Publié le 17 Apr 2024 - 11:11

FAUT-IL CRAINDRE UNE MORT PROGRAMMÉE DES MONNAIES AFRICAINES ?

 

Un peu partout en Afrique, les monnaies replient par rapport au dollar américain dans un contexte international marqué par une inflation préoccupante que peinent à contrôler les autorités monétaires. Des devises comme la livre égyptienne, le naira et le rand chutent par rapport au dollar. Au total l'on dénombre 23 monnaies qui ont perdu leur valeur face au billet vert, ce qui commence à inquiéter les décideurs et les investisseurs internationaux. Cette tendance à la dégradation de ces devises africaines est-elle irréversible? Quelles sont ses causes, ses impacts et comment faire pour y remédier ? Faut-il craindre une généralisation du syndrome zimbabwéen sur toute la chaine monétaire du continent ?

Les causes

Le décrochage des monnaies africaines par rapport au dollar s’explique par plusieurs facteurs. Tout d’abord par un contexte de crise économique international marqué par une forte inflation liée à la désorganisation des chaines de production et d'approvisionnement mondiales du fait des conséquences du conflit russo-ukrainien et du covid. Ensuite par une appréciation du dollar principale monnaie de transaction internationale. Dans un contexte particulièrement inflationniste la Banque centrale américaine (Fed) a décidé d’augmenter ses taux d’intérêts, ce qui a eu pour effet de rendre plus cher le dollar et de plonger les devises de pays utilisant cette monnaie dans leur transaction internationale. Il est à rappeler que près de 50% du commerce international se fait en dollar qui reste la monnaie la plus utilisée dans les échanges, même entre les pays africains. Dès lors, un dollar fortement apprécié pèse irrévocablement sur les réserves de change d'économies africaines fortement importatrices.

C'est pourquoi pour contrer les méfaits de ce billet vert qui prend de la valeur, les pays concernés sont obligés de dévaluer leurs monnaies afin d'une part de limiter leur importations et d’autre part de booster leurs exportations en espérant en même temps contrôler la situation d’hyperinflation.

En théorie en économie, les principales causes de la dépréciation d'une monnaie sont en gros de quatre ordres à savoir une baisse des recettes d'exportation, une hausse des importations, la spéculation sur les marchés de devises et une intervention de la Banque centrale.

Trois pays africains considérés comme des locomotives économiques continentales à savoir l'Égypte l'Afrique du Sud et le Nigeria ne sont pas épargnés par le phénomène avec des économies, à l'exception du dernier cité, peu diversifiées et fortement dépendantes des énergies fossiles. La perte de valeur de leur monnaie par rapport au dollar résulte aussi de facteurs intrinsèques locaux comme une situation d’inflation à deux chiffres, qui amène les autorités à vouloir réduire le fossé entre le taux de change officiel et celui du marché noir, les grosses difficultés économiques, liées à des contreperformances dans le secteur énergétique, une mauvaise gouvernance, un niveau élevé de corruption et de détournements de fonds. Pour un pays comme le Nigéria en particulier, les exportations reposent encore à 90 % sur les hydrocarbures dont une bonne partie de la production brute est, paradoxalement pour un pays pétrolier, importée. Résultat, ce pays est confronté à une pénurie de dollars qui pousse le naira à la baisse.

Les solutions techniques actuellement éprouvées par les autorités monétaires continentales

Outre les solutions classiques de hausse de taux d’intérêts par les banques centrales, certaines solutions radicales sont actuellement expérimentées par des pays emblématiques comme le Soudan du sud et le Zimbabwe dont les taux d’inflation titillent les trois chiffres.

Le Soudan du Sud a décidé de suspendre l'utilisation dollar comme monnaie de transaction nationale. Cette décision s'inscrit dans un objectif de renforcement de la souveraineté du pays notamment en matière monétaire et de lutte contre la volatilité du taux de change. La réussite de cette mesure dépendra de la confiance que vont lui accorder les acteurs économiques locaux.  Bien gérée, on peut s'attendre à la maîtrise complète des pertes de change qui pourront augmenter la capacité du pays à disposer de moyens financiers pour développer l'économie locale. Mais attention une décision de souveraineté monétaire répondant à des critères de fierté nationale sans gestion rigoureuse de l’économie en amont et avec des risques d’utilisation non justifiée de la planche à billets est absolument vouée à l’échec. Et ça les pays africains devraient le comprendre.

Effectivement, plusieurs experts s’interrogent sur la probabilité d’un scénario similaire à ce qu’a vécu le Zimbabwe, qui a, il faut le rappeler, connu beaucoup de soubresauts monétaires contreproductifs. Ce pays avait dû abandonner sa monnaie en 2009, au profit du dollar américain dans un contexte d'inflation à trois chiffres. Il est ensuite revenu sur cette décision avant d'opter encore pour une nouvelle monnaie locale en 2019, mais la confiance n'est jamais vraiment revenue. La devise avait perdu plus de 70 % de sa valeur et 85 % des transactions étaient effectuées en dollars américains. Finalement et contre toute attente, le Zimbabwe a émis le lundi 8 avril 2024 dernier une nouvelle monnaie le ZiG adossée à ses réserves d'or (représentant 25% de ses exportations) et à un panier de devises. Beaucoup d'Experts craignent que ce mauvais exemple Zimbabwéen gagne tout un continent 

Les autres pays africains comme l’Egypte le Nigeria et l'Afrique du Sud ne sont pas encore arrivés à cette situation compliquée du Zimbabwe et devraient pouvoir continuer de gérer leur monnaie en espérant un retournement favorable d'une conjoncture internationale difficile et en menant les réformes structurelles qu'exige une bonne gestion de l'économie et de la monnaie

Conséquences de ces décrochages monétaires 

Un dollar fort entraine pour les économies africaines des risques d'importation plus élevés, de déficit de la balance commerciale et des paiements. Le corollaire se sont des dévaluations inévitables et une recrudescence des effets inflationnistes. Autant de facteurs qui auraient des répercussions en termes de tensions budgétaires avec ses conséquences négatives sur la lutte contre la pauvreté et le chômage.

Cette situation n’est pas sans conséquences sur les investissements directes étrangers. En effet du fait des risques de pertes de change, plusieurs entreprises étrangères pourraient être amenées à réduire voire cesser leurs activités. Ce qui a commencé au Nigéria avec des multinationales comme MTN, Nestlé, Nigeria Breweries Une monnaie très instable laissée à la merci d'opérations de d'évaluation à répétition est une "bombe" pour les économies.

Au plan de la CEDEAO, il est à craindre que l'instabilité monétaire de certains pays d'Afrique de l'ouest dissuade à tort les décideurs de continuer la mise en place de la monnaie commune l'ÉCO ou de leurs monnaies nationales. La secousse actuelle qui est de mon point de vue conjoncturelle et appelée à s'estomper ne devrait pas à mon avis céder au découragement. En tout état de cause, force est de constater que malgré les turbulences monétaires actuelles, la plupart des pays qui battent leurs propres monnaies restent plus résilients en termes de performances économiques et sociales que les pays de la zone franc.

Quelles solutions pour mieux crédibiliser les monnaies africaines ?

Dans un contexte particulièrement inflationniste, la stabilité de la monnaie permet de mieux gérer les fluctuations massives des prix. Et c'est ce que recherchent les gouvernements du monde entier. Les solutions sont à la fois conjoncturelles et structurelles.

Au plan conjoncturel, ces pays pourraient en fonction de leur profil d'endettement contracter des emprunts en devises pour renforcer leurs réserves de change.

Au niveau structurel, l'Afrique doit progressivement se libérