Publié le 18 Sep 2017 - 11:54
ENTERREMENT AU CIMETIÈRE MUSULMAN DE YOFF

L’ultime honneur républicain à Djibo

 

Administrateur civil de classe exceptionnelle, homme d’Etat incontestable, politicien controversé, Djibo Leyti Ka a été inhumé ce samedi, après une cérémonie de levée de corps à la dimension de sa stature.

 

Samedi dernier, ils étaient tous là pour un ultime hommage à Djibo Leyti Ka. L’Etat sénégalais a rendu la monnaie de sa pièce à son dévoué serviteur. L’opposition a aussi chanté les louanges de ‘‘l’un des deux plus grands démocrates du pays’’, dixit Mansour Mbaye citant une anecdote de Me Abdoulaye Wade. L’Union pour le renouveau démocratique (Urd), son parti politique, a déploré le vide immense qu’il laisse. Sa famille biologique a pleuré la disparition d’un patriarche aimant. Et tant pis pour les milliers d’autres anonymes, officiels, sympathisants et parents qui auraient aimé le faire, mais, ont dû assister à la levée du corps de l’ancien ministre à distance.

Le préau de la morgue de l’Hôpital Principal de Dakar était trop petit pour contenir l’immense adieu que la République et la Nation debout ont tenu à rendre à ce grand homme d’Etat. Il fallait être tôt à la cérémonie pour avoir une place debout, car deux heures avant la levée, prévue à 10h, il n’y avait plus de places assises. Sur les lieux, un homme psalmodiant la sourate 55 du Coran, Ar-Rahman (Le Miséricordieux), sous une chaleur de plomb pour un soleil qui venait de poindre ; le service d’ordre de la Présidence imposant déjà des restrictions aux arrivants qui franchissaient la porte métallique de la morgue ; et des mines affectées qui, derrière les lunettes noires ou les châles, cachaient leurs yeux rougis. Comme pour abréger les désagréments de cette longue attente, le Président Macky Sall est apparu cinq minutes avant l’heure prévue pour saluer la mémoire de Djibo Ka.

Homme d’Etat

‘‘La politique n’est pas une logique. Elle est souvent une dynamique dont la maîtrise et la conduite nécessitent de la lucidité, du courage, de la volonté et de la détermination pour vaincre les résistances inévitables au changement qu’imposent le contexte et les aspirations des masses’’. C’est par cette citation, figurant dans l’autobiographie du défunt : ‘‘Un petit berger peul au service de la république et de la démocratie’’, que le Président Macky Sall a essentialisé le trait de caractère politique de Djibo Leyti Ka. ‘‘Avec un tel pragmatisme, Djibo Ka avait une claire conscience de ses responsabilités. Il avait le courage de ses idées et se donnait l’énergie nécessaire de les assumer avec fermeté et élégance’’, ajoute-t-il.

C’est d’ailleurs sur sa qualité d’homme d’Etat que les intervenants ont axé leurs témoignages. Que ce soit Aliou Dia de Forces paysannes (Fp) qui servait de maître de cérémonie, Mansour Mbaye, sage du Ps, Diégane Sène, compagnon politique, Magatte Sow, porte-parole de la famille Ka, ou le Président Macky Sall, les éloges n’ont pas manqué sur ce trait de son caractère. ‘‘Cet hommage est dû à son comportement durant toute sa vie et pas à son statut de gouvernant influent. Malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, il n’a jamais déballé dans les médias. La preuve, c’est que tous ses compagnons d’il y a plus de 20 ans, sont ici’’, lance El hadji Mansour Mbaye qui trouve que l’annonce de sa mort en pleine installation de la 13e législature est une coïncidence du destin politique de cet administrateur civil.  

Des qualités d’homme d’Etat qui lui ont valu l’amitié et les visites de courtoisie de ‘‘Bruno Diatta et Robert Sagna, au moment où aucun socialiste ou proche de Diouf n’osait s’aventurer chez lui, juste après être sorti du Ps’’, témoigne Pape Ibrahima Diagne qui réclame le titre honorifique de Grand Serigne de Dakar. Ministre sans discontinuité, de 1981 à 1996, puis dans les années 2000, administrateur civil, député, chef de parti, Djibo Ka aura marqué l’histoire politique du Sénégal indépendant, malgré quelques déceptions. Maham Ka, chef du village de Thiargny où est né le défunt ministre, affirme que ‘‘malgré les trahisons et les déconvenues en politique, il a toujours conservé sa foi en Dieu. Ce qui ne l’a pas empêché non plus de se conduire en vrai patriote, de mettre la rancune de côté, quand il était aux commandes’’.

