, c’est un rêve d’enfant qui s’est réalisé un jour grâce à Mansour Sora Wade (ndlr réalisateur sénégalais).

Comment avez-vous eu votre premier rôle ?

Je suis élancée et mince et un ami trouvait que je devais être mannequin. Cela ne m’intéressait pas au début, après j’ai dit oui. Il m’a pris dans son agence. Un jour, Mansour y est venu pour chercher une fille de teint noir et élancée. Il en avait choisi sept et je ne faisais pas partie de sa sélection. C’est en quittant l’Agence qu’il m’a regardée et m’a demandé de venir le lendemain à Blaise Senghor où se tenait le casting du film. C’était la première fois que je participais à un casting. J’ai fait la queue et quand mon tour est arrivé, j’y suis allée. On m’a appelée après pour me dire que c’est moi qui ai été choisie. Au cours du casting, quand on m’a dit le texte à interpréter, j’ai commencé et après, j’ai arrêté. J’ai dit à Mansour de me donner le temps de m’imprégner du texte.  

Je suis restée dans un coin mais au même moment, la caméra continuait de me prendre. Après cela, j’ai eu le rôle. Hubert est venu par la suite à Dakar pour m’aider à mieux entrer dans  le personnage. Il y avait à mes côtés Père Doss (Ndrl : feu Thierno Ndiaye) qui m’a beaucoup soutenue à l’époque en me donnant plein de conseils. Le film a été tourné à Djiffer. Quand je suis arrivée sur les lieux du tournage, j’ai frappé à toutes les portes. J’ai dit aux uns et aux autres que j’étais une jeune actrice qui ne savait pas grand-chose du monde du cinéma. A tous, j’ai demandé de me conseiller et corriger quand il le fallait, que je leur en donnais la latitude. Ils m’ont dit que c’était la première fois qu’ils voyaient ça. Souvent, les comédiennes qui tournaient avec eux ne parlaient presque jamais aux techniciens sénégalais, mais plutôt à ceux étrangers. Je leur ai dit que ce n’était pas mon cas. Moi, je suis une Sénégalaise et sur tous les lieux de tournage, les Sénégalais sont mes parents, ma famille. Je peux toujours compter sur eux quoi qu’il arrive. Jusque-là, cela m’a réussi partout où je vais.

Pour votre premier rôle, vous avez joué aux côté de grands noms du cinéma africain comme feu Nar Sène et feu James Campbell, que retenez-vous d’eux ?

 Le fait de jouer aux côtés de ces icônes a été une grande chance pour moi. Je dis souvent aux plus jeunes que moi, ma chance est d’avoir côtoyé les aînés. Des gens auprès de qui j’ai beaucoup appris. Nar Sène et James Campbell étaient des artistes de renommée internationale. J’ai eu la chance également de travailler aux côtés de maman Dieynaba Niang, de Papa Doss qui avaient joué dans beaucoup de films. J’ai appris beaucoup de choses avec ces acteurs. Je continue aujourd’hui de suivre les conseils d’Hubert Koundé (ndlr acteur réalisateur franco-béninois). Après ‘’Le prix du pardon’’ qui a eu un gros succès, je suis allée à Paris. Hubert m’a dit : ‘’Rokhaya, tu as beaucoup de talent, ce serait dommage que tu restes en Europe parce que tu n’y feras pas la carrière qu’il faut. Retourne en Afrique, ta place y est.’’ J’ai suivi son conseil et je ne le regrette pas aujourd’hui.

Madame Brouette vous a aidé à vous faire découvrir hors des frontières africaines. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Ce fut une très belle expérience. Moussa (ndlr Moussa Sène Absa, réalisateur sénégalais) m’avait choisi pour un rôle dans ‘’Le prix du pardon’’. Il a fait son casting pendant 4 mois, à Dakar, Thiès, etc. Donc, il a cherché son actrice principale pendant tout ce temps et partout en vain. Un jour, il m’a appelée et m’a demandé si j’étais disponible. Je lui ai dit oui. A ce moment, il avait déjà trouvé la petite actrice qui devait être ma fille, celle qui devait être ma copine dans le film, Ndakhté et Nago. Il ne lui manquait que Maty, c’est-à-dire le personnage que je devais interpréter.

