Publié le 17 Jun 2017 - 00:49
EN VERITE AVEC CHEIKH TIDIANE GADIO, TETE DE LISTE COALITION SENEGAAL DEY DEM

‘’J’ai des doutes sur la faisabilité pratique des élections’’

 

De gros nuages planent sur le scrutin du 30 juillet à venir. Le déroulement du vote, avec les 47 listes en compétition, est une équation qui n’est pas encore résolue. Cheikh Tidiane Gadio accuse l’Etat de n’avoir pas fait le travail en amont qui aurait permis d’aborder ces Législatives avec sérénité. Dans cet entretien, il revient sur sa rupture avec Abdoulaye Baldé, passe au crible le régime hyper présidentialiste, aborde le rôle qu’il a joué dans la chute du régime libéral. Il évalue les chances de sa coalition Senegaal Dey Dem, entre autres questions liées aux Législatives.

 

47 listes vont en compétition pour ces Législatives. Ne trouvez-vous pas cette pléthore problématique ?

D’abord, je me pose des questions sur la faisabilité pratique des élections. Au Sénégal, on a l’habitude d’organiser des élections dans des salles de classe, un peu partout dans le pays. Quand je vois la dimension des salles de classe, et voir les organisateurs devoir mettre une cinquantaine de chaises dans une seule salle, avec 47 représentants des 47 listes, dans chaque bureau de vote, plus le ministère de l’Intérieur, la CENA, les assesseurs, etc. Avec tout ce beau monde, quand l’électeur va ouvrir la porte, il va être tellement impressionné qu’il peut même être décontenancé (rire). Ça, c’est pour sourire un peu, mais je trouve que la faisabilité pose problème. Si toutes les coalitions annoncées sont conséquentes et respectueuses de la dynamique électorale, chacune d’entre elles doit préparer autant de représentants que de bureaux de vote. Parce qu’au Sénégal, je le dis parce que j’en sais quelque chose, si vous n’êtes pas représenté dans un bureau de vote, je ne garantis rien du tout. Il faut être présent et surveiller votre vote. Si vous avez 3 bulletins, qu’on vous donne vos 3 bulletins. Si  vous en avez 100, qu’on vous donne vos 100.

L’autre aspect maintenant est que si vous faites les calculs d’un vote à 47 bulletins, le temps d’identifier votre nom, d’aller récupérer les bulletins, d’aller à l’isoloir, revenir voter. Si vous faites ça dans la sérénité et non dans une course de vitesse, vous avez besoin de 5 mn à 6 mn. Avec 6 mn, c’est 10 votants par heure. Est-ce que vous imaginez des bureaux de vote de 300 personnes ; si au bout de 10 heures, il n’y a que 100 personnes qui ont voté. Qu’est-ce qu’on fait des autres. Je me pose de sérieuses questions. C’est pourquoi je dis qu’il est urgent que l’on s’assied, que l’on discute et entre Sénégalais, patriotes, démocrates qui respectent leur pays, qu’on trouve une solution. Certains disent que la solution, c’est le report. Report pourquoi ? Si on reporte et qu’on garde les 47 listes, on reporte le problème, on ne le résout pas.

Donc, ce n’est pas l’enjeu. L’enjeu, c’est pourquoi on est arrivé à 47 listes. Certains ont accusé le régime. Je dis bien certains. Je ne garantis pas qu’ils ont raison, je ne dis pas qu’ils ont tort non plus. Certains accusent le régime d’avoir fait confectionner des listes pour ensuite brouiller les cartes et rendre ces élections quasiment non faisables. Certains parlent de 20 listes qui seraient sponsorisées par le gouvernement dont on a payé la caution des participants. Ils ont été tellement durs dans la critique qu’ils ont voulu voir les listes alternatives comme les nôtres, comme étant aussi des listes de Macky Sall. J’ai dit : quand même, soyons sérieux. Le Président Macky et moi, on se respecte assez pour ne pas avoir ce genre de pratiques entre nous. Nous avons payé notre caution avec nos propres moyens, nos propres ressources, avec fierté et dignité, en tant que Sénégalais. On n’a pas besoin d’aller au palais le jour ou la nuit. On n’a pas besoin de rencontrer le Président à l’extérieur ou à l’intérieur du pays. Depuis 2014, nous ne nous sommes pas assis pour parler politique. Je le dis encore une fois, que les gens soient respectueux des gens et arrêtent de dire n’importe quoi sur n’importe qui. Nous ne sommes pas fabriqués de cette façon.

