Publié le 14 Feb 2024 - 13:30
ENTRETIEN - SEYDOU GUÈYE, MINISTRE, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU GOUVERNEMENT

‘’Le Sénégal doit activer tous ses leviers pour tenir la Présidentielle dans un climat apaisé’’

 

La situation est explosive dans le pays et de nombreuses tractations sont menées pour apaiser la situation et amener tous les acteurs politiques autour de la table de négociations. Dans cet entretien, le porte-parole de l’Alliance pour la République, ministre et secrétaire général du gouvernement, Seydou Guèye, revient sur les voies de sortie de crise, les manifestations violentes et l’alliance entre BBY et le PDS qu’il considère comme une conjonction de faits dans un contexte particulier, qui a facilité la mise en place de la commission d’enquête parlementaire à l’origine du report de l’élection présidentielle.

 

L’élection présidentielle a été reportée sur la base de simples accusations de corruption. Cette raison est-elle assez valable, selon vous, pour prendre une décision aussi lourde de conséquences qui met le Sénégal au ban des nations ?

Au regard des missions constitutionnelles du président de la République, oui surtout pour un président qui tient à honorer son serment. Un différend ou un conflit entre le pouvoir Judiciaire et le pouvoir Législatif ne sont pas des faits anodins dans les relations entre institutions de la République. Ils sont potentiellement porteurs de germes d’une crise. Jamais, avant une élection dans notre pays, nous n’avons connu un contentieux aussi lourd autour des règles du jeu, de la qualification des joueurs et de la neutralité ou de l’impartialité de l’arbitre.

Cependant, il convient de retenir que dans son discours, le président de la République n’a nullement parlé de crise, mais de différend et de conflit. Garant du bon fonctionnement des institutions de la République et pour éviter toute crise entre le pouvoir Législatif et le pouvoir Judiciaire, dans laquelle le chef de l’État ne pourrait intervenir, le président Macky Sall a pris ses responsabilités pour préserver notre pays d’une contestation pré et postélectorale qui pourrait être lourde de conséquences pour notre pays dans un contexte sous-régional particulier.

Certains acteurs politiques estiment que cet argument est un peu léger, notamment pour des faits non encore avérés. Qu'en pensez-vous  ?

Au plus fort de la polémique, un candidat, membre de l’opposition, a introduit un recours contre le candidat du PDS dont la participation à la Présidentielle a été compromise pour double nationalité au moment du dépôt de sa candidature.

Dès lors, le PDS a brandi de graves accusations de corruption contre des membres du Conseil constitutionnel et réclamé la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire que l’Assemblée nationale a validée. L’un des juges accusés a même introduit une plainte. Après publication de la liste définitive, une information judiciaire a aussi été ouverte contre une candidate qui figure dans la liste définitive, suite à des soupçons de binationalité. Il faut enfin ajouter les vives contestations d’un collectif des recalés à la Présidentielle qui se considèrent comme des spoliés, injustement éliminés. Par la suite, les députés du PDS ont introduit une proposition de portant report des élections.

À mon sens, c’est en prenant en compte tous ces éléments que nous pouvons comprendre les différentes péripéties qui ont conduit à cette décision du chef de l’État, en plaçant, comme lui, la stabilité du Sénégal par-dessus toute autre catégorie d’analyse.

Que répondez-vous à ceux qui accusent le régime de s’être agrippé à cette branche pour reporter une élection qu’il n’était pas sûr de remporter ?

Ils avaient d’abord soutenu que le président Sall voulait à tout prix faire un autre mandat. Vous connaissez la suite. Aujourd’hui, personne ne peut suspecter le président Sall de vouloir garder le pouvoir ou se représenter à l’élection présidentielle. Pour lui, le Sénégal est au-dessus de toute considération, la paix sociale et la stabilité encore plus au regard de ses missions constitutionnelles.

Cela dit, une élection n’est jamais gagnée d’avance. N’est-ce pas les mêmes qui avaient également annoncé que le régime avait préfabriqué ses propres résultats ! Soyons sérieux. Je vous renvoie à la Var. Le Sénégal a toujours organisé des élections régulières, libres et transparentes avec des contestations nulles, sinon marginales. C’est qui constitue, à côté du dialogue et du consensus, le caractère dominant de notre système démocratique tant chanté de par le monde.

La communauté internationale presse le Sénégal de respecter le calendrier républicain. Ceci ne va-t-il pas écorner l’image du pays ?

Nul n’est plus engagé que l’État du Sénégal pour le respect du calendrier républicain. Le fait inédit, qui a conduit à une dérogation pour pacifier l’espace politique, afin d’organiser des élections transparentes dans la sérénité, est à l’actif de l’opposition, comme je l’ai tantôt rappelé.

Cela dit, nous invitons toute la classe politique et les forces vives de la nation à rejoindre la table du dialogue dans l’intérêt supérieur de notre pays. Nous avons les ressorts du dialogue, du consensus et du dépassement, pour faire face aux différentes situations qui peuvent se présenter. Sur ce point, nous n’attendons de leçon de personne.