Magatte Sow, porte-parole de la famille Ka, de renchérir : ‘‘Malgré toutes ses dispositions intellectuelles à l’école, le chant et le dessin étaient exclus. Djibo ne savait chanter que l’hymne national et dessiner le drapeau du Sénégal’’, affirme-t-il, dans un portrait qu’il a dressé du défunt administrateur civil. Sorti de la promotion Gabriel D’Arboussier de l’Ena, passionné de la décentralisation et du dialogue des territoires, depuis 1976, il aimait gagner sans aucune jubilation et perdre dans la dignité, raconte son parent. ‘‘Il liera définitivement sa trajectoire à celle de l’Etat du Sénégal. Le défunt président du CNDT a été un véritable enfant de la République. C’est sans doute cet enchevêtrement de sa personne avec l’Etat qui a déterminé en partie la vie politique de Djibo Leyti Ka’’, renchérit le Président Macky Sall.

Ce dernier s’est tout de même félicité que plus de vingt ans après, un autre fils du terroir du Djolof remplace Djibo Ka à l’Intérieur. ‘‘En tant qu’ancien ministre de l’Intérieur, je sais aussi combien il chérissait cette fonction. C’est l’épine dorsale de l’Etat. Je suis heureux qu’un de ses jeunes concitoyens du Djolof, Aly Ngouille Ndiaye, ait eu le relais pour cette mission centrale de l’Etat.’’

 Diégane Sène craque

Le porte-parole de l’URD a eu beaucoup de mal à se lever, quand le maître de cérémonie a annoncé son tour de parole. Sa voix cassée par des trémolos indiquait qu’il n’avait pas fini de larmoyer, déclenchant dans son sillage pleurs et hoquets dans l’assistance. Les ministres Mbaye Ndiaye et Oumar Youm n’ont pu retenir leurs larmes. Mais il se reprit au fur et à mesure que son discours avançait, saluant l’œuvre bâtie par son leader politique. ‘‘Nous sommes très fiers de lui. Toutes ces qualités qu’on lui témoigne sont celles pour lesquelles nous l’avons suivi dans l’Urd’’, lance-t-il. Le parti lancé officiellement en 1998, après avoir été un courant rénovateur à l’intérieur du Ps même, a créé la surprise en décrochant un groupe parlementaire, 11 députés, la même année, avant de s’effondrer deux ans plus tard à la présidentielle de 2000. A titre honorifique, Diégane Sène a déclaré que l’Urd avait décidé de faire de l’épouse de Djiko Ka la marraine du parti. Une nomination symbolique qui a fait tressaillir la veuve éplorée, Coumba Ka, ses quatre filles ainsi que son seul garçon El hadji qui constituent les enfants du couple.

Des séries de témoignages élogieux sur la grandeur de l’homme, avant que le cortège ne se dirige vers le mausolée Thierno Saidou Nourou pour la prière mortuaire. L’enfant de Thiarny et de toute la République repose désormais au cimetière musulman de Yoff pour l’éternité.

Sermon de l’autre Grand Serigne Ndakaaru

C’est connu ! Les cérémonies funéraires sont aussi l’occasion sociale d’effacer les vieilles divergences, de taire les rancœurs latentes, de concilier deux positions distantes. Dans un contexte d’appel au dialogue politique, l’autre Grand Serigne de Dakar, Pape Ibrahima Diagne, démissionnaire de l’Urd, a profité de l’occasion pour ‘‘sermonner’’ pouvoir et opposition sur la nécessité de s’ouvrir l’un à l’autre, afin de pacifier l’espace politique. ‘‘Le simple fait que tout le monde soit réuni ici est un dialogue en soi. La preuve est que tout le monde s’est serré la main.

Il faut bien qu’on parle entre nous. On ne peut pas vouloir instaurer un dialogue et fixer des conditions. Il faut une première rencontre pour au moins arrondir les angles et ensuite on fixe les modalités pour des entrevues plus poussées’’, a-t-il martelé avec des murmures d’approbation de l’assistance. ‘‘Cohabitez dans la courtoisie à l’Assemblée et arrêtez les débats futiles’’, a-t-il lancé à la majorité ainsi qu’au chef du groupe parlementaire ‘‘Libéraux et Démocrates’’ Me Madické Niang.

Occasion saisie par le président Macky Sall pour confirmer les dires du Grand Serigne. ‘‘J’invite tous les acteurs politiques à méditer ses propos (ndlr : déclarations de Djibo Ka dans son livre), afin que nos différences ne priment point sur l’exigence de préserver en priorité les intérêts supérieurs de notre peuple et de notre nation (...) Nous avons perdu un homme de dialogue, rétif au dogmatisme et au sectarisme. Un homme ouvert et disponible’’, a rappelé le chef de l’Etat.

OUSMANE LAYE DIOP

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