Pour régler la question des listes, il y a la solution du bulletin unique. Les gens auraient dû en discuter en amont. Comment expliquez-vous que cela n’ait pas été fait ?

Un bulletin unique avec 47 coalitions, vous avez besoin d’un bulletin d’un mètre sur un mètre. Quand vous le posez sur la table, nos parents paysans, surtout les Sérères (rire), comment est-ce qu’ils vont reconnaître leur candidat, leur coalition, pour pouvoir apposer ou mettre le doigt sur le cercle qui concerne leur candidat  avec de l’encre indélébile; ou bien cocher avec un stylo. C’est tellement laborieux et fastidieux. Une liste unique de 10 candidats, c’est gérable ; 12 candidats peut-être, mais 47 candidats ! Je pense que là aussi, on n’est pas sorti de l’auberge, en proposant une liste unique. Le vote électronique qu’on a en Inde où n’importe qui peut voter partout, venir choisir, appuyer sur un bouton et partir. Si, par exemple, on avait ces machines, vous trouvez que notre coalition, c’est le numéro 41 et vous venez, vous appuyez sur le bouton 41. Je veux dire, on a un problème, mais il n’y a aucun problème qui ne soit sans solution. Si la sérénité est là, le sérieux et la volonté effective de réussir ces élections, on peut venir s’asseoir et trouver une solution et le plus rapidement possible.

Qu’est-ce que vous préconisez ?

Nous sommes en train de réfléchir, comme tout le monde. D’abord, nous attirons l’attention sur la difficulté. On nous a fait part de certaines propositions ; on n’a pas accepté. L’idée de permettre à quelqu’un de choisir 3, 5, ou 10 bulletins seulement, ça viole le secret du vote. Parce que vous prenez ouvertement devant tout le monde ces bulletins. Ensuite l’électeur qui vient et qu’il y a des piles qui n’ont pas bougé et d’autres qui s’effritent, ça peut être une invitation au vote utile. Par exemple, il peut dire : j’adore telle coalition, mais je ne vois personne voter pour eux, je vais voter pour d’autres, ça aussi influence le vote. Nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Nous n’avons pas encore la solution en or qui règle tous les problèmes, mais nous sommes en train d’y réfléchir ; peut-être que l’on fera des propositions comme tout le monde. Mais si on accepte le concept de concertation autour des difficultés, que l’on ait le courage de reconnaître qu’il y a des difficultés, là peut-être, on trouvera ensemble des solutions.

On parle également de risque de confusion de listes, partagez-vous cet avis ?

D’abord, il y a les homonymies qui vont poser beaucoup de problèmes. Vous avez 3 listes  ‘‘manko’’, deux listes ‘’wàttu’’, 2 listes qui utilisent le concept de troisième voix, 5 ou 6 listes qui utilisent le concept de ‘’askan’’. On n’est pas sorti de l’auberge. C’était le risque à courir avec 47 coalitions. Il y a ça. Il y aura effectivement beaucoup de confusions, de gens qui vont voter des listes qu’ils ne souhaitaient pas soutenir. Globalement parlant, on a des difficultés. Alors que les élections, cela devrait être des questions techniques, des détails réglés comme une montre en amont.

Craignez-vous un fort taux  d’abstention comme en France ?

