Publié le 2 Nov 2016 - 23:06
EN PRIVE AVEC TAL B (RAPPEUR MALIEN)

‘’Le gouvernement d’IBK n’est pas à la hauteur’’

 

Il est l’une des voix sûres du rap malien. Au Sénégal pour rencontrer le rappeur français Booba, Youssouf Traoré alias Tal B, du collectif ‘’Génération RR’’, s’est confié à EnQuête. Et c’est pour parler de l’objet de sa visite à Dakar, ses relations avec le mouvement hip-hop local, son engagement musical, etc.

 

Qu’est-ce qui vous a amené à entamer une carrière musicale ?

Je peux dire que j’ai commencé en 2002. Tout le monde sait qu’il faut aimer la musique avant de se lancer dedans. J’ai commencé par interpréter des chansons. Après, je me suis retrouvé naturellement dans ce milieu. Au début, je reprenais des chansons du rappeur français Booba, de Dj Awadi et de certains rappeurs maliens. J’ai su dès le début que je voulais faire du rap. Quand j’écoutais ce que les rappeurs disaient dans leurs chansons, cela me donnait envie d’être aussi important pour ma société, ma jeunesse, mon peuple. Il ne faut pas nier le côté bling-bling qui fait chic qui m’a également attiré. L’engagement de ces rappeurs aussi m’intéressait beaucoup eu égard à tous les problèmes que vit l’Afrique et dont il faut parler.

Quelles sont les causes qui vous tiennent le plus à cœur ?

L’africanité, ma couleur, ma race sont des sujets qui m’interpellent. Dans mon nom ‘’Tal B Halala’’, vous retrouverez cet aspect-là. Cela signifie : je suis noir et fier de l’être. Quand je vois certains jeunes Africains très très complexés par cela, moi je me dis qu’il est important de revendiquer cela. Comme on dit chez nous, quelle que soit la durée d’un tronc d’arbre dans l’eau, jamais il ne se transformera en crocodile. On ne peut pas être autre chose que ce que l’on est. Alors sois toi-même. C’est l’essentiel de mon message.

Depuis vos débuts vous êtes au Mali où avez-vous changé de pays de résidence entre-temps ?

Vous savez qu’il est difficile d’exporter le rap en Afrique. En 2012, je suis venu à Dakar pour rencontrer Dj Awadi, Canabasse, Nix, Simon pour qu’ils découvrent ce que je fais. Rester dans ton pays et exporter ta musique est très difficile, surtout pour le rap. Depuis un moment, je rends grâce à Dieu, je commence à me faire connaître. Je fais presque le tour de l’Afrique et je me prépare pour aller en Europe. D’ailleurs, je suis venu à Dakar pour rencontrer Booba (ndlr un rappeur français qui était dans la capitale sénégalaise pour un concert). Il n’y a pas encore de collaboration entre nous. Je suis pour ça et pour voir aussi comment faire pour l’amener au Mali pour un concert.  

Comment comptez-vous vous y prendre pour vendre votre musique ?

Mon rap, il est très riche avec diverses sonorités de chez nous. Ma musique est très colorée avec des sonorités mandingues. Mais pas que cela. A travers par exemple le titre ‘’Yafoy’’, j’ai voulu représenter toute l’Afrique de l’Ouest en même temps. Vous y entendrez un rappeur malien qui rappe en bambara sur du rythme sénégalais. J’ai tourné le clip à Abidjan. C’était ma manière de dire bienvenue en Afrique de l’Ouest. C’est Ben Aflo, un célèbre beatmaker malien, qui l’a composé. C’est avec lui que j’ai débuté et il fait presque toutes mes musiques. J’ai sorti pour le moment deux albums et beaucoup de singles. Car ce sont ces derniers qui marchent le mieux. J’en ai sorti une centaine au moins. En 2009, j’ai sorti mon premier album ‘’Ayja mi ja’’ qui signifie ‘’que cela te plaise ou non’’. Cette année, j’ai sorti mon deuxième album dont le titre en langue française est ‘’L’avenir’’.

Comment a été accueilli ce dernier album ?

Il a été bien accueilli, même s’il y a eu un peu de polémique parce que j’ai carrément changé de style musical. Avant, j’étais plus dans les clashs. Dans cet album, je n’étais plus dans cela parce que je trouvais que nous les rappeurs maliens, avions un peu dérapé depuis un bon moment. Nous étions allés très loin en nous insultant de manière indirecte. Nous avons échangé vraiment des propos déplacés. A un moment donné, j’ai estimé qu’il ne fallait pas que nous restions sur cette lancée parce que cela ne nous amenait nulle part. J’ai pensé à parler beaucoup plus de moi, de l’avenir, de la responsabilité des jeunes au sein de la société. Pour moi, l’avenir ne se prépare pas demain mais aujourd’hui.