Les politiques, la société civile et les syndicats sont en train de s’organiser pour faire barrage à ce report. Cela ne va-t-il pas entrainer une paralysie du pays ?

Le Sénégal doit activer tous ses leviers pour tenir la Présidentielle dans un climat apaisé. Si l’intérêt supérieur de la nation, la stabilité du pays et la préservation de la République sont mis en avant, nous ne connaîtrons aucun obstacle insurmontable vers le scrutin.

Selon vous, quelle logique a sous-tendu l’alliance entre les députés du PDS et de BBY pour mettre en place une commission d’enquête parlementaire qui fragilise la candidature d’Amadou Ba accusé d’avoir corrompu des membres du Conseil constitutionnel ?

Faut-il parler d’alliance ou de conjonction de faits dans un contexte particulier, appelant de notre coalition une posture sans ambigüité dans notre marche vers la reconquête du pouvoir. Les allégations portées contre notre candidat requièrent de notre part une position tranchée pour éclairer la lanterne des Sénégalais. Notre candidat a une longue expérience dans la gestion de l’État et il n’a jamais été incriminé. Sûrement, le moment venu, il apportera sa réponse face à ces accusations. Cela dit, il nous faudra tenir toute notre place dans le dialogue national ouvert par le président de la République, ensemble lever toute équivoque sur le processus pour renforcer sa fiabilité et sa crédibilité. En ce qui concerne la grande majorité présidentielle, faire cap sur les tâches et impératifs politiques en lien avec nos bases et nos compatriotes, dans la solidarité, l’engagement et l’unité pour faire élire notre candidat dès le premier tour pour la poursuite du PSE dans un Sénégal apaisé.

Pour sortir de cette impasse, le chef de l’État a appelé à un dialogue. Est-ce le moment de dialoguer, alors que la colère gronde et que le mandat s’achève le 2 avril ?

Le Sénégal a une longue et riche tradition de dialogue. Notre capacité à dialoguer nous a permis à traverser les crises les plus sérieuses de notre histoire. L’anticipation du président Macky Sall pour ce qui est de l’abrogation de la convocation du corps électoral, mais aussi sa main tendue pour un dialogue inclusif, nous aiderons dans l’exercice intéressant qui nous attend, d’autant plus que le chef de l’État a réitéré sa volonté de ne plus briguer un nouveau mandat et nous a assuré de sa volonté de mettre en œuvre un processus pragmatique d’apaisement et de réconciliation.

Lorsque le président parle ‘’de mettre en œuvre un processus pragmatique d’apaisement et de réconciliation pour préserver la paix et consolider la stabilité de la nation’’, faut-il comprendre par-là tendre la main à Pastef et libérer certains détenus dits ‘’politiques’’ ou bien, il parle d’autre chose ?

Comme il l’a toujours fait depuis son accession à la magistrature suprême, le président Macky Sall tend la main à tout le monde, sans exclusive, pour discuter de l’avenir de notre nation. Le chef de l’État n’a jamais écarté quiconque du dialogue.

Du reste, il faut saluer les nombreux appels de tous bords qui donnent un écho favorable à l’appel du président de la République, en particulier la déclaration conjointe, signée par ses deux prédécesseurs, les présidents Diouf et Wade.  C’est le Sénégal qui sortira grandi de ce processus.

À mon sens, comme le président l’a toujours indiqué, il ne devrait pas y avoir de sujet tabou. Dans le cadre de ce dialogue national, il faut beaucoup de courage pour aborder toutes les questions dans un esprit d’ouverture et de dépassement.

Des manifestations sont programmées. Pensez-vous que ceux qui ont des positions un peu radicales vont répondre aux appels du président, qui semble avoir une volonté politique pour le retour de la paix ?

Il y a un temps pour tout. Mon souhait est que personne ne manque à l’appel pour que tous ensemble, nous discutions de l’avenir de notre pays et de la consolidation de notre démocratie et de la paix sociale, sans lesquelles aucun développement n’est possible. C’est une occasion à nulle autre pareille pour bâtir des consensus dynamiques qui contribueront à enrichir le patrimoine universel des modèles démocratiques. Nous avons une démocratie de consensus et il faut tout faire pour maintenir ce cap et ne pas sortir de cette trajectoire.

Est-il prévu qu’Ousmane Sonko ainsi que tous les détenus politiques soient libérés dans les prochains jours, comme l’a annoncé Alioune Tine ?

Pour l’heure, je n’en sais rien et il est plus urgent d’attendre. Un dialogue, c’est d’abord des concertations pour définir le cadre d’échanges et les procédures, ensuite les sujets à l’ordre du jour et la suite à donner aux conclusions retenues dans le cadre des consensus. En la matière, notre pays est riche d’une très forte expérience. À chaque jour suffit sa peine. L’avenir nous édifiera.

Des recours ont été introduits au niveau du Conseil constitutionnel et peut-être au niveau de la Cour suprême. Pensez-vous qu’ils ont des chances d’aboutir ?