La veille de notre rencontre, il m’a envoyé le scénario. Le jour j quand je suis arrivée, il y avait l’essentiel des acteurs. On a fait deux ou trois scènes et Moussa est monté dire à la productrice que le rôle était à moi. C’était à une semaine du tournage. Mais quand j’ai lu le scénario, je suis venue lui dire : ‘’Grand, il y a des choses qui clochent. Je ne pourrai pas faire certaines scènes’’. Il m’a dit : ‘’Je te considère comme ma petite sœur. Je ne vais pas te demander de faire des choses qui te feront baisser la tête en marchant dans la rue. Rassure-toi’’. Il a tenu parole et je n’ai pas regretté d’avoir fait ce film même si le tournage était très, très dur. Le film reposait sur moi et on tournait du lundi au samedi. On n’avait que le dimanche. Comme toujours, les gens étaient derrière moi et m’ont encadrée.

Il y a une série qui passait au Cameroun ‘’Aïssa’’ dans laquelle vous aviez le rôle principal. Du Sénégal au Cameroun, cela s’est passé comment ?

J’y jouais le rôle d’une maman et j’avais comme partenaire le Tchadien Youssouph Diawara. J’avais une fille qui était camerounaise et la fille de mon mari était d’origine togolaise. Le casting était panafricain. C’était une belle expérience.

Comment vivez-vous votre notoriété en Afrique ?

Je me considère comme une Africaine. Je ne connais pas les barrières, les frontières. Je tourne presque partout en Afrique. D’ailleurs à partir de ce 9 mars, je serai au Maroc pour tourner un film. Je serai à Casa, Ouarzazat, Rabat avant de revenir à Dakar où certaines scènes seront prises.

On vous connaît et vous reconnaît mieux à l’étranger qu’à Dakar, cela ne vous frustre pas ?

Je me dis qu’au Sénégal, si les gens ne me connaissent pas si bien que ça, c’est à cause du manque de salles de cinéma. Les gens ne voient presque pas de films africains et suivent les séries télévisuelles. Ils ne connaissent que les gens qu’ils voient à la télé. Ce sont ces acteurs qui sont les stars. Quand je sors et qu’à mes côtés il y a un de ceux-là qu’on montre dans les séries télévisuelles, les gens se bousculent pour le voir. Ce sont eux les stars. Je suis connue partout en Afrique sauf au Sénégal.

Au Burkina, quand je marche, souvent les gens veulent prendre des photos avec moi. En 2003, je suis venue au Fespaco avec deux films ‘’Madame Brouette’’ et ‘’Le prix du pardon’’ qui ont cartonné. Les gens ont du respect pour moi. Je suis bien accueillie ici.  Et les gens m’aiment beaucoup. Quand il y a eu une fête pour rendre hommage aux célébrités africaines, ma grande sœur Georgette m’a mise sur la liste. J’ai déjà eu un prix de la meilleure interprétation féminine. Au Sénégal, peut-être qu’il n’y a que les gens qui connaissent le cinéma et qui s’y intéressent qui me connaissent.

Vous tournez plus à l’extérieur parce que vous coûtez cher ou parce que vous ne tapez plus dans l’œil des réalisateurs sénégalais ?

Non pas du tout. Les gens préfèrent souvent tourner avec leurs amis. Des fois, je viens pour participer à un casting et le réalisateur me dit : j’ai demandé après toi et on m’a dit que tu n’étais pas au Sénégal. Il y a aussi le fait que quand on tourne avec certains réalisateurs, d’autres se disent que cette actrice doit coûter cher et ne viennent pas te voir. Comme on dit souvent, en Afrique, on n’aime pas les têtes d’affiche. Pourtant, c’est important d’en avoir parce que cela permet de vendre le film.

Cette année au Fespaco, vous êtes venue avec un film ‘’La forêt du Niolo’’. Ceux qui vous connaissent disent que vous vous êtes surpassée dans ce film ?

