Publié le 6 Oct 2015 - 22:39
FATIME TOUMLE, TÉMOIN ET PARTIE CIVILE

‘‘Qu’Hissein Habré clarifie la situation...’’

 

Cette assistante sociale de formation se rappelle au mauvais souvenir de son époux, ministre d’Etat, disparu sous le régime Habré. Sentant l’étau se resserrer, son mari lui avait fait ses adieux avant de partir pour ne jamais revenir. Ce membre influent de l’ethnie hadjaraï a eu moins de chance que les survivants, Awada Guederké Ali et Doungous Batil, les deux autres témoins qui ont déposé à la barre hier.

 

En avril 1987, Haroun Goudi, secrétaire d’Etat à la Santé avec rang de ministre, nommé en 1984, sous le gouvernement de Habré, disparaît sans laisser de traces. Son épouse Fatimé Toumlé manque tomber à la renverse quand, le 13 décembre 1988, elle entend un communiqué officiel sur les ondes de la radio d’Etat : ‘‘Le traître Haroun Goudi vient d’être exécuté.’’ Depuis lors, une incertitude totale plane sur cette veuve et ses six enfants, dont un neveu. Dans de la série de témoignages sur la répression contre les hadjaraï, Fatimé Toumlé a fait savoir, dans sa déposition d’hier à la barre, qu’elle ne sait pas ce qu’il est advenu de son mari jusqu’à présent. 

La certitude de  sa mort ne fait pas l’ombre d’un doute dans sa tête. C’est seulement les circonstances de son ‘‘exécution’’ et le corps introuvable qui empêchent un deuil. ‘‘Ce que j’attends de Hissein Habré, c’est qu’il nous rende compte de la situation des disparus. Il faut qu’il soit courageux. Qu’il se défende. Qu’il clarifie les circonstances dans lesquelles mon époux et père de mes enfants a disparu’’, a-t-elle déclaré, quand le conseil de la partie civile, Me Assane Dioma Ndiaye, l’a invitée à s’adresser à l’ancien président tchadien.

La victime présumée, Haroun Goudi, était hadjaraï, ancien commissaire de police, ambassadeur puis secrétaire d’Etat à la Santé. Sa parenté ethnique avec Maldoum Bada Abbas, un hadjaraï entré en dissidence armée, membre de la coalition Mouvement patriotique du Salut (MPS), qui a renversé Habré en décembre 90, a conduit à sa perte. Une disparition suivie d’une dépossession matérielle. L’avocat Me Assane Dioma Ndiaye a demandé à l’épouse de Haroun pourquoi elle n’a pas utilisé les voies de recours pour s’y opposer. ‘‘Cela équivalait à compromettre directement ma vie’’, lui a-t-elle rétorqué.

Son époux faisait-il partie de la hiérarchie de la rébellion armée du Mouvement de salut national tchadien (Mosanat) ? C’est ce lien qu’ont essayé d’établir les avocats commis de Hissein Habré. Pour eux, Haroun Goudi était membre d’une opposition qui avait pris les armes et avait combattu une force militaire loyale. Que sa disparition n’est pas liée à une exécution mais au fait qu’il était une victime de guerre. Mais Fatimé Toumlé a fermement réfuté cette thèse, malgré les insistances de Me Mbaye Sène. Elle a fondé sa conviction sur les propos de Maldoum Abass qui, à la prise du pouvoir par le MDS,  lui a avoué n’avoir jamais rencontré Haroun Goudi. ‘‘Seul le président (Habré) peut nous éclairer’’, a-t-elle déclaré. ‘‘Comment pouvait-il  savoir ?  Tout ceci est-il le fruit de votre imagination ou une conviction fondée sur une preuve formelle ?’’ a poursuivi Me Sène, dans la lancée d’un interrogatoire serré. ‘‘Je ne sais pas. La destination qu’il a prise m’est inconnue’’, a repris l’épouse de Haroun. La défense n’a plus adressé de questions.