Ceux qui pensent que ceux qui ont suscité des listes tout à fait fantaisistes, l’ont fait à dessein pour saboter les élections. Et pour faire que les Sénégalais expriment un dégoût, un rejet global de toute la classe politique, et mettent tout le monde dans le même sac. Ce qui n’est pas juste. La conséquence est que beaucoup risquent de rester chez eux. Je ne vois pas la jeunesse sénégalaise se mobiliser avec un grand engouement pour ce genre de spectacle. Ils traitent la scène politique comme un spectacle, prennent tous ces gens comme… Ce n’est pas bien. Il y a une très forte crainte d’une grande abstention, comme ce qui s’est passé en France, et cela discrédite les institutions. Je crois qu’on doit faire un sursaut et prendre les choses un peu plus au sérieux et comprendre que le Sénégal mérite plus et mieux.

Les investitures se sont révélées difficiles pour beaucoup de coalitions, comment cela s’est passé au sein de la vôtre ?

Les mêmes difficultés que partout. C’était une expérience riche, intéressante et parfois pénible. Je me disais que de grands leaders politiques qui s’engagent dans une dynamique de coalitions comprennent fondamentalement que c’est une dynamique de concession, de compromis et parfois de compromis difficiles. Peut-être que c’est ma nature qui me pose problème ; moi, je suis franchement parfois très désintéressé quand il s’agit de négocier des positions, des postes et autres. Ce n’est vraiment pas mon style. C’est pour cela que j’étais un peu surpris de voir comment les gens défendaient becs et ongles certaines positions. J’ai appris énormément de choses. Je vois que la politique et la nature humaine, il y a des complexités à saisir et à comprendre.

Pourquoi cela ne s’est pas fait avec Abdoulaye Baldé ?

Avec mon frère Abdoulaye Baldé de Ziguinchor, on a toujours eu une relation très cordiale, fraternelle, jamais eu aucune contradiction fondamentale du temps du régime de Wade. Donc au moment où on a pensé qu’on avait assez d’affinités pour essayer de monter une coalition ensemble, on était tellement sûr de notre affaire qu’on a appelé la presse pour informer que nous voulions aller ensemble. Que nous voulions mettre en place une coalition. On n’avait même pas annoncé le nom de la coalition, car pour nous, l’urgence était de monter la coalition. On l’a fait. Dans les discussions des plénipotentiaires, c’est là où les choses ont capoté, contrairement à ce que certains ont dit, que c’était une histoire de qui voulait être tête de liste nationale…

C’était quoi le problème ?

Le problème, c’est ce que j’appelle les contradictions entre les plénipotentiaires. Un des plénipotentiaires d’un des mouvements - je  ne dirai pas lequel par esprit de justice - est venu à une réunion, au lendemain de l’annonce de notre volonté d’aller ensemble, et a exigé qu’on décide toute de suite qui allait être tête de liste, sinon ils allaient suspendre leur participation. Les autres plénipotentiaires s’en sont offusqués et ont dit : ‘’Si c’est ça, vous partez. Faites ce que vous voulez. Suspendez, mais ce n’est pas à nous de décider de cette question, car elle appartient aux leaders’’. J’étais en déplacement et d’après ce que l’on m’a dit, deux jours après, la même personne aurait appelé les autres plénipotentiaires pour leur dire : ‘’Si tel est le cas, nous, on se retire de la coalition.’’ De retour de France, j’ai été informé. Le même jour, j’ai rencontré mon ami Guirassy, parce que notre ami Baldé était encore en Casamance. On a échangé. Après, on a dit, tous les trois leaders, qu’on va essayer d’aplanir toutes ces divergences pour trouver une solution. Quand moi je suis retourné vers mes autres alliés, ils m’ont dit qu’ils ne feront aucune concession sur le comportement de la personne en question. Qu’ils ne veulent pas revenir là-dessus. Je me suis battu, mais je n’ai pas réussi à les convaincre et on n’a pas réussi à colmater les brèches. C’est à ce moment qu’on a constaté la mésentente. Chacun est parti de son côté. On n’a pas communiqué là-dessus. Malheureusement, d’autres ont voulu le faire de façon très négative.

Donc tout ce qui a été dit était loin de la vérité ?

