Publié le 24 Mar 2016 - 20:34
ENSEIGNEMENTS DU SCRUTIN DU 20 MARS

Quand Macky Sall renvoie ses challengers à leurs copies

 

S’il est excessif de dire que le scrutin référendaire du 20 mars préfigure la présidentielle de 2019, il n’en est pas moins un bon révélateur. Après avoir développé différentes stratégies, soit pour massifier leurs formations politiques, soit pour consolider les acquis, en vue de la prochaine présidentielle, Macky Sall, Idrissa Seck, Khalifa Sall, Pape Diop, Malick Gackou et Abdoulaye Baldé ont pu mesurer là ils en sont.

 

Le scrutin du dimanche dernier est très riche en enseignements. Dans le sens où il a, d’une certaine manière, mis aux prises tous ceux qui sont présentés, depuis des mois, comme de potentiels challengers du président Macky Sall, à la prochaine présidentielle. Idrissa Seck, Khalifa Sall, Pape Diop, Malick Gackou et Abdoulaye Baldé ont battu campagne pour le NON. A la lumière des résultats qui sont sortis des urnes, le constat est qu’ils ont du souci à se faire. Leurs scores remettent en cause un bon nombre de leurs certitudes. Mais surtout, confirment qu’ils ont affaire à une véritable bête politique, en la personne du leader de l’Apr.

Idrissa Seck

Si tout le monde s’accorde à dire que ce vote dépasse largement son cadre de consultation citoyenne, il a permis aux uns et aux autres de se faire une idée de qu’ils pèsent réellement sur l’échiquier politique. En ce qui concerne Idrissa Seck, le constat est implacable. De scrutin en scrutin, son score s’effrite à Thiès. Au point que, cette fois-ci, il a perdu le département de la capitale du Rail. Ce qui était impensable il y a plus d’une décennie, est devenu une réalité préoccupante. Justement, qu’est-ce l’ex-édile de Thiès a fait du capital sympathie voire de l’affection que les Sénégalais, particulièrement les Thiessois, avaient pour lui au moment de l’éclatement de l’affaire des chantiers de Thiès ? Qu’est-ce qu’il a fait de cette image de jeune premier, intelligent et compétent, qu’il incarnait ? Idrissa Seck, c’était ce vent de fraîcheur insufflé au sein d’une classe qui commençait à se scléroser. 12 ans après, on a envie de parler de gâchis. Son jeu d’échec avec Abdoulaye Wade, on sait ce que cela a donné.

Thiès devait être le tremplin qui allait l’amener à la tête du pays. Les résultats du référendum semblent dire le contraire. Si bien que l’adage ‘’loin des yeux, loin du cœur’’ semble aujourd’hui s’appliquer à lui. Combien de fois, les Thiessois ont-ils réclamé sa présence physique pour présider à leurs destinées ? Mais leur ancien maire s’est inexorablement coupé des réalités de son terroir. Laissant les affaires courantes à ses jeunes collaborateurs. En délaissant Thiès, il a perdu l’occasion de montrer réellement de quoi il est capable. Se battre contre les vents contraires, trouver des solutions alternatives et mettre la deuxième ville du pays sur les rampes du développement auraient permis de renforcer son image d’homme politique compétent. Mais avec lui, les promesses sont restées à l’état de promesses. Et ce ne sont pas les quelques mois passés à la Primature qui lui ont permis de donner la pleine mesure de ce qu’il sait faire.

En outre, si les caciques du PDS n’ont jamais pu prendre la place laissée par Idrissa Seck, ce n’est pas le cas des responsables apéristes qui gagnent du terrain. La stratégie de Macky Sall de lancer ses scouts à l’assaut de la deuxième ville du pays est en train de donner du fruit. Dans le département, le courant du OUI a obtenu 58 012 voix contre 56 596 pour le NON sur un total de 114 973 suffrages valablement exprimés. Des résultats certes contestés par le parti Rewmi mais qui sont édifiants sur le terrain perdu par l’ancien Premier ministre.