Discordances

Awada Guederké Ali, le deuxième témoin, a passé un sale moment durant le contre-interrogatoire de Me Mounir Ballal. Une discordance dans la chronologie des faits qu’il a relatés l’a fait tourner en bourrique, au point que les membres de la famille Habré venus en masse soutenir le patriarche, ainsi toute que l’assistance, se sont esclaffés. Affirmant avoir passé un trimestre de détention dans les cellules souterraines de la prison de la DDS, après une arrestation en septembre 1989, Awada a eu du mal à justifier une libération intervenue en décembre 1990, à l’arrivée du MPS. ‘‘Quand Maldoum a fait son entrée, c’était en décembre 1990. Auquel cas, vous avez fait quinze mois au lieu de trois mois d’emprisonnement’’, a fait remarquer l’avocat. Le témoin a tergiversé, balbutié quelques mots en arabe tchadien incompréhensibles au micro, devant l’interprète, et essayé de faire coïncider les dates dans une réflexion à voix haute devant un public médusé. Un embarras que Mounir Ballal a mis à profit. ‘‘Il se souvient de tout, mais ne se souvient pas de sa date de libération !’’ a-t-il martelé, enfonçant le clou d’un contre-interrogatoire très au désavantage du témoin.

Ce dernier, ex-sergent-chef de l’armée, puis douanier, a eu la maladresse de s’être absenté de son poste lors de son tour de garde, pour amener son fils malade à l’hôpital, un après-midi de septembre 1989. Il n’en fallait pas plus à une patrouille ayant constaté sa désertion, selon lui, pour l’accuser de collusion avec l’ennemi, hadjaraï, dont il est issu. ‘‘Tu es hadjaraï, tu vas voir !’’ lui a-t-on lancé, en détention à la DDS. Déclarant avoir reçu des décharges électriques et bastonné, le  douanier à la retraite a décrit des conditions de détention éprouvantables.

Selon lui, il était impossible aux détenus d’aller aux lieux d’aisance. ‘‘Est-ce qu’on avait de quoi manger d’abord pour aller aux toilettes ? On trouvait à manger par chance’’, a-t-il fait savoir. Mis dans un trou, une cellule du sous-sol, en compagnie de trois autres personnes, des séances de tortures quasi-quotidiennes, allant de la privation de nourriture aux brutalités physiques, ponctuaient ses journées. Seulement, ses connaissances limitées en alliance politico-militaire a été un talon d’Achille face à Me Mbaye Sène. Ce dernier s’est étonné que le témoin ait dit ignorer la vague de répressions qui s’abattait sur ses frères hadjaraïs, durant cette période. ‘‘ Dans ce cas, ne pensez-vous pas que le motif de votre arrestation soit liée à votre désertion ?’’ a poursuivi l’avocat dont la question a été suivie d’un mutisme du témoin.

Doungous, marabout-cultivateur

Le paysan cultivateur Doungous Batil, né en 1958, était marabout à ses heures perdues, au moment de son arrestation. Cela lui a valu un tour à la case prison. Notamment, lorsqu’on lui a prêté la réputation de fabriquer des gris-gris pour les rebelles. ‘‘Par la volonté de Dieu, je savais rendre invulnérable. En détention, El Djonto m’a demandé pourquoi je faisais ces gris-gris pour les hadjaraïs et non pour les gorans’’, a-t-il fait savoir. Pis, son appartenance à l’ethnie hadjaraï l’a fait passer pour un recruteur des mouvements rebelles. Suffisant pour que les services secrets s’intéressent à lui. Arrêté en juillet 1987 à N’Djaména, il va passer 2 ans à valser entre les prisons de la présidence, de la Bsir, des ‘Locaux’. Selon son témoignage, douze des quatorze individus en compagnie desquels il avait été enfermé sont morts en moins d’une semaine. La victime a dit utiliser la médecine traditionnelle pour soulager des douleurs aux testicules, séquelles d’un coup reçu dans les parties intimes de la part d’un soldat.

A une question de Me Yaré Fall de la partie civile, il a attesté de la présence physique de Habré durant sa détention. ‘‘Pour les autres personnes, je ne confirme rien du tout, mais puisqu’il s’agit de moi, comment pourrais-je ne pas savoir ?’’, s’est-il défendu. Fidèle à sa stratégie, Me Ballal s’est glissé dans les erreurs du procès-verbal d’audition pour confondre l’accusé. Aussi a-t-il fait dire au témoin qu’il y avait bien méprise sur le nombre de codétenus. ‘‘Peut-être l’ont-ils consigné par erreur. Nous étions bien quatorze ; pas quatre, en plus de moi. Ce qui fait quinze’’, a-t-il répondu à l’avocat. Par rapport à ses autres déclarations, il est resté constant, en confirmant ce que toutes les victimes de cette ethnie ont déclaré antérieurement. ‘‘Je n’étais pas recruteur pour les rebelles. Les motifs de mon arrestation à la DDS ? Ils n’en avaient pas besoin. Ils venaient nous imputer de faux motifs pour nous attraper’’, a-t-il lancé.  

OUSMANE LAYE DIOP

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