Loin de la vérité ! Ils disent que Gadio a quitté, a boudé la coalition. Ce qui est amusant dans cela, c’est que tu quittes une coalition à laquelle tu appartiens. Celle qu’ils ont annoncée par la suite, je n’étais pas membre initiateur fondateur. Je n’étais en rien mêlé à cette coalition, parce qu’avec les autres membres de la coalition qu’on avait annoncée, on a monté une coalition. Il  y eu des propos aigres-doux malheureux qui ont été échangés. Mais les personnes qui me connaissent savent que je ne dirai jamais des choses comme ça par rapport à Baldé ou Guirassy. Je continue de les considérer comme des gens très décents qui veulent servir leurs pays. On n’est pas toujours d’accord sur un certain nombre de questions, mais si vous voulez quelqu’un qui est d’accord avec vous à 100%, vous risquez d’être seul.  Je n’ai pas de problème de ce point de vue et je leur souhaite vraiment bonne chance. Nous n’allons pas nous, monter notre coalition, verser notre caution, parce qu’on veut venir combattre Abdoulaye Baldé. Ça n’a aucun sens. Notre mobilisation, c’est qu’on croit que l’institution parlementaire a été vilipendée, dénigrée, dévalorisée au Sénégal. Il est urgent, si nous voulons être l’exception démocratique en Afrique, qu’on revalorise nos trois institutions piliers de la démocratie. C’est le Parlement, l’Exécutif et le Judiciaire. Nous sommes très mécontents de l’Exécutif dans notre pays… 

En quoi ?

Parce que notre Constitution héritée de la 5e République française est une Constitution qui crée un monarque républicain. Le président de la République, issu du système de la 5e République en France, est un monarque. C’est un roi qui porte les habits d’un Président. En vérité, c’est quelqu’un qui a droit de vie et de mort sur tout le monde, y compris sur les autres institutions. C’est le patron même du Parlement. Vous avez vu ici au Sénégal, sans aucune gêne, on nous a dit que BBY, ne pouvant pas s’entendre sur les investitures, carte blanche a été donnée au Président Macky Sall pour gérer ce problème et trancher. Donc, ça veut dire qu’on ne se cache même pas du fait que le président de la République, le chef de l’Exécutif, c’est lui qui ordonne, organise la liste de la majorité pour que demain, ces députés lui doivent tout.

Ce n’est pas gênant de voir aussi, dans notre pays, des leaders de groupe parlementaire appartenant à la majorité présidentielle se rendre au Palais pour discuter avec le Chef de l’Etat. Si c’est pour prendre des instructions, ce n’est pas ça qu’on voulait. Si c’est des parlementaires qui, au nom des intérêts du peuple, comme ça se fait dans les grandes démocraties, interpellent l’Exécutif et le chef de l’Etat et demandent à le rencontrer pour qu’ils discutent, ça, c’est bien, parce que ça, c’est sain. Au total, notre Exécutif doit être réformé. Le Sénégal a besoin d’une nouvelle Constitution qui diminue de façon sérieuse les pouvoirs exorbitants donnés au chef de l’Etat, Chef suprême des armées, Président du conseil supérieur de la magistrature. C’est lui qui définit la politique de la nation à l’intérieur comme à l’extérieur. C’est lui qui fait quasiment tous les arbitrages, y compris ce qu’on ne dit pas souvent aux Sénégalais, à savoir les arbitrages budgétaires.  Le ministre des Finances, le Premier ministre prennent tous les dossiers, vont voir le Président et lui, comme on dit, ‘mooy doggal’, il prend les décisions. La conséquence de tous cela, c’est que pour un être humain normal, avoir toutes ces charges sur vous et avoir un entourage qui vous parle comme si vous étiez le cousin du Bon Dieu, il faut être extrêmement solide pour pouvoir résister à tout cela et à la tentation.

