Publié le 26 Feb 2017 - 20:17

Entre effets d’annonce et manque de suivi

 

Le nouveau plan de circulation mis en place par l’Ageroute, il y a trois jours seulement au niveau de la Voie de dégagement nord (Vdn) de Dakar a fait long feu et n’a duré que le temps d’une rose. Dans le but de fluidifier le trafic très important sur l’axe échangeur de la Place Omvs-Cices, un dispositif de blocage des routes adjacentes, à hauteur de la Cité Gorgui  et du cimetière Saint-Lazare, a donc été installé et dont la mise en application a été assurée par des éléments de la Gendarmerie nationale.

Si ce nouveau plan de circulation a été bien apprécié par les usagers de l’axe routier échangeur de la Place Omvs-Cices qui ont constaté avec satisfaction la réduction considérable des embouteillages, notamment pendant les heures de pointe, il n’en était pas de même pour les automobilistes qui devaient déboucher des cités riveraines pour traverser la Vdn. Devant alors faire de grands détours ou ronger leurs freins jusqu’à la levée du dispositif de blocage qui était en vigueur entre 7h et 10h et entre 17h et 20h, ces derniers ont protesté ferme contre cette mesure inappropriée à leurs yeux, d’autant qu’elle les a pris au dépourvu dans la mesure où son instauration n’aurait pas fait l’objet d’une communication préalable.

Après de nombreux conciliabules, la mesure a été rapportée et le dispositif de blocage a été levé sur instructions du préfet de Dakar. Ce faisant, trois jours seulement après leur installation, les barrières mobiles ont été enlevées et celles qui étaient fixées au sol ont été déboulonnées. Les gendarmes qui veillaient au grain ont aussi levé le camp. Retour à la case de départ et aux bouchons habituels sur cette voie qui est l’une des plus empruntées de la capitale du Sénégal. Mais, pourquoi, à peine cette opération commencée, l’on a éprouvé le besoin de l’arrêter au bout de deux jours d’expérimentation seulement ? Constat d’échec ? A-t-on subi des pressions de la part d’autorités très haut placées et qui ont été impactées par la mesure ? La décision a-t-elle été bien pensée et mûrie avant sa mise en application ? Les questions, nombreuses, s’entrechoquent dans nos têtes.

Le fait est que ça pue la précipitation et l’amateurisme à mille lieux. Au-delà de la remise en question, on ne peut plus rapide, d’une décision qu’on croyait bien partie pour durer, il se pose au Sénégal un problème sérieux avec le respect et l’application des décisions prises. Et c’est encore plus grave si ce sont les autorités de la république qui donnent le mauvais exemple. Quand l’Etat du Sénégal a un mal fou à respecter et à faire respecter ses propres décisions, on comprend aisément que les citoyens aient parfois du mal à suivre. Très souvent, des mesures spectaculaires sont prises par la puissance publique, avec un grand renfort de tapage médiatique doublé de mise en scène pour bien marquer les esprits. Mais, à l’épreuve de la réalité et le temps aidant, les mesures tantôt prises avec fracas ne résistent pas très longtemps.

Une fois l’euphorie retombée, l’on revient à la situation d’avant et aux pratiques antérieures, comme si de rien était. Ceci explique, dans une large mesure, les actes d’insubordination et le non-respect des décisions étatiques par des citoyens qui sont conscients, convaincus et persuadés qu’après les effets d’annonce, il n’y aura aucun suivi dans l’application des mesures et décisions prises par ci et par là par les autorités. Le temps de laisser passer l’orage, les populations qui ne sont pas en phase avec certaines décisions de l’Etat reprennent de plus belle avec les interdits qui les avaient frappés. Et au rythme où on rapporte les décisions aussi vite qu’on les a prises, c’est l’autorité de l’Etat et sa crédibilité qui en prennent un grand coup. Les gens qui ne sont pas d’accord avec certaines décisions de l’Etat n’ont pas à ruer dans les brancards, il leur suffit tout juste de faire preuve de patience, le temps que l’Etat revienne sur sa décision ou, avec le temps, que celle-ci tombe en désuétude car non-appliquée ou par manque de suivi.

