Publié le 18 Oct 2017 - 20:32
FATY KABA, MERE DE LA VICTIME

‘’Ils ont voulu m’humilier en passant par ma fille’’

 

C’est une mère anéantie. Le visage avachi, le corps ankylosé, Faty Kaba, trouvée dans sa maison familiale à la cité Comico, a mal jusque dans sa chair. En plus de la douloureuse perte de sa fille, Aïcha, qu’elle aimait plus que la prunelle de ses yeux, elle ne cesse de ressasser les moments ‘’humiliants’’ qu’elle a passés à l’hôpital de Pikine.

 

Une famille meurtrie. Tous sous le choc. La maman de la victime enfermée dans une chambre, après une journée fatidique. Après moult conciliabules, elle accepte de sortir pour raconter les circonstances atroces dans lesquelles sa fille de 12 ans a rendu l’âme, dans la nuit du dimanche au lundi. C’est tout simplement poignant. ‘’J’ai vécu mes pires moments dans cet hôpital. De mon arrivée à la sortie, j’ai été confrontée à toutes sortes de difficultés’’, narre-t-elle avec un cœur lourd. Souffrante dans son lit d’hôpital, Aïcha Diallo, pour les rares moments de répit qu’elle avait, tentait de remonter le moral à sa mère durement éprouvée. ‘’Yaay lan là ? me disait-elle. Bul tiit. Je vais guérir inch’Allah. Je suis une enfant. Je n’ai rien fait pour que le Bon Dieu abrège ici ma vie. Ne pleure plus. Je ne mourrai pas, je réussirai et t’achèterai une voiture…’’, lâche difficilement Faty Kaba, avant d’interrompre brutalement la conversation. C’était la dernière fois qu’elle entendait la voix fluette de sa fille ‘’préférée’’, la cadette d’une fratrie de trois sœurs.

Auparavant, que d’épreuves ! La petite fille a vécu le martyre. Sur un coup fatal du destin, elle a été contrainte de quitter son domicile sis à Niagues, dans le département de Rufisque, pour chercher secours à l’hôpital de Pikine. C’était le vendredi. Dans cet établissement situé au cœur de la banlieue dakaroise, Aïcha et sa maman ont connu un traitement ‘’dégradant’’ qui frise la barbarie. Faty Kaba : ‘’Nous sommes arrivées vers 12 heures. On nous a demandé d’attendre. Je leur ai fait savoir que l’enfant souffrait. Elle a mal à l’anus. Elle a même du mal à s’asseoir ou marcher. Ils m’ont dit qu’ils doivent s’occuper de ceux qui sont venus les premiers. Ainsi, ont-ils pris même des gens qui avaient des blessures moins graves.’’

‘’Maman, le médecin a dit que j’ai menti et que j’ai été violée’’

Le temps passe, la douleur devenait de plus en plus forte. Devant les pleurs de la gamine, le personnel finit par la prendre en charge. Seule avec le médecin, après consultation, la petite fille subit un interrogatoire en lieu et place des véritables soins dont elle avait tant besoin. ‘’Très complice’’ avec sa génitrice, Aïcha lui relate le contenu de cet entretien, dès qu’elle la revoit. ‘’Maman, le médecin a dit que j’ai menti et que j’ai été violée. Je lui ai juré le contraire. Je lui ai même dit qu’il y a des témoins et qu’il peut les interroger’’, rapporte la maman d’un air écœuré.

Pour autant, Faty, la jeune maman qui a perdu son époux depuis 2009, a gardé son sang-froid. Pour elle, c’était somme toute normale, compte tenu des péripéties qui ont abouti au drame de sa fille. Ces péripéties sortent un peu de l’ordinaire. Elle explique : ‘’Heureusement, c’était en pleine journée et ce sont les voisins qui ont entendu les cris de l’enfant et lui ont porté ses premiers soins. C’était le jeudi. Après la pluie, elle est montée sur la terrasse pour évacuer les eaux stagnantes avec un racleur. Ce qui devait arriver arriva.

Par un véritable coup du destin, elle est tombée et la manche du racleur a pénétré dans son anus. Ce qui lui a occasionné de graves blessures. Le sang giclait. Elle criait. Les voisins sont venus s’enquérir de ses nouvelles. A mon arrivée, j’ai constaté sur le bâton un morceau du jean qu’elle portait et une partie de sa chair…’’. Au moment des faits, la maman était en effet sur le chemin du travail. Elle raconte : ‘’Quand on m’a appelée pour m’annoncer la nouvelle, je suis tombée dans le bus. Les passagers me disaient : ‘’Crois en Dieu’’. Tout le monde me consolait. A mon arrivée, ma fille était déjà emmenée au district par les voisins. Si ces derniers n’étaient pas présents sur les lieux, je crois que j’aurais eu du mal à leur faire gober cette histoire. Ils auraient pu croire que je tente d’étouffer une affaire de viol’’, se console-t-elle.

Au district, les toubibs ont fait ce qu’ils ont pu. Ils lui ont donné des soins et ont conseillé à la maman de l’emmener à l’hôpital de Pikine, si au lendemain, l’état de la fillette ne s’améliorait pas. ‘’Cette nuit-là, Aïcha n’a pas dormi, raconte la maman. Elle a passé toute la nuit à se plaindre, à pleurer. Le lendemain, je l’ai emmenée à l’hôpital.’’

