Publié le 10 Nov 2018 - 05:48
ENTRETIEN AVEC DR ISMAÏLA SENE (DOCTEUR EN SOCIOLOGIE)

‘’Les jeunes doivent affirmer leur autonomie financière et intellectuelle’’ 

 

Si les jeunes n’arrivent pas à s’imposer dans les partis politiques, c’est que leur militantisme est sous la tutelle d’un mentor. L’affirmation est du docteur en sociologie Ismaïla Sène qui considère l’autonomie intellectuelle et financière comme première condition pour renverser la tendance.

 

Le constat est que la plupart des partis politiques sont dirigés par des personnes âgées. Qu’est-ce qui explique cela ?

D’emblée, il faut rappeler que l’architecture politique est dominée par des partis classiques. Et ces partis sont souvent assimilés à des patrimoines individuels. C’est pourquoi ils sont souvent dirigés par des membres fondateurs ou par les premières générations d’héritiers. Ces derniers, qui sont généralement des personnes âgées, jouissent d’une légitimité historique qui leur confère le privilège d’assurer le leadership et d’imposer une forme de discipline que certains jeunes, parfois contestataires, ne sont pas prêts à accepter.

Cette contestation les pousse directement vers la sortie. Les cas de démission de jeunes et surtout d’exclusion pour non-respect de la ‘’discipline de parti’’ sont récurrents. Ceci atténue les forces des jeunes et leur chance de régner dans les partis au Sénégal. De ce fait, certains jeunes qui restent occupent des positions périphériques et fonctionnent sous le mentorat de personnes âgées. Ceci se comprend, car beaucoup d’entre eux s’engagent en politique en étant affiliés à des tendances internes dirigées par des personnes âgées à qui ils dédient, en quelque sorte, leur militantisme.

A ces explications, il faut ajouter le facteur temps. Le milieu politique est un espace de confrontation qui nécessite du temps et de la présence pour assumer le leadership. Ce temps manque souvent aux jeunes, car ils sont également engagés dans la vie active.

En outre, il faut noter qu’au Sénégal, certaines croyances traditionnelles ne favorisent pas le leadership jeune. Les personnes âgées sont souvent perçues comme étant mieux préparés à la confrontation. Ce constat est également valable dans d’autres segments de la vie où les jeunes cohabitent avec les personnes âgées. Dans certains milieux, il faut être vraiment courageux pour disputer le leadership aux personnes âgées.

Quels sont les facteurs qui bloquent leur ascension ?

En dépit du fait que les discours sur la nécessité de responsabiliser des jeunes pullulent de part et d’autre, le constat est que les partis politiques, compte tenu de leur structuration et de leur mode de gestion, ne sont pas encore prêts à donner la chance aux jeunes. Ces partis sont des arènes de convoitise et dans ce jeu de confrontation, les personnes âgées semblent beaucoup plus préparées à tirer leur épingle du jeu.

De plus, le fait que les jeunes ne s’engagent pas beaucoup en politique ne favorise pas leur accès à des postes stratégiques, car ils sont généralement minoritaires. Les logiques de fonctionnement des partis sont parfois inadaptées au désir d’autonomie et de non-embrigadement des jeunes. Ceci pourrait freiner leur engagement politique et limiter, par ricochet, leur accès à des postes de responsabilité à l’intérieur des partis.

Comment faire pour changer la donne ?

Il faut une nouvelle offre politique pour amener les jeunes à adhérer ou à rester dans les partis. Aujourd’hui, le terme d’’’alternance générationnelle’’ est galvaudé. Mais le changement ne peut se faire de façon brutale. Il nécessite un processus de transformation qui implique une nouvelle forme de militantisme. Il est connu de tous que la façon de faire la politique n’inspire pas confiance aux jeunes. Ceux-ci aspirent mieux à la démocratie et cela constitue un véritable problème à l’intérieur des partis. Ces derniers n’offrent pas suffisamment de tribune pour faire entendre la voix des jeunes.

Si vous voyez, les jeunes sont généralement plus réceptifs aux nouvelles organisations naissantes, car celles-ci suscitent en eux l’espoir d’une nouvelle offre politique qui les fait miroiter l’espoir d’une rupture effective. Il suffit de lire l’histoire politique du pays et son environnement actuel pour s’en rendre compte.

Donc, il faut une nouvelle offre politique pour intéresser les jeunes, car, à mon avis, cette posture vis-à-vis de la politique n’exprime pas un refus d’engagement, mais un manque de confiance, un rejet du militantisme traditionnel.

Que devrait être la posture des jeunes pour s’imposer ?

Pour contester le leadership aux personnes âgées dans les partis, les jeunes doivent affirmer leur autonomie financière et intellectuelle. Ils doivent éviter toute dépendance financière qui les rend vulnérables aux manipulations.

L’autonomie intellectuelle et financière constitue la première condition, car si on est nourri, protégé et habillé par un quelconque leader, on court le risque de lui servir de béni oui-oui. Jeunes ou vieux, les politiciens alimentaires sont des proies faciles. Il leur est plus difficile de convoiter le leadership.

Une fois cette condition remplie, les jeunes devront se mettre dans une posture d’affirmation pour faire parler leurs compétences. De ce point de vue, la force des arguments des uns et les capacités managériales des autres qui accèdent à des postes de responsabilité permettront de convaincre sur les capacités des jeunes à assumer le leadership politique.

Enfin, l’adhésion aux idéaux de démocratie et de liberté d’expression doivent servir de viatique, si on veut fondamentalement intégrer les jeunes dans les partis.

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