L’histoire du Sénégal est riche d’exemples de ce genre. Au lendemain du chavirage du bateau Le Joola, à la suite de l’appel à une introspection et au changement des comportements lancé par le Président Abdoulaye Wade, tout le monde ou presque s’était mis, tout d’un coup, à respecter les files d’attente, à attendre le prochain bus au lieu de se bousculer pour monter dans celui qui est déjà plein. Les transports en commun en surcharge sont sommés par les agents de la Police de la circulation de se délester de leur trop-plein de passagers. On ne voyait pratiquement plus des passagers de ‘’cars rapides’’  ou de ‘’Ndiaga Ndiaye’’, parce que n’ayant pas pu trouver une place assise dans l’habitacle du véhicule, restent perchés sur le marchepied du car qui est prêt à céder à tout moment sous leur poids.

Le respect des normes et règles de sécurité était, comme par enchantement, redevenu au centre des préoccupations de Sénégalais, plus gagnés par la peur et l’émotion que par une résolution à changer leurs us et habitudes. Pas plus qu’ils étaient devenus brusquement disciplinés. On se croirait dans un rêve. Mais, comme qui dirait, c’était trop beau pour être vrai. Avec le temps, l’oubli aidant, le souvenir du drame du Joola devenait de plus en plus lointain et évanescent jusqu’à s’effacer et s’estomper presque des esprits. Alors, les choses ont repris de plus belle. Les gens ont petit à petit retrouvé leurs vieux démons avec, il faut le reconnaître, le laxisme et le manque de suivi des autorités étatiques qui ont un mal morbide à s’inscrire dans la durée voire dans la pérennité pour ce qui est de l’application correcte de leurs décisions majeures.

Dans le cadre de l’assainissement des artères de la capitale, des opérations de désencombrement de la voie publique entreprises, il n’y a pas longtemps par la mairie de Dakar, avec une forte dose de mise en scène, étaient perçues par les réfractaires à l’ordre public comme la manifestation d’un activisme débordant et ayant des soubassements politiques à l’approche des échéances électorales. Ne s’avouant pas vaincus, les ‘’victimes’’ des démolitions et des déguerpissements ont pris tout juste le soin de « laisser passer l’orage », les effets d’annonce et la clameur amplifiée par les médias, conscients que les pouvoirs publics sénégalais ont un mal congénital à pérenniser lesdites opérations.

 Un  ‘’maslaa’’  d’enfer qui favorise et perpétue l’impunité

Au lendemain de la série macabre d’accidents de la route et leurs lots de morts dont certains calcinés à l’intérieur des véhicules, le président Macky Sall a cru devoir décréter la tolérance zéro en annonçant une batterie de mesures, dont le projet d’instauration du permis à points pour punir sévèrement les responsables de ces tragédies. Maintenant, combien de fois a-t-on vu des ‘’bonnes volontés’’, ‘’monsieur-bons offices’’  ou ‘’médiateurs’’ intercéder à la faveur d’un fautif convaincu ou d’un coupable reconnu, pour le soustraire à l’action de la justice et à l’expiation d’une peine fort méritée, au prix d’un « maslaa » d’enfer qui favorise et perpétue l’impunité ? Si c’est donc pour céder avec une facilité déconcertante à l’intervention du premier venu ou pour faire montre de mansuétude, l’Etat, complaisant et permissif, renonce aux sanctions légitimes et justifiées envers les fautifs, il aura toujours du mal à faire respecter ou à restaurer son autorité. Et bonjour la licence et la perpétuation des actes d’incivilité et des passe-droits constants sous l’œil bienveillant de l’Etat.

Par ailleurs, tout le monde l’a constaté, pour s’en désoler, les opérations de désencombrement de la voie publique entreprises ponctuellement par les autorités, à l’encontre des marchands ambulants, avec une forte dose de mise en scène, et à grand renfort de tapage médiatique, sont perçues par les déguerpis comme la manifestation d’un activisme débordant et ayant des soubassements politiques. Le temps l’euphorie retombe et la passion qui avaient animées les autorités dans leur emballement et leur activisme débordants, les  déguerpis, reviennent progressivement sur les lieux où ils vont se réinstaller comme avant. C’est le cas des tabliers établis aux abords du COUD à l’UCAD de Dakar.