C’est dans cet album que vous lancez un message à IBK ?

Oui, parce qu’à un moment, il fallait vraiment que quelqu’un dise ses quatre vérités au Président. Moi, je l’ai carrément mis en featuring dans ce morceau. Il y parle et moi aussi. C’est comme un échange et c’est un single qui a bien marché. Après, je me disais que cela pouvait avoir des conséquences. J’ai dû quitter le pays pendant deux ou trois semaines. Mais après, il n’y a rien eu. C’est dans cet album qu’intervient également Dj Awadi.

Quel était le message adressé à IBK exactement ?

Je lui rappelais toutes ses belles promesses. Il avait promis 200 000 emplois aux jeunes, un ordinateur à chaque écolier, etc. Il n’a pas tenu ses promesses en sus d’avoir plongé le pays dans un chaos total. Il y a l’insécurité dans le Nord Mali. C’est l’insécurité totale dans tout le pays contrairement à ce qu’il avait promis. Il a un gouvernement qui n’est vraiment pas à la hauteur. Je lui dis dans la chanson que tous les Maliens sont fâchés. C’est dire que le  gouvernement du président IBK n’est pas à la hauteur.

Tout le monde est fâché mais on a l’impression qu’il y a quand même quelque chose qui fait que les choses n’ont pas encore explosé ?

On essaie de faire bouger les choses. On s’est levé et on s’est battu. Il y a un chroniqueur qui était comme la voix des sans-voix et qui finalement a été mis en prison. Aujourd’hui, on lui interdit de parler en public, de sortir de son quartier etc. C’est vraiment dommage pour la liberté d’expression. Le peuple fait de son mieux mais cela ne va pas.

On a l’impression que la musique  marche mieux au Mali qu’au Sénégal. Est-ce le cas ?

Je pense que l’industrie musicale au Sénégal est plus développée qu’au Mali. Il y a pas mal de talents au Mali, de bons beatmakers aussi mais l’industrie musicale n’y est pas aussi développée qu’ici. Les premiers rappeurs maliens ont viré dans autre chose. Ils ne sont pas restés dans les cultures urbaines. Ce n’est pas  comme ici où tu vois un Dj Awadi qui tient un studio, qui produit des gens, réalise des clips. Je vois Simon et Canabasse faire pareil. Ce n’est pas ainsi que cela se passe au Mali. Ce qui fait que l’industrie musicale n’y est pas développée. Il est difficile d’y promouvoir la musique. Tout y est difficile même si les gens s’efforcent de tenir.

Il en est de même pour les spectacles ?

Pour les spectacles, ça marche tant soit peu. C’est nous-mêmes qui produisons nos propres spectacles sans sponsors ni soutien de l’Etat. Nous faisons nos concerts et Dieu merci, c’est toujours plein. Il n’y a qu’au Mali où le hip-hop fait le plein dans les stades. Un concert de rap peut accueillir 17 000 à 18 000 spectateurs. Les tickets, nous les vendons entre 2000 et 5000 F Cfa. 90% de la jeunesse malienne consomment du hip-hop. On est quatre ou cinq rappeurs à faire le plein du stade Mamadou Konaté chaque année. Mais malheureusement, les singles ne se vendent pas. Les gens se l’échangent par bluetooth ou le téléchargent facilement. Cela ne se vend pas.

Pour les droits d’auteurs, il y a un système mis en place qui vous aide à recouvrer vos redevances ?

Le système n’est pas bien mis en place. L’Etat donne une somme forfaitaire seulement. Avec l’arrivée d’une maison de disque qui s’appelle ‘’Keyzit’’ maintenant, on arrive à vendre nos sons sur Itunes, Deezer, Amazone etc. Même sur ces sites de téléchargement aussi, cela marche très peu parce que les gens sont habitués au téléchargement gratuit. On vit quand même de nos cachets, de nos concerts, etc.

Pensez-vous qu’à travers une sensibilisation, vous pourriez changer les habitudes de votre public ?

Non, je ne pense pas. Il nous arrive de sortir des CD et d’être obligés de les distribuer nous-mêmes et gratuitement. On a beau les sensibiliser en leur demandant d’acheter les CD pour soutenir leurs artistes, rien n’y fait. Imaginez que je n’arrive pas à vendre 1000 CD alors que je peux réunir plus de 17 000 personnes en une soirée.

BIGUE BOB

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