Publié le 2 Nov 2018 - 22:31
ENQUETE SUR LA PUBLICATION DES CONTRATS

L’aversion à la transparence dans le secteur extractif

 

La société civile s’est également réunie, hier, à Dakar, pour vilipender les mauvais élèves en matière de transparence des contrats miniers, pétroliers et gaziers.

 

C’est à croire que la transparence n’est vraiment pas la tasse de thé des multinationales, en particulier celles évoluant dans les industries extractives. Du moins pour la plupart, car il y a bien quelques exceptions. C’est ce qui ressort, en tout cas, de l’enquête menée par l’organisation non gouvernementale Oxfam International sur la publication des contrats dans les secteurs pétrolier, gazier et minier. ‘’Sur les 40 entreprises étudiées, 22 ne disposaient d'aucune déclaration de principe sur la publication des contrats ou de déclarations contre la publication. La majorité de ces sociétés (13) sont des entreprises soutenant l'Itie, mais leur soutien à la transparence via l'Itie ne semble pas s'étendre au sujet de la publication des contrats’’, lit-on dans le rapport qui ajoute : ‘’Ceci, malgré le fait que la plupart des entreprises ont déjà des contrats dans le domaine public, opèrent dans au moins un pays qui exige légalement la publication des contrats et soutenant la transparence via l'Itie et leur adhésion à des principales associations de l’industrie.’’

Peu d’entreprises ont montré leur engagement pour la transparence des contrats

L’autre enseignement soulevé par le rapport c’est que, rarement, la volonté de rendre public les contrats a émané des entreprises. Si les Etats ne les y obligent pas par la loi, elles préfèrent maintenir l’opacité, dissimuler le contenu des contrats au grand public. Le document informe : ‘’Un petit nombre d’entreprises ont manifesté leur engagement pour la transparence des contrats par des déclarations publiques, l’adoption de politiques publiques concrètes ou, dans certains cas, la publication proactive des contrats.’’ Mais ce n’est pas tout. Il ressort également de l’enquête que la majorité des entreprises évaluées ne disposent pas de politiques concrètes et accusent un retard en ce qui concerne la transparence des contrats. ‘’Nos entretiens révèlent que seule une poignée d’entreprises ont contribué à favoriser la publication des contrats à l’échelle internationale. La vaste majorité des sociétés n’ont pas daigné emboîter le pas aux institutions financières publiques, aux Nations Unies, aux gouvernements et à leurs homologues ayant adhéré à l’initiative’’, souligne le rapport qui montre cependant que ‘’près de la moitié des entreprises évaluées (18/40) ont fait des déclarations en faveur de la publication des contrats.

Kosmos Energy et Tullow Oil ont les politiques et les pratiques les plus avancées. Ce sont les deux seules entreprises, selon Oxfam, qui ont mis en place des politiques de publication des contrats et ont publié les contrats sur leurs sites Web.

Kosmos et Tullow, les meilleurs élèves, Total à la traine

Ainsi, parmi les entreprises qui opèrent au Sénégal, on peut retenir que l’Américaine Kosmos Energy arrive en tête dans le classement. Elle est la seule entreprise qui préfère, selon les exposants, la publication des contrats à titre de politique et de pratique et qui publie de manière proactive ses contrats sur son site Web. Mieux, les différents participants de la société civile ont salué le travail de l’entreprise qui, souvent, prend l’initiative de les rencontrer pour leur donner la bonne information. ‘’Kosmos, d’après le rapport, offre un accès direct aux contrats pétroliers et aux accords de partage de production (Psa) sur son site Web, pour les opérations des neuf pays où elle opère. En outre, la société déclare également un engagement général à préconiser la transparence dans ses transactions avec les gouvernements hôtes’’.

En seconde position, vient l’Anglo-Irlandaise Tullow Oil qui a publié, elle aussi, sur son site Web des accords pétroliers relatifs à ses activités au Ghana. L’entreprise ‘’publie également les actes de concession associés, permettant aux citoyens de suivre l’évolution de la propriété des projets régis par les contrats divulgués’’. Elle a indiqué aux enquêteurs qu’elle travaillait ‘’à l’amélioration de cette politique en vue d’une mise en œuvre plus efficace. Tullow a promis de prendre des mesures afin de s’assurer que tous les gouvernements et les partenaires au sein d’un projet ont connaissance de sa politique et des avantages de la publication’’.

 Quant à l’autre major ayant pignon sur rue, Total, il traine. Même si, officiellement, elle soutient la politique des Etats à publier les contrats, l’entreprise française semble bien loin de Kosmos et de Tullow dans le classement des meilleurs élèves en la matière. Son représentant à la cérémonie de restitution a défendu que leur option est de se soumettre aux volontés des pays hôtes. ‘’Quand les lois du pays l’exigent, nous n’avons aucun problème avec. D’ailleurs, nous sommes pour. Mais nous ne pouvons le faire, alors que nos concurrents peuvent ne pas s’y soumettre. C’est pourquoi, nous, nous demandons aux gouvernements de légiférer pour que la norme soit la même pour tout le monde’’, s’est défendu Jean François. Pour Oxfam, la société française fait certes des efforts, mais pourrait mieux faire en divulguant de manière proactive les contrats.

