Publié le 3 Dec 2015 - 18:08
EN PROCES CONTRE L’ETAT FRANCAIS

Yves Abibou ou le combat pour la révision du procès du massacre de Thiaroye 44

 

Si l’histoire de la Seconde guerre mondiale est un passé lointain dont beaucoup ont tourné la page, ce n’est pas le cas de certains. Parmi eux, il y a Yves Abibou dont le père a été un témoin et un acteur de la tragédie de Thiaroye 44. Il se bat aujourd’hui pour la reconnaissance du rôle central des tirailleurs sénégalais et pour que justice soit rendue à ces démobilisés de la Seconde guerre mondiale.

 

Les crimes de la colonisation en général et ceux de Thiaroye en 1944 contre les tirailleurs sénégalais en particulier sont imprescriptibles. C’est le sens du combat d’Yves Abibou fils d’un ancien tirailleur sénégalais du nom d’Antoine Abibou. Son père d’origine béninoise était un rescapé de la tuerie « condamné et emprisonné injustement lors des événements de Thiaroye ». 71 ans après les faits, il porte plainte contre l’Etat français qu’il accuse de travestir volontairement l’histoire, en qualifiant les victimes de cette tuerie de mutins et de propagandistes en faveur des nazis. Jugé et condamné à 10 ans de prison à l’époque, son père a été gracié 2 ans après. Il était accusé de faire la propagande des Allemands et de mener la fronde à Thiaroye. « Mon père aurait été vu avec son bonnet aller de groupe en groupe pour demander aux gens de ne pas rentrer sans leur solde. »  

Yves Abibou est un homme de 63 ans qui a été professeur à l’école normale de Mbour, en 1975. Qui ne comprend d’ailleurs pas pourquoi les écoles normales ont été dissoutes, compte tenu de l’excellence des enseignements qu’elles prodiguaient. Ainsi, c’est accompagné de ses deux fils qu’il a débarqués à EnQuête, le vendredi 28 octobre 2015. Le combat qu’il mène l’a amené à Dakar. Son seul objectif : « Que la vérité soit dite sur les événements tragiques qui se sont passés le 1er décembre 1944, à Thiaroye ». Pour cela, avec d’autres, il a engagé un combat judiciaire contre l’Etat français.  « Pendant 40 voire 50 ans, j’ai essayé de fuir le sujet et voilà que l’histoire me rattrape aujourd’hui. » Pendant longtemps, Yves a considéré cette histoire comme une affaire ordinaire sinon banale, malgré les récits de son père sur l’horreur que fut la seconde guerre mondiale, notamment, pour les Africains.

Mais tout a changé lorsqu’un journaliste du nom de Raphaël a voulu écrire un livre sur les tirailleurs sénégalais. Dans ses recherches, il a découvert le nom d’Antoine Abibou qui occupait une place primordiale dans l’affaire de la « mutinerie » de Thiaroye,  car étant celui qui avait la plus lourde peine parmi les rescapés. Une autre chercheuse sur le même sujet du nom d’Armelle Mabon a aussi retrouvé les traces d’Antoine comme l’un des personnages les plus importants dans cette affaire. Autant de rencontres et d’autres qui l’ont convaincu à se lancer dans ce combat contre « l’injustice et la transformation de l’histoire ».

« Mon fils et moi avons, depuis un peu plus d’un an, découvert dans les archives militaires de Poitiers toutes les pièces du procès de mon père. A travers ces documents, je découvre que tout ce qu’il me racontait en 1958, il l’avait dit au moment de son jugement. Il m’avait raconté son nom de clandestinité quand il s’est évadé des prisons des nazis. Il avait pris le nom d’un de ses camarades musulmans Aladji Karamoko tué aux combats. Il raconte tout ça lors du procès, mais les juges disent que c’est de la fabulation.  Ce sont les mêmes personnes qui avaient tiré sur eux qui les jugeaient. Ce qui fait qu’ils n’avaient pas voulu entendre et ils disaient qu’il est un type qui fait la propagande pour les Allemands », a-t-il confié d’une voix posée.

Réponse de la cour de Cassation de Paris attendue le 14 décembre prochain

Aujourd’hui, il se bat pour que le procès de son père soit révisé. Après quelques victoires judiciaires, ils sont loin du compte mais espèrent un verdict favorable de la cour de révision de la cour de Cassation de Paris. «J’ai fait une requête à la cour de Cassation et j’ai demandé qu’on révise le procès. Il y avait deux barrages, on a franchi le premier. Il reste le second. Mais l’histoire a montré qu’il est difficile de franchir cet obstacle. On attend la réponse pour le 14 décembre prochain, pour savoir si le procès d’Antoine Abibou sera révisé ou non. Si on réussit, ça va remuer les cendres et les pleurs de toute l’Afrique », dit-il. Fort des archives et des travaux de recherche de la chercheuse Armelle Mabon, Yves Abibou espère que justice sera rendue à son père et à toutes les victimes africaines de la colonisation et du massacre de Thiaroye. Et que la lumière sera faite sur le nombre exact de victimes.

En effet, il juge ‘’inacceptable’’ la thèse des Français qui transforme un crime d’Etat en un simple matage de tirailleurs. Avocat des victimes à l’époque, l’ancien président de l’Assemblée nationale du Sénégal Lamine Guèye n’échappe pas à la colère d’Yves Abibou.  Il l’accuse d’avoir utilisé les mêmes arguments pour défendre ses clients. « Lamine Guèye n’est pas un héros. Sa thèse lui aussi était de dire que ce sont des illettrés qui n’ont rien compris. Ils ont suivi des meneurs, sans comprendre. Je suis très fâché contre ce monsieur car les victimes étaient dignes et ils réclamaient leur dû simplement ». M. Abibou de conclure : « Il y a des choses qu’il faut rétablir. On a transformé les victimes en coupables. Quand j’étais gamin, j’étais sidéré que mon père soit Gaulliste. Ils ont fait la guerre ensemble, ce qui fait qu’il était fier de lui, sans jamais savoir que c’est le général lui-même et le gouvernement provisoire qui ont couvert cette triste histoire de Thiaroye. »      

ABDOURAHIM BARRY (STAGIAIRE)

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