‘’Ils ont tenté de me faire sortir de force de l’hôpital’’

Après un accueil des plus défectueux à l’hôpital, Aïcha Diallo est abandonnée à son sort. Sur insistance de sa mère, on finit par l’assister et la perfuser. Sur les bouteilles était inscrit : ‘’perfusions salées’’. Aussitôt après, les blouses blanches retournent vaquer à leurs occupations. ‘’A un moment, Aïcha m’a appelée pour me signaler que son sang était en train de remonter vers la bouteille. C’était parce que la perfusion était finie. Quand je l’ai signalé au personnel, ils ont mis du temps à réagir. Finalement, c’est un gardien qui m’a montré comment l’arrêter.’’

Au fur et à mesure, la douleur prenait des proportions inquiétantes. Elle était devenue insupportable pour la maman qui craquait. En plus de cette douleur atroce, on lui fait savoir qu’elle n’a pas le droit de rester dans l’hôpital. ‘’Je leur ai menti en leur disant que je n’étais pas sénégalaise, que j’étais étrangère et que je ne connaissais personne à Dakar. Mais ils n’ont rien voulu entendre. Ils ont tenté de me faire sortir de gré ou de force. Je leur ai dit qu’ils pouvaient me tuer, mais que je ne sortirais pas. Tout le monde a pris ma défense. Les témoins leur disaient qu’ils n’avaient pas de cœur.’’ Finalement, les gros bras abdiquent. C’est un combat de gagné pour la jeune maman. Le lendemain, on lui fait miroiter un gynécologue qu’elle ne verra pas. ‘’L’enfant souffrait toujours, dit-elle. Je suis allée les voir et ils m’ont dit que c’est le gynécologue qui doit s’en occuper. Celui-ci n’était pas encore là. Lasse d’attendre, je suis allée les revoir vers le crépuscule, ils nous avaient complètement oubliées. Ils m’ont dit que le gynécologue est déjà reparti et qu’il faut attendre sa remplaçante.’’

‘’Dr Kandji, un homme gentil’’

Ainsi, de mésaventure en mésaventure, Faty Kaba finit par laisser le sort de sa fille entre les mains du Tout-Puissant. Elle squatte les couloirs de l’hôpital pour rester le plus près possible de sa Aïcha qui continue d’endurer la dure épreuve. C’est le dimanche qu’elle finit par rencontrer un médecin à l’âme sensible. ‘’Il s’appelle Dr Kandji. Un homme gentil. Il m’a demandé de faire une échographie à l’enfant. J’ai assisté à la séance et j’ai vu des boules de sang dans le ventre de ma fille. Le vieux était ébahi. Il demandait depuis quand l’enfant était là. Je lui ai expliqué. Il a dit qu’on devait l’opérer d’urgence, parce qu’elle souffrait d’une hémorragie interne.’’

Malgré le constat alarmant, l’enfant tarde à être opérée. Pire, elle devait faire face à une énième humiliation. ‘’C’était la nuit même où elle a perdu la vie. Comme elle avait très chaud, pas de climatiseur, pas de ventilo, laissée seule avec les moustiques, j’ai sollicité de l’aide partout. Finalement, c’est un gardien qui m’a indiqué une salle climatisée. Je l’ai installée dans la salle, avant de retourner dans les couloirs. Vers deux heures du matin, je l’entends gémir ‘’Woy ! woy yaay !…’’ Je me suis réveillée et, à ma grande surprise, c’est le médecin qui la ramenait dans sa salle. Je me suis alors dit que c’est parce qu’on a eu des altercations qu’il tentait de m’humilier à travers ma fille’’, rapporte-t-elle, triste jusqu’aux larmes.

‘’Nous n’avons pas un problème de 200 000 F CFA’’

Toutefois, la famille a tenu à préciser qu’il ne s’est aucunement agi d’un problème de sous, comme l’a raconté une certaine presse. ‘’Ce n’est pas à cause de l’argent. Nous n’avons pas un problème de 200 000 F CFA. Ma mère (la grand-mère d’Aïcha) avait assuré qu’elle allait payer, même si c’est un million. Et Dr Kandji m’avait dit que ce n’était pas urgent. J’avais 4 à 5 jours pour payer. Cela nous a fait mal qu’on raconte que c’est à cause de 200 000 francs’’, témoigne la maman, pour qui ce qu’il faut dénoncer, c’est surtout la négligence qui doit être bannie des hôpitaux sénégalais. ‘’Je sais que j’ai déjà perdu. Je n’ai aucun intérêt à porter presse. Si on a voulu porter l’affaire à la connaissance du public, c’est surtout pour qu’on puisse éviter de telles situations à l’avenir’’, précise-t-elle.

Aïcha était sa ‘’complice’’, son ‘’amie’’. Elle était ‘’brillante et très sensible’’. ‘’Son intelligence dépassait même certains de ses profs qui me le disaient’’, renchérit Faty Kaba. Cette année, elle devait faire la cinquième. La petite fille n’a jamais doublé une classe. Elle nourrissait plein de projets pour elle et sa mère. Aïcha Diallo était aussi pleine de vie. Quand elle n’allait pas à l’école, elle passait presque tout son temps à la maison. Telles des siamoises, elle et sa mère ne se quittaient que pour l’école ou le travail. Pour étayer ses propos, sa maman prend son téléphone et fait défiler les images. Tantôt, on les voit dans des palaces au somptueux village de Lac Rose, tantôt à la plage ou à la maison, en train de se filmer réciproquement ou de se photographier. Sur les images, quand elle ne rit pas, elle chantonne ou danse. Très coquette, elle dicte parfois à sa maman des poses pour avoir de belles photos.

Son sourire qui illuminait le ménage, depuis le décès du père, s’est éteint à jamais. Laissant derrière elle une mère qui se rappelle le déjà bon vieux. ‘’Mes sœurs ne peuvent pas regarder ces images. Mais moi, quand je les vois, c’est comme si Aïcha était encore là.’’   

MOR AMAR

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