De la même manière, ne faisant pas confiance en l’être humain qui est foncièrement limité sur ces question-là, les grandes démocraties préfèrent, quels que soient votre intégrité, votre honnêteté, votre volonté de servir votre pays, vous mettre ce qu’on appelle des garde-fous. En anglais, ils appellent ça les ‘’checks and balances’’. C’est-à-dire, il y a un système qui permet de rééquilibrer et de contrôler votre  action. Mais nous, dans notre système, qui contrôle l’action du Chef de l’Etat ? Qui peut le ramener à l’ordre ? C’est pourquoi on propose qu’on ait une Cour suprême nouvelle, gardienne de la Constitution. Qu’on arrête au Sénégal d’appeler le président de la République gardien de la Constitution. Comment il peut garder la Constitution qui le garde lui-même, qui surveille son action, ses pouvoirs, qui veut limiter ses pouvoirs, qui contrôle si ses décisions sont conformes à la Constitution. Il ne peut pas être juge et partie. Donc, il faut que la Constitution soit dégagée de la présidence de la République et qu’elle soit l’affaire de la Cour suprême qui arbitre et peut même prendre les réclamations et complaintes des citoyens, des groupes organisés, des partis politiques…

Cette situation ne date pas d’aujourd’hui. Vous avez longtemps été  dans le gouvernement de Wade. On peut vous faire le reproche de n’avoir rien dit et d’avoir laissé la chose perdurer. Comment comptez-vous remédier à cette situation aujourd’hui, étant entendu que tout Président va toujours vouloir accaparer tous les pouvoirs ? 

Plusieurs questions dans une seule question (rires). Nous ne disons pas que l’actuel régime est responsable de la concentration des pouvoirs exorbitants entre les mains d’un seul chef d’Etat. Nous ne l’avons jamais dit. Nos écrits, dans les années 80, si vous faites la fouille et les retrouvez, avaient dénoncé copieusement le dauphinat entre le Président Senghor et le Président Diouf. Nous disions, à l’époque, que c’était une dévolution monarchique de notre Constitution issue de la 5e  République.

Donc, vous voyez clairement que nous n’accusons pas un régime en particulier, mais un système mis en place depuis plus d’un demi-siècle et qui nous a valu quelques avantages : la stabilité qui est une bonne chose. De l’autre côté aussi, il y a des choses regrettables. Quand Senghor décide de partir, il compétit dans une élection, se donne un mandat de cinq ans, modifie notre Constitution. Le Président de l’Assemblée nationale n’assure plus l’intérim du pouvoir du Président démissionnaire, malade ou décédé, mais le Premier ministre assure l’intérim et termine le mandat en cours. C’était vraiment plus que taillé sur mesure pour que le Président Abdou Diouf puisse remplacer le président Senghor. Par la suite, on a vu que le Président Abdou Diouf a eu les moyens, avec cette Constitution, de faire 19 ans au pouvoir. Il a été Premier ministre pendant 10 ans ; cela fait 29 ans quasiment à la tête du Sénégal et ça aussi, c’est beaucoup.

Le Président Abdoulaye  Wade, effectivement, nous avons travaillé ensemble, mais au plan essentiellement de la diplomatie. Parfois, les gens semblent penser qu’un ministre a autant de pouvoir qu’un Chef d’Etat pour orienter un régime et prendre des décisions. Ce qui n’est pas le cas. Un ministre, si on vous donne un secteur précis : Environnement, Santé, Enseignement, Diplomatie, Forces armées…, on vous définit les termes de votre mission. Mais la marche générale d’un pays et les décisions d’un chef de l’Etat…