Qu’à cela ne tienne ! Si ce scrutin peut être considéré comme un coup de semonce, tout ne semble pas irrémédiablement perdu pour le leader du Rewmi qui, lors de la campagne référendaire, a pu se rendre compte qu’il pouvait encore déplacer les foules. Idrissa Seck devra s’employer pour reconquérir les cœurs et se présenter en alternative crédible, au cas où Macky faillirait à la tête du pays. Cette hypothèse étant peu probable, il a tout intérêt à présenter une offre politique irrésistible.   

Khalifa Sall à l’épreuve de la realpolitik

Un autre potentiel challenger de Macky Sall est le maire de Dakar. Le concernant également, les résultats du référendum ont dû ébranler certaines de ses certitudes. Présentée comme la figure politique qui monte, le revers subi dans la capitale appelle, à son niveau, à une lecture lucide. Déjà que les conditions qui ont concouru à son triomphe aux dernières élections locales (sa coalition Taxawu Dakar a raflé 16 des 19 communes du département) n’ont pas été réunies. En 2014, au moment de se présenter pour un second mandat à la tête de la mairie de Dakar, Khalifa Sall avait fini de se forger l’image d’un maire compétent et travailleur capable de changer la face laide de la capitale sénégalaise, à travers des projets hautement salués. Surtout, il a su mener d’une main de maître le dossier des marchands ambulants sur lequel s’était cassé les dents, le régime libéral.

Depuis, il est confronté à la dure réalité de la realpolitik, au sens où l’entend Nicolas Machiavel dans son ouvrage Le Prince. Pour qui, le seul but d'un prince doit être la recherche du pouvoir. En effet, c’est une guerre sans merci que lui livre le parti au pouvoir. Pour parler trivialement, on lui a coupé les vivres. Implacablement, méthodiquement, l’Etat ressert son étau autour du maire de Dakar.

Depuis que Khalifa Sall a rempilé à la tête de la mairie, c’est presque le néant côté réalisations. Il n’a plus les moyens de ses ambitions. Avec l’Acte 3 de la décentralisation et tout ce que cela comporte comme redistribution de compétences et de moyens, comme dirait Birago Diop, dans L’os de Mor Lam, c’est la ‘’substantifique moelle’’ de la mairie qui lui a été enlevée. Pire, il est empêtré dans des batailles de procédures pour la moindre réalisation (emprunt obligataire, aménagement de la Place de l’indépendance). Pendant ce temps, Macky Sall et son PSE déroulent. Avec Khalifa Sall, c’est surtout ce sentiment d’immobilisme qui est saisissant, depuis presque 2 ans. Lui qui occupait l’espace médiatique, à travers ses réalisations, se débat aujourd’hui dans des combats d’arrière-garde qui l’éloignent de l’essentiel : la satisfaction des besoins des Dakarois.

Toutefois, en ce qui le concerne, son score est loin d’être aussi mauvais qu’on le présente. Si l’on sait qu’il avait en face de lui l’Apr, l’Afp, le Ps et tous les autres partis satellites de la mouvance présidentielle. L’urgence, s’il y en a, c’est de se rabibocher avec son parti, sans lequel, il est évident, il ne pourra pas faire grand-chose. Comme pour Idrissa Seck, la balle est aussi dans son camp. C’est à lui de trouver les voies et moyens de combler son retard. Notamment en revenant au-devant de la scène médiatique, pour les bonnes raisons ; et en resserrant les rangs au sein de Taxawu Dakar.

