Publié le 24 Jun 2015 - 23:55
ERREURS MÉDICALES DANS LES STRUCTURES SANITAIRES

Négligences coupables

 

Des structures de santé qui passent pour des cimetières paisibles. Une image caricaturale qui choque certes les esprits, mais n’en reflète pas moins une triste réalité… des erreurs médicales dues très souvent à un surplus de travail ou à l’absence de moyens.

 

« Erreur médicale », une expression qui dérange les professionnels de la santé. Ils ne veulent aucunement en entendre parler. Dans le même temps, les Sénégalais, pourtant réputés fatalistes, ont de plus en plus tendance à dénoncer les erreurs ou négligences médicales qui prennent à leurs yeux de l’ampleur.  

En 2013 déjà, un scandale révélé par l’Association sénégalaise des hémodialysés et des insuffisants rénaux avait tenu en haleine l’opinion publique. Cette structure s’interrogeait sur le fonctionnement adapté des centres de dialyse qui ne s’entouraient pas de rigueur dans l’exercice de leur mission, mettant ainsi en péril la santé des populations. Des tests ont fini par confirmer une contamination à l’aluminium du sang de 71 de ses membres.

Le journal Le Quotidien, qui a révélé l’affaire, avait mis en relief le bras de fer qui à l’époque avait opposé le ministère de la Santé et de l’Action sociale, le Centre d’hémodialyse de Dakar Amicare et l’association en question.

Le maire de Dakar de l’époque avait exigé la fermeture du centre Amicare incriminé dans cette affaire. Mais deux ans après, les Sénégalais attendent toujours les résultats des investigations menées par la tutelle. « Le ministre de la Santé doit impérativement apporter des éclairages, l’opinion attend toujours d’être édifiée. On a fermé une institution qui a été trainée devant les tribunaux mais quelle décision s’en est suivie. La fermeture d’une structure de santé doit être motivée, s’il y a eu des défaillances, il faut partager l’information », rouspète un professionnel de la santé sous couvert d’anonymat.

Et pour cause, « c’est un sujet sensible, dans le secteur de la santé, la hiérarchie est très policière. Ce sont des questions à incidence juridique. Même un médecin à la retraite est tenu par l’obligation de réserve », ajoute-t-il.

Les Sénégalais se souviennent aussi du cas de la jeune Thiouba Basse, 11 ans. Cette jeune fille, originaire de la région de Diourbel, a perdu l’usage de ses jambes suite à ce qui était considéré comme une négligence médicale et qui l’a amenée à renoncer à ses études.

La jeune fille en question s’était brûlée en plongeant ses deux mains dans du kinkéliba brûlant. Acheminée dare-dare au centre hospitalier régional de Diourbel, elle est tombée sur des médecins de garde qui ont préféré suivre leur match de foot à la télévision plutôt que de lui prodiguer des soins d’urgence. Conséquence : elle s’est retrouvée avec une amputation.

Un sujet qui fâche

Les professionnels de la santé préfèrent de loin la notion « d’erreur médicale » à celle de « négligence médicale ». 

« Les deux sont à bannir », lance l’anesthésiste Abdou Dièye, chargé de communication du Syndicat unique des travailleurs de la santé et de l'action sociale (Sutsas) dont il est par ailleurs le secrétaire général de l’Union régionale de Dakar.

Dans les différentes structures de santé visitées dans le cadre de ce travail, c’est l’omerta totale. Personne ne veut se prononcer sur un sujet jugé « sensible ».  Entre « obligation de réserve », nécessité d’avoir « l’aval des supérieurs » ou autres contraintes liées à un « calendrier surchargé », tous les prétextes sont bons pour esquiver les questions de la presse sur le sujet. 

Mais si cette question dérange autant, c’est peut-être qu’il met mal à l’aise une corporation censée sauver des vies.

« La vocation du médecin est de soigner ou de guérir le mal du patient », tente d’expliquer Hassane Touré, un spécialiste de la communication en santé pour justifier cette attitude frileuse des médecins.

« Ils se sentent très mal à l’aise quand on leur parle d’erreurs médicales », poursuit-t-il, affirmant, pour atténuer le mal, que des « accidents » surviennent certes, « mais qui résultent de plusieurs concours de circonstances ».