Merci, cela prouve au moins que je suis en train de progresser. Quand on choisit un métier, il faut se donner à fond et apprendre des choses sur ce que l’on fait au quotidien. Je participe à des stages et des ateliers pour me parfaire. Dans mon métier, on apprend tous les jours de nouvelles choses. J’ai fait 19 ans de carrière mais je considère que je n’ai encore rien fait dans le cinéma. Le scénario de la forêt du Niolo est fort. C’est un beau sujet. On parle des problèmes environnementaux. On se doit tous de protéger l’environnement.

Quand Adama (ndlr Adama Roamba réalisateur burkinabé) a fait appel à moi, j’ai vu qu’il y avait Papa Gérard Essomba et Kassoungué du Mali. C’était une nouvelle expérience. J’aime bien côtoyer aussi mes aînés. Ces acteurs m’ont épaulée. L’équipe technique burkinabé m’a accueillie à bras ouverts et m’a beaucoup aidée. Vous tous êtes satisfaits de mon interprétation. Moi, je ne suis jamais contente de mes films. Je me dis toujours que je pouvais mieux faire. Pour ce film-ci, il y avait beaucoup de problèmes. Le budget n’était pas bouclé. Adama n’a eu que le soutien de son pays. Finir le film a été difficile. Il a hésité à venir au Fespaco parce que le film n’était pas fini. Il est tombé malade à quelques jours du Fespaco et c’est sa femme qui a dû aller à Paris pour les derniers réglages techniques. Pour vous dire que la version montrée au Fespaco ne satisfait pas le réalisateur qui compte reprendre le montage.

Est-il facile d’être actrice ?

Ce n’est pas facile du tout. Mais comme je dis souvent à mes petites sœurs, il faut un fort caractère pour évoluer dans ce milieu. On est dans un monde vicieux. Beaucoup de gens viennent vers les actrices avec des propositions pas correctes. Certains viennent te dire qu’ils ont un scénario et vont te donner le premier rôle. Si tu es pressée, tu t’embarques dans son jeu sans réfléchir. Si tu ne fais pas attention, tu ne feras jamais carrière. Il faut savoir se faire respecter, avoir une bonne hygiène de vie. Il faut aussi de la passion pour faire du cinéma, aimer ce que l’on fait. Il faut également de la patience. On peut rester 2 à 3 ans sans faire un long métrage. Dans ces cas-là, il faut avoir de la passion et de la patience pour s’en sortir.

Ce métier est-il si prenant qu’il vous empêche d’avoir un mari ?

Parfois, on a des propositions mais ce sont des propositions de gens qui te demandent d’arrêter le métier. Moi, je ne pourrais jamais faire cela. Le cinéma est en moi. Je ne peux pas arrêter ce métier. Le mariage est bien beau. Je veux bien me marier, fonder une famille, avoir des enfants, etc. Mais avec mon métier, j’ai besoin d’un homme qui me soutient. Cela nous arrive de travailler des fois sur un scénario et que cela soit très difficile. On pleure même bien des fois en se demandant pourquoi avoir accepté ce rôle. Des moments difficiles, on en traverse beaucoup. Pendant ces périodes, on en veut à tous et on ne veut même de ce qu’on fait.

Un jour, Papa Doss m’avait dit ça. Il m’a dit : ‘’Ma fille, un jour tu pleureras en te demandant pourquoi avoir choisi tel rôle ou simplement ce métier.’’ Je l’ai vérifié à mes dépens. Lors d’un tournage au Maroc, je devais marcher sur la neige. Je n’avais pas les chaussures adéquates et à peine a-t-on commencé à tourner qu’il y a eu des problèmes techniques. Notre chef opérateur m’a demandé de ne pas bouger et de rester sur la neige pour éviter qu’il y ait des marques de pas dessus. Je me suis tenue debout pendant 20 minutes avant que l’on ne recommence à filmer. J’avais les pieds gelés. Des qu’on a fini avec la scène, j’avais les larmes aux yeux tellement j’avais mal. Après de telles choses, on a besoin d’une épaule où se reposer et de mots réconfortants. Donc, ce n’est pas que les actrices ne veulent pas se marier. On veut bien mais il nous faut des hommes compréhensifs. 

 BIGUE BOB (de retour de Ouagadougou)

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