A moins qu’on pense que le régime tourne à des dérives fascistes et qu’on reste dans ce régime-là, on est condamnable. Ce qui, fondamentalement d’ailleurs, a fait ma divergence avec le régime, c’est le tournant de la dévolution monarchique. J’ai opposé une farouche résistance à l’intérieur. J’ai fait tout ce que je devais faire pour montrer que je m’y opposerais, que c’est une question pour moi de principe et je combattrais jusqu’au bout ce projet. C’est ce que j’ai fait et je pense que ma contribution a été très importante, en 2012, pour réussir à contrer la dévolution monarchique. Le Président Wade lui-même, dans une discussion que nous avons eue, a reconnu le rôle extrêmement important voire capitale - je pèse bien mes mots - que j’ai joué pour le faire partir du pouvoir (rire). Il ne m’en a pas voulu. Il a trouvé que c’était bien de le combattre pour des convictions. Mais en même temps, il m’a dit qu’il pense que je m’étais trompé sur ses intentions. Que lui ne voulait pas faire une dévolution du pouvoir telle que je le pensais. Moi, j’ai maintenu mes convictions jusqu’à présent. Lui a maintenu ses convictions et nous avons gardé de bonnes relations humaines.

Contrairement à beaucoup d’ailleurs  qui me critiquent sur ces questions, eux étaient complétement silencieux, quand j’étais parmi les premiers et même je crois celui qui a été le plus précis. Les gens parlaient de dévolution monarchique. Ce n’était pas la première fois. Pour moi, la passation de pouvoir entre Senghor Diouf est une dévolution monarchique. C’est-à-dire, la personne qui avait le pouvoir décide de le passer à une autre personne qu’elle choisit. C’est cela la dévolution monarchique. Moi, je parlais de dévolution dynastique. C’est-à-dire, un chef d’Etat se réveille un jour et se dit : mais, au fond, moi, mon fils peut me remplacer. Et si mon fils me remplace, c’est bien et ma famille reste au pouvoir et il sera une continuation de mon pouvoir. On a vu ici des choses extraordinaires : le palais rempli de cadres, d’intellectuels de tous les niveaux venir prêter allégeance à la fameuse Génération du concret ; prêter allégeance au projet présidentiel. Moi, comme d’autres, avons dit Non. Avec le Président Wade, on s’est quitté dans des termes que tout le monde sait. Ensuite, je me suis dit qu’il faut que je m’engage dans le combat contre la dévolution dynastique et pense avoir apporté une contribution importante.

Pour en revenir avec la législature qui se termine et qui cristallise toutes les critiques, personnellement, quel regard portez-vous sur son bilan ?

Une législature est venue, est passée et n’a posé aucun acte fondamental qui casse la baraque, qui frappe les mémoires et les imaginations et qui reste dans l’histoire du Sénégal. Faites un sondage dans la rue, demandez quel acte majeur ils ont posé, vous risquez de repartir avec zéro réponse. Par contre, on a vu des spectacles qui n’ont pas tellement honoré le pays en termes de langage, de comportements. Tout le monde était pressé - quand un peuple fait une erreur, il ne peut pas se désavouer, mais il est pressé que le cycle de cette erreur se referme rapidement - que cette législature se termine et qu’on passe à des choses sérieuses. Choses sérieuses, c’est la législature qu’on souhaite voir mettre en place. Si le Président avait respecté son engagement de faire un mandat de cinq ans, on aurait eu une toute nouvelle législature. Mais là, on a une législature qui va couvrir deux ans et qui normalement doit couvrir cinq ans, mais tout le monde sait qu’il y a une échéance intermédiaire qui peut changer toute la donne et qui peut changer un peu l’orientation de cette législature. Est-ce qu’elle sera une législature de redressement de la mission du Parlement du Sénégal ?

C’est ce que vous souhaitez ?

C’est ce que nous souhaitons vraiment. On est un peu malheureux, à cause de l’agencement de ces élections. Beaucoup de participants, beaucoup de candidats, beaucoup de listes pensent qu’en réalité, c’est un échauffement, une répétition générale pour la présidentielle. Donc, au lieu de nous donner le débat que nous cherchons au Sénégal, un débat sur l’institution parlementaire, sa mission, ses fonctions, son éthique, les attentes de populations, les nouvelles pratiques qui sont attendues d’un parlement au service du peuple et au service de la démocratie ; on risque d’avoir un débat autour du bilan du pouvoir en place. Le régime va se défendre, les autres vont attaquer. On ne parlera plus du Parlement, ni de l’éthique du Parlement, de ce qui est attendu et ça, ce serait très dommage.