« La responsabilité médicale ne peut plus être occultée, les Sénégalais sont de plus en plus éveillés. Ils connaissent leurs droits et devoirs », constate cet agent du ministère de la Santé, avant de rappeler un témoignage éloquent à ce sujet du défunt Birame Diouf professeur à l’Université Cheikh Anta Diop. Ce dernier prédisait, dès 1982, des changements à venir dans prise de conscience de cette problématique.

« En 20 ans de pratique, jamais je n’ai vu un médecin être poursuivi par un patient, mais en une année, j’ai été mandaté par le procureur pour statuer sur deux cas », lançait  l’enseignant à l’endroit de ses étudiants.

Depuis, des Sénégalais brisent le silence, mais butent souvent sur des « écueils juridiques ». La cause : ils ne sont pas toujours en mesure de prouver la culpabilité du médecin mis en cause.

Mais pour le Chef du département de la médecine légale de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), médecin légiste-médecin du Travail, Lamine Sow, ‘’on ne peut parler de négligence médicale, si on n’est pas un expert dans le domaine.’’

Selon M. Sow, Président de l’inter-ordre des Professionnels de la santé (chirurgiens, dentistes, médecins, pharmaciens, vétérinaires), ‘’il faut savoir qu’il existe une procédure qui n’est maitrisée que par les professionnels de la santé.’’

‘’On peut ne pas être content d’un résultat, mais on ne peut pas dire que le médecin a été négligent. S’il y a défaillance, cela relève de l’expertise. S’il y a fraude fiscale, par exemple, il n y a qu’un expert qui puisse l’affirmer. Idem pour la santé, c’est un expert en médecine qui peut dire qu’il y a négligence, en soulignant que telle procédure n’a pas été respectée, que telle démarche a été sautée.’’

Aussi le médecin-légiste en appelle-t-il à la retenue, à la vigilance, dans la mesure où souligne-t-il, les médecins tenus à l’obligation de moyens ont, pour la plupart, ‘’la conscience tranquille’’.

Des causes multiples !

Par ailleurs, si des professionnels de la santé sont de plus en plus accusés de faillir à leur mission, eux se trouvent des circonstances atténuantes, invoquant le surplus de travail.

 « On a tendance à oublier qu’ils sont des humains. Il arrive que des médecins reçoivent des patients de 9 h à 17h. Or, une bonne consultation doit durer entre 30 minutes et une heure de temps’’, explique-t-il.

‘’Le médecin doit prendre le temps de discuter avec le patient avant de le consulter. Mais s’il se retrouve chaque jour avec 50 malades qui patientent dans la salle d’attente, il est obligé d’accélérer le rythme », fait savoir  Hassane Touré.

Entre surnombre, suivi irrégulier et manque d’outils fiables pour un diagnostic, le cocktail est souvent explosif.

Lors d’une cérémonie solennelle de rentrée des cours et tribunaux de tenue au Sénégal, le 23 janvier 2009, le vice-président du Tribunal hors de classe, rappelait les fondements de la préoccupation des citoyens pour un service de santé de qualité.  « Les médecins, rappelait-il   exercent une activité à risques » qui « comme toute activité humaine (…)  peut être génératrice de dommages ».

Des blouses blanches sur la défensive

Pour leur défense, les travailleurs de la santé estiment qu’il serait plus judicieux de poser un débat national sur les difficultés qui assaillent le système de santé au Sénégal, au lieu de s’attaquer au corps médical.

« Nous faisons face à d’énormes difficultés dans l’exercice de notre mission, mais jamais nous ne fléchissons. Nous taxer de négligents ou d’irresponsables est synonyme d’ingratitude », plaident-ils

Pour mieux se défendre, ils mettent en exergue les efforts surhumains qu’ils déploient pour sauver des vies et soulager des souffrances, avec un budget dérisoire alloué à la santé (environ 10 % du budget national).

A leur avis, les patients, très exigeants, ne sont pas conscients des efforts déployés par les médecins pour répondre à leurs attentes. Certains d’entre eux semblent tomber des nues et se disent « choqués » lorsqu’on leur parle « négligence médicale ». 

PAR MATEL BOCOUM (AVEC OUESTAFNEWS GRÂCE AU SOUTIEN D’OSIWA)

 

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