Pape Diop, l’homme de l’ombre

Par contre, pour Pape Diop, c’est plus problématique. Son parti Convergence démocratique/Bokk gis gis (Cd/Bgg) n’arrive pas à s’implanter à Dakar. En plus d’avoir perdu dans son propre bureau de vote, il a été battu dans les 8 bureaux de l’Ecole El hadji Ali Codou Ndiaye de la Gueule-Tapée où il a voté. Les choses ne s’arrangent donc pas pour lui, même s’il dispose d’une puissance financière conséquente. Après avoir été un homme de l’ombre, doublé d’un financier pour Me Abdoulaye Wade, sa décision de s’affranchir de la tutelle du PDS et voler de ses propres ailes n’est pour le moment pas un succès. Et rien n’indique que cela pourrait l’être. A l’évidence, le costume ne lui sied pas. Peut-être est-ce un problème de charisme. En tout cas, s’il veut revenir dans les cercles du pouvoir, il a intérêt à miser sur le bon poulain qui pourrait l’y amener. Et pourquoi pas, tirer les ficelles.

Abdoulaye Baldé, celui qui doit surveiller ses arrières

Ce qui valable pour le maire de Dakar, l’est pour celui de Ziguinchor. Abdoulaye Baldé a du souci à se faire. Bien qu’on ne puisse pas dire qu’il a dormi sur ses lauriers, le constat est qu’il a cédé du terrain sous les coups de boutoir du régime. Non seulement, il est aux prises avec une grande coalition, dans la capitale méridionale, mais c’est le président Macky Sall qui mène l’assaut, à grand renfort de programmes spéciaux pour la Casamance. Ce faisant, il a fini par emporter l’adhésion d’un grand nombre de Ziguinchorois et de Casamançais. D’ailleurs, le chef de l’Etat ne rate aucune occasion pour se rendre en Casamance, avec en bandoulière son programme économique.

Récemment, le patron de l’UCS s’est lancé dans un grand périple à travers le pays pour massifier son parti. Ce qui témoigne d’une ambition assumée. Mais pour lui, le moment est venu de surveiller ses arrières.

Gackou, le dernier venu

Dernier venu dans le cercle des présidentiables ou potentiels challengers de Macky Sall, Malick Gackou a mesuré, à travers son score dans le département de Guédiawaye, tout le chemin qui lui reste à faire, s’il veut un jour devenir président de la République. Car l’Apr a bien l’intention que Guédiawaye demeure sa chasse-gardée. L’ex-numéro 2 de l’Alliance des forces du progrès (Afp) a d’ailleurs reconnu sa cuisante défaite à Wakhinane Nimzatt, Médina Gounass, Golf Sud et Ndiarème Limamoulaye. Dans le département de Guédiawaye, sur les 63 491 suffrages valablement exprimés, Gackou et ses alliés de la coalition du NON/Gor ca wax ja ont obtenu 29 351 voix contre 34 140 pour le camp du OUI, soit 46,23% contre 53,77%.

Au-delà de la défaite, c’est le chiffre extrêmement faible de 29 351 voix qui interpelle. Un score décevant pour l’enfant de la banlieue qui a du mal à lui accorder sa confiance. Sans base politique, il aura bien du mal à conquérir le pays.

Macky redoutable politicien

Il ressort de tout ceci que Macky Sall est un homme politique plus redoutable qu’on ne le pense. La manière dont il a renvoyé dans les cordes tous ceux qui prétendent lui disputer la magistrature suprême montre qu’il est décidé à garder ‘’son bien’’. Même dans le choix de la date du référendum, il a montré qu’il avait une longueur d’avance sur ses challengers qui ressortent groggy de cette consultation aux allures d’élection test. A l’évidence, le leader de l’Apr est celui qui a tiré le plus de leçons des dernières élections. De manière méthodique, il est allé à l’assaut de toutes les localités qu’il a perdues. Les scores qu’il vient de réaliser à Dakar, Thiès et Ziguinchor montrent qu’il tient le bon bout. A l’inverse, ses challengers n’ont rien vu venir.

En définitive, ce qu’il y a de rafraîchissant dans cette consultation citoyenne, c’est que, de plus en plus, la compétence et la satisfaction des besoins des populations sont positivement sanctionnées. A l’inverse, les citoyens ont montré que l’arrogance et l’incompétence ne seront plus tolérées. A bon entendeur…!   

GASTON COLY

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