Il appartient aux différentes juridictions d’apprécier les recours, en cas de saisine. C’est une démarche qu’il faut saluer dans un pays qui peut se prévaloir de la réalité d’un État de droit comme le nôtre où les recours sont ouverts devant les juridictions sur la base des prescriptions légales. Les contestations peuvent se faire dans des espaces dédiés, conformément aux principes démocratiques. Nul besoin d’user de la violence.

S’ils aboutissent, peut-on s’attendre à ce que le chef de l’État invoque l’article 52 de la Constitution qui lui arroge des pouvoirs exceptionnels ?

Nous n’en sommes pas là. Pour l’heure, ce qui compte, c’est de renouer les fils du dialogue et de bâtir des consensus dynamiques pour rester dans notre trajectoire démocratique, consolider la stabilité et la paix sociale.

Le front social est aussi en ébullition, avec les menaces de grève des médecins et des enseignants, entre autres. Cela n’augure-t-il pas de lendemains incertains ?

Le Premier ministre Amadou Ba a présidé, vendredi dernier, une réunion ministérielle avec les acteurs sociaux. L’intégralité de la rencontre s’est déroulée en présence des médias. Malgré les doléances dont vous faites cas, les syndicalistes ont fortement salué les efforts du gouvernement grâce à un dialogue social franc et dynamique qui a permis d’enregistrer de grandes avancées comme des revalorisations salariales dans la Fonction publique et le secteur privé, la revalorisation des pensions de retraite ou encore la conclusion de plusieurs conventions collectives. Le gouvernement œuvre pour la consolidation de l’apaisement du climat social et les acteurs sociaux me semblent très disposés. D’ailleurs, un calendrier a été établi avec le Premier ministre pour le suivi des engagements.  

Plusieurs acteurs économiques soulignent que cette situation d’incertitude met un rude coup à l’économie nationale, car les investisseurs étrangers vont retenir leurs billes, tant que la situation ne sera pas décantée. Que pouvez-vous leur dire pour les rassurer davantage ?

Le Sénégal est à la croisée des chemins, avec l’exploitation, très bientôt, de nos importantes ressources pétrogazières. C’est donc dire que la responsabilité doit être renforcée du côté des acteurs politiques, notamment. La volonté du président Macky Sall est clairement affichée. Notre pays est mis en orbite vers une étape cruciale de l’émergence, grâce à un budget record de plus de 7 000 milliards F CFA qui ouvre la première séquence du troisième Plan d’actions prioritaires (Pap 3) du PSE. Le prochain triennat sera marqué par la consolidation des filets sociaux. La prospérité sera mieux partagée. L’accès universel à l’eau et à l’électricité sera une réalité.

En somme, ce sera un Sénégal où il fera mieux vivre. Nous sommes convaincus qu’aucun de nos partenaires techniques qui nous ont accompagnés dans la réalisation des performances exceptionnelles que nous avons connues ces dernières années ne voudrait manquer ce challenge.

Vous remplacez Abdou Latif Coulibaly au poste de ministre secrétaire général du gouvernement. Comment appréhendez-vous la tâche ?

Avec beaucoup de responsabilité et de disponibilité, au regard de l’importante mission de coordination et de facilitation du travail gouvernemental confiée au secrétaire général et la mise en œuvre des procédures administratives engageant le gouvernement. À ce titre, je suis profondément reconnaissant au président de la République, qui a bien voulu me nommer à ce poste pour la troisième fois, me donnant ainsi l’insigne honneur d’accompagner tous les quatre Premiers ministres qui se sont succédé depuis son accession à la magistrature suprême. Je lui exprime ma profonde gratitude pour sa confiance maintes fois renouvelée et l’assure de mon engagement sans faille et de ma loyauté totale.

Quelle analyse faites-vous de ces dernières manifestations où trois morts, des blessés et des destructions ont été enregistrés ?

Regrettables à tout point de vue. J’adresse mes condoléances les plus attristées aux familles des victimes et souhaite un prompt rétablissement aux blessés. Ils sont tous des fils du Sénégal. J’appelle à la sérénité, parce le Sénégal a besoin de paix, de dialogue et de concorde pour que, dans un élan collectif, nous travaillions autour du même idéal : l’émergence et la prospérité partagée, même si les visions peuvent être différentes par ailleurs. Les actes de décrispation annoncés, depuis quelques jours, par le président de la République et certains facilitateurs devraient contribuer à la pacification, à la réconciliation qui seules peuvent nous permettre de sauvegarder ce que nous avons en partage et d’aller de l’avant dans les meilleures conditions. Ce sont les personnes modestes qui souffrent le plus des destructions que vous évoquez, car il s’agit des moyens de transport, de leur lieu travail et de l’accès aux services sociaux de base. Nous devons toujours penser aux plus faibles et aux plus précarisés d’entre nous, pour ne pas augmenter leurs souffrances. On peut exprimer son désaccord sur un sujet en manifestant ou en se tournant vers la justice de notre pays, mais ruiner notre patrimoine commun ne me semble pas constitutif d’une citoyenneté active et responsable, encore point une réponse adaptée au regard des graves conséquences que cela entraine et surtout des pertes en vies humaines.

BABACAR SY SEYE

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