Les limites de la norme Itie

Au-delà du comportement des entreprises, c’est la norme Itie même qu’il faut revoir et adapter aux exigences du moment, si l’on en croit certains acteurs. ‘’L'Itie, mentionne le document, est en train de rater des opportunités d'engager les entreprises à accompagner les pays dans la mise en œuvre des exigences de publication des contrats. Plusieurs pays participant à l’Itie ont dépassé ses exigences, non seulement en adoptant des lois et des politiques de publication, mais aussi en créant des portails de publication et en publiant des contrats’’. L’institution, selon Oxfam, devrait ainsi réactualiser sa norme afin de rendre obligatoire la publication des contrats. ‘’L’Initiative devrait exiger des membres des collèges, entreprises et gouvernement de son Conseil d’administration ainsi que des entreprises soutenant l’Itie d’afficher publiquement leurs positions relativement à la publication des contrats, et ce à titre de condition préalable à leur admission’’.

Aux gouvernants, l’organisation demande d’exiger des sociétés qu’elles fassent clairement état de leurs positions en matière de publication des contrats et qu’elles veillent à ce que leurs contrats contiennent des clauses de publication. Quant aux organisations de la société civile, Oxfam recommande de se référer à la norme mondiale émergente sur la publication des contrats et les meilleures pratiques des gouvernements et des entreprises dans leur travail de plaidoyer pour la transparence.

Mais, à n’en pas douter, la plus grande menace qui pèse sur la norme internationale demeure les membres de son Conseil d’administration qui se moquent des règles.

Oxfam demande l’exclusion de Chevron et ExxonMobil du Conseil d’administration

Malgré les nombreux efforts, le chemin qui mène à la publication exhaustive des contrats reste assez périlleux. En effet, même parmi les entreprises siégeant au Conseil d’administration, il y en a qui semblent allergiques à la publication des contrats.  D’autres comme Bp, Bhp Billiton, Freeport McMoran ne disposent pas de politiques officielles de publication des contrats. Mais les cas les plus critiques concernent Chevron et ExxonMobil, elles ont tout bonnement et publiquement soutenu la confidentialité des contrats, tout en étant membres très influents du Conseil d’administration. L'étude fait également savoir que ‘’Rio Tinto et Total sont les seuls membres du Ca à avoir trouvé des politiques via un site Web ou un document d'entreprise. Statoil est un leader de longue date en matière de transparence, mais elle n’a pas encore adopté de politiques de publication des contrats qui régit ses pratiques dans ce domaine’’.

Relativement à Bp, Bhp Billiton et Freeport McMoran, aussi membres du Ca, ils ‘’ne disposent pas non plus de politiques officielles de publication des contrats, même s’ils ont fourni des déclarations à l’appui de la publication des contrats pour inclusion dans ce rapport. Royal Dutch Shell n’a pas de politique formelle de publication des contrats sur son site Web, mais s’est engagée à respecter les principes de l’Équipe B, qui incluent une référence à la publication des contrats dans des cas limités’’.

Revenant sur les cas ExxonMobil et Chevron, les rédacteurs rapportent qu’ils ont exprimé leur soutien à la transparence et à l'Itie, mais s'arrêtent quand il s'agit de rapports sur les paiements au niveau de projets et sur la publication des contrats. ‘’Les deux sociétés ont fait valoir les arguments d’usage sur l’information commercialement sensible et les préjudices concurrentiels tout en critiquant la publication pour chaque projet’’. À noter, renseigne Oxfam, qu’Exxon ‘’s’oppose catégoriquement au concept de surveillance publique des contrats d’extraction et au mouvement en faveur du processus ouvert d’octroi de contrats’’.

Pour la rédaction du présent rapport, les dirigeants de l’entreprise ont même refusé d’être interviewés. Ce qui est inquiétant pour certains acteurs. ‘’Oxfam s’est associée aux anciens membres de l’Itie aux États-Unis ainsi qu’à Publiez ce que vous payez États-Unis, pour déposer une plainte officielle contre Chevron et ExxonMobil auprès du Conseil d’administration de l’Itie. La plainte fait état, de façon détaillée, de plusieurs violations du Code de conduite de l’Itie, de ses statuts d’association et de la Charte de l’Itie aux États-Unis, et plaide pour que ces sociétés soient exclues du Conseil d’administration’’.

En sus de toutes ces imperfections, il convient de se demander si les citoyens sont vraiment informés de la teneur véritable des contrats. Dans tous les cas, dans l’étude, ‘’plusieurs entreprises ont confirmé qu’elles n’incluaient aucune information confidentielle dans leurs contrats’’. ‘’Ces constatations révèlent le besoin de discussions plus structurées sur ces questions, de façon à pallier les lacunes et à transmettre des connaissances permettant de déterminer quelles clauses des contrats sont réellement sujettes à confidentialité et lesquelles s’avèrent dans l’intérêt du public et ne requièrent pas cette protection’’, souligne Oxfam dans le document. A noter que Bp et Total, eux aussi, ne font guère honneur à leur rang en tant que major doublés de membres influents du Conseil d’administration de l’Itie international. 

MOR AMAR

 

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