Publié le 20 Oct 2012 - 08:00
ENTRETIEN AVEC... RICHE BABA NIANG(1ère Partie)

''Un lutteur doit savoir partir à temps, sinon...''

 

 

Riche Baba Niang est une ancienne gloire inconnue des jeunes, qui a pourtant marqué son époque. Considéré comme le plus beau, le plus talentueux et le plus célèbre lutteur de sa génération, il a entraîné la plupart des légendes du sport national comme Robert Diouf, Double Less, Katy Diop, etc. Dans cet entretien accordé à EnQuête, il revient sur sa riche carrière, sur la lutte d'hier à aujourd'hui...

 

Peut-on en savoir un peu plus sur l'homme Riche Niang ?

Je suis né à Dakar, j'ai grandi entre Thiaroye et Yeumbeul.

 

Pourquoi ce prénom, Riche ?

C'est une femme du nom de Dior qui m'a surnommé ainsi alors que je n'étais qu'un jeune homme. Mon vrai nom est Baba Niang. Mais c'est le nom Riche Niang qui est plus connu. On m'a expliqué que cette femme m'a surnommé ainsi parce que j'aimais distribuer aux autres l'argent que l'on m'offrait.

 

Avant la lutte, que faisiez-vous ?

Je jouais au foot au club Isac de Pikine, j'étais un très bon avant-centre.

 

Comment êtes-vous venu à la lutte alors ?

En fait, la lutte est une discipline que j'ai héritée de mes oncles. Je ne voulais même pas la pratiquer, c'est vraiment le foot qui me plaisait. Mais un beau jour, je me suis réveillé et j'ai décidé de devenir lutteur ! Comme ça ! J'ai assisté un jour à un mbàpàt (NDLR : séances de lutte sans frappe organisées dans les quartiers) à Thiaroye pour m'amuser et, surprise, j'ai battu tous mes adversaires ! Après être devenu très célèbre dans les mbàpàt, j'ai commencé la lutte avec frappe. Pour moi, ce n'était pas un métier, mais une passion.

 

Y avait-il de l'animation comme maintenant ?

Les gens aimaient la lutte à l'époque, mais c'est différent de maintenant. Avant, ce n'était que du jeu, pas un gagne-pain comme aujourd'hui. Aujourd'hui, avec l'argent, la lutte est devenue n'importe quoi ; la violence s'y est invitée, le dopage également, tout cela pour gagner plus d'argent. Nous ne connaissions pas tout cela à notre époque. En outre, ce n'était pas en battant deux ou trois adversaires que l'on devenait champion, non ! Au contraire, il fallait terrasser tous les lutteurs de ta génération ainsi que tes aînés pour être considéré comme un champion. En réalité, la lutte n'a pas changé, ce sont ceux qui la pratiquent qui ont changé. Avant, il y avait des amateurs, mais il n'y en a plus ; maintenant on parle de fans club, ce qui est un générateur de violence. Avant, à 18h, tout le monde quittait le stade, c'était fini, on n'avait point besoin de projecteurs. Actuellement, les combats finissent vers 21h, ce qui favorise la violence. Également, nous ne connaissions pas le parrainage, aujourd'hui, il y a des drapeaux de untel par-ci, des drapeaux de tel autre par-là...

 

Les centaines de millions en circulation dans l'arène sont-elles la cause de la violence ?

Parfois, quand je regarde un combat, je quitte le stade avant la fin, tellement je suis dégoûté et tellement j'ai honte. Oui, pour moi, les millions sont la cause principale de la violence dans les arènes. La lutte n'est plus un jeu, c'est devenu une question de vie ou de mort pour beaucoup (...)

 

Comment en êtes-vous arrivé à coacher l'équipe nationale de lutte du Sénégal après votre carrière de lutteur ?

Un jour, le ministre de la Jeunesse et des Sports de l'époque, Joseph Mathiam, m'a vu courir sans arrêt après une victoire sur un lutteur. Le Comité olympique était alors dirigé par Malick Mbaye. Le ministre a demandé que l'on me fasse faire un test. On m'a convoqué pour me faire courir un 100 m, j'avais fait un chrono de 11s 10 à l'époque. On m'a dit que je devais faire de l'athlétisme, mais j'ai refusé. J'ai même fait le lancer de javelot et de poids, mais cela ne me passionnait pas le moins du monde. Un jour, j'ai décidé d'aller en France pour faire un stage en lutte libre et en lutte gréco-romaine. Je suis parti avec mes propres moyens parce qu'à l'époque, je travaillais à la mairie de Dakar et j'avais déjà une maison. J'ai vendu ma voiture et je suis parti pour six mois, période durant laquelle je n'ai pas reçu de salaire. En France, j'ai entendu parler des championnats du monde de lutte à Sofia, la capitale de la Bulgarie. J'ai payé 80 dollars (environ 40 000 F Cfa, Ndlr) pour y participer. J'étais avec des Mongoles et des Japonais. Sur place, j'ai trouvé Lamine Diack (actuel président de l’Association internationale des fédérations d’athlétisme - IAAF pour le sigle anglais) qui m'a vu porter le drapeau du Sénégal et j'étais le seul Sénégalais. D'habitude, quand je voyage, je mets toujours dans ma valise une cassette de l’hymne national du Sénégal et un drapeau. Lamine Diack était surpris de me voir. J'ai participé, sans médaille malheureusement.

 

Et après ?

C'est à mon retour que l'on m'a nommé entraîneur de l'équipe nationale de lutte du Sénégal, en 1971. J'avais comme pensionnaires de grands lutteurs comme Robert Diouf, Moussa Diamé, Boy Bambara, Pape Diop, Mbaye Cissé, Double Less, entre autres. Je les ai amenés un peu partout sur le continent. Aux championnats d'Afrique de 1974, nous sommes revenus avec 4 médailles d'or, 1 médaille d'argent et 2 médailles de bronze. Le Président Senghor nous avait reçus à notre retour, il ne nous avait rien donné, mais il nous avait félicités et encouragés. Pour nous tous, c'était plus symbolique que de recevoir des enveloppes d'argent. Pour les campagnes africaines, c'est moi qui me chargeais d'acheter des costumes et des chemises à mes athlètes. À l'époque, j'avais mes affaires, notamment une dibiterie (Ndlr : gargote de viande grillée) qui me rapportait des recettes de 350 000 francs Cfa par jour.

 

Parlez-nous un peu plus des différences dans la lutte entre deux époques.

Par exemple, les ''ngemb'' (NDLR : les pagnes qui recouvrent les parties intimes du lutteur). Avant, ils étaient si bien faits que qu'on ne pouvait voir les parties intimes du lutteur. Aujourd'hui, c'est du n'importe quoi, les lutteurs en montrent plus qu'il n'en faut (car) ils n'ont aucune vergogne. Comment peut-on nouer un pagne léger, sous prétexte qu'on ne veut pas que l'adversaire en fasse un point appui, alors que les images sont vues à travers le monde, que même vos enfants peuvent vous voir presque nu ? C'est honteux. Le Cng (Comité national de gestion de la lutte) doit s'occuper de cela au plus vite. Maintenant, on n'est plus en sécurité au stade, les agressions et autres formes de violence pourrissent la lutte.

 

suite à 10h10

Khady Faye

 

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