A l’occasion du Grand Magal de Touba, des mesures d’interdiction de rallier la ville sainte à bord de motos Jakarta dans le but de prévenir les accidents de la circulation, surtout avec l’hécatombe que les conducteurs de ces engins créent tous les jours sur les routes où ils se comportent comme dans un rallye. Un fléau qui est en passe de décimer la jeunesse de notre pays et d’hypothéquer son avenir. L’inconscience, l’insouciance et l’irresponsabilité de ces jeunes, imprudents et sans casque de protection, et qui jouent avec leur vie, tous les jours, ne semblent pas émouvoir ou scandaliser les autorités qui se contentent, de leur côté, d’opérations sporadiques  et épisodiques de contrôles, mais sans suivi, ce qui allonge la liste des tués, mutilés ou paralysés par ces engins de la mort. Il y a même un hôpital du pays où un espace à eux réservé est baptisé « victimes des motos Jakarta ».

Le retour dans la rue des enfants talibés

Avec un grand raffut de tapage médiatique, l’Etat du Sénégal a procédé dans les mois précédents à des opérations de rafles des « enfants de la rue », dans une guerre sans merci contre la mendicité. Une action qui, saluée par les uns et condamnée par les autres, avait soulevé à l’époque un grand tollé dans le pays. Aujourd’hui que les passions soulevées à leurs débuts par ces opérations, se sont dissipées et que le train-train quotidien des gens a repris le dessus sur tout le reste, tout le monde ou presque a constaté avec un grand dépit que bon nombre des talibés jadis retirés de la rue pour être internés dans des centres d’accueil, sont revenus pour repeupler les artères de la capitale et recommencer à faire la manche, comme avant. C’est dire que les scènes de mendicité publique, une image hideuse qu’on voulait voir disparaitre de notre vue, ont encore de beaux jours devant nous.

Dans la cadre de la construction de la 2ème phase de la Voie de Dégagement Nord (Vdn), avec le tracé du tronçon Vdn Cices-Golfe Sud, tous les travailleurs du secteur informel et « petits métiers » qui occupaient cet espace ont été déguerpis pour laisser place aux ouvriers, Caterpillar et autres engins en charge du chantier. Mais, comme les travaux se font à pas de tortue et que la zone reste désespérément déserte pendant une période relativement longue (la nature ayant horreur du vide)  les petits vendeurs et ouvriers de fortune qui avaient été sommés de libérer l’emprise sur injonction des autorités, sont revenus s’installer progressivement sur les lieux.

La recrudescence de la criminalité dans Dakar et sa banlieue a beaucoup ému les populations et a intéressé davantage le président Macky Sall depuis que le phénomène l’a touché directement par le truchement du meurtre de Madame Fatoumata Moctar Ndiaye, 5ème vice-président du Conseil économique, social et environnemental. Dès lors, le chef de l’Etat a décidé de prendre le taureau par les cornes pour donner des instructions fermes visant à endiguer la spirale de la violence dans le pays.

Des opérations de sécurisation, qu’elles soient baptisées « kaaraangué » ou autres, ont été conduites par des forces conjointes de la Police et de la Gendarmerie pour nettoyer la ville de sa pègre, de ses milieux interlopes et pour installer la peur dans le cas des malfaiteurs qui empêchent les paisibles citoyens de dormir du sommeil des justes, obligés qu’ils sont de se calfeutrer chez eux dès la tombée de la nuit. Mais, comme ce sont des opérations ponctuelles, épisodiques, déclenchées sous le coup de l’émotion et sans lendemain, les bandits qui sont visés par ce genre de réponse se terrent en entendant que les forces de sécurité vident les lieux, pour venir les réoccuper.

Un Etat responsable, respectable et respecté, c’est aussi la capacité de prendre de bonnes décisions, justifiées, bien expliquées à travers une communication adéquate, mais surtout leur mise en application à temps et lieu opportuns. Ces décisions ne doivent pas revêtir les formes d’épiphénomènes, ni être dictées par des évènements fortuits, encore moins être prises sous le coup de l’émotion ou de la passion. Devant s’inscrire dans la durée, lesdites décisions gagneraient à faire l’objet d’un suivi méthodique et rigoureux.  Leur légitimité et leurs chances de succès sont à ce prix.

Nb : Les intertitres sont de la Rédaction

Pape SAMB

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