En politique, tout est rapport de forces. Est-ce que votre coalition fait le poids ?

La masse des citoyens est maltraitée comme étant du bétail électoral par les grandes coalitions et formations politiques. Elles utilisent l’argent et corrompent et trompent les populations. Conséquences, les citoyens ont des rapports malsains avec ces grandes formations et coalitions politiques. Les populations font tout pour entrer en possession de cet argent, car elles se disent qu’en réalité, c’est leur agent. L’autre conséquence, c’est la démission de ces citoyens dans la construction de notre Sénégal. Nous passons notre temps à faire de la politique, à débattre dans les radios et télés. Il y a des stars connues dans les télés. Les Américains les appellent les ‘’talking heads’’ (les têtes qui parlent). Ce sont les mêmes têtes qui racontent toujours les mêmes histoires, les mêmes problèmes.

Fatou Sow Sarr est connue pour son engagement dans la société civile. Comment l’avez-vous convaincue à rejoindre votre coalition ?

(Rires). Ça, c’est une très bonne question, mais qui normalement serait mieux destinée à Fatou Sow Sarr qu’à moi. Mais nous nous connaissons depuis très longtemps ; beaucoup de respect mutuel. Avec elle, nous avons construit ensemble l’Institut panafricain de Stratégies (IPS). On a travaillé ensemble au sein de l’Union africaine pour la bataille pour la parité. J’ai mené cette bataille en commission. J’étais ministre des Affaires étrangères et nous avons obtenu la parité. Grâce d’abord à la directive du Président Abdoulaye Wade et grâce à d’autres femmes ‘’activistes’’, à l’image de Fatou Sow Sarr et de Binta Diop qui avaient fait un excellent travail avec ses camarades. C’est vrai qu’elle ne voulait pas s’impliquer dans la politique en tant que telle, mais je pense qu’elle a aussi compris que nous ne sommes pas des politiciens professionnels. Mais que nous sommes, en tant que citoyens, des politiques et non des politiciens professionnels. Nous les citoyens qui comprenons les enjeux, nous avons le devoir et même l’obligation que notre pays soit géré correctement, que les bonnes décisions soient prises. Mais les politiciens professionnels sont ceux-là qui n’ont rien d’autre à faire. Ils n’ont de compétences ailleurs qu’en politique. Ils ne vivent que de la politique et organisent leurs familles autour de ça. Je les comprends et les respecte. C’est une race humaine très spéciale. Mais moi, je ne voudrais pas rejoindre ce groupe-là, je voudrais rester et défendre mes convictions. Il est possible de servir son pays, sans se servir.

Mais à un moment, vous étiez très proche du président de la République. Qu’est-ce que s’est passé pour que vos relations soient distendues ?

Mais, jusqu’à présent, on a cette même proximité. Parce qu’en réalité, il s’agissait d’une proximité humaine. On n’était pas dans le même parti, on n’avait pas la même vision. Je ne sais pas si vous êtes au courant, je n’ai jamais milité au PDS. J’ai traversé 9 ans et demi le régime de Wade ; je m’étais abstenu de faire la politique. Je ne suis pas entré au PDS. Le Président Sall, à l’époque, était au PDS, ensuite dans l’APR. Je ne partageais pas globalement leur vision sur un certain nombre de questions. Mais sur d’autres, on avait des convergences. Mais humainement, on a toujours été proches. Je le considère comme un frère et un ami. Je souhaite que rien de mal ne lui arrive en tant que personne. Mais, en tant qu’hommes politiques, nous sommes, malheureusement, à cause de l’évolution et l’approfondissement des divergences, en rupture complète. Je pense que sa gouvernance politique du Sénégal n’est pas bonne. Le pays a besoin d’une rupture et de changement, et je ne pense pas qu’il soit le porteur de ces changements. Mais ça ne fera pas que je le traite en ennemi ou un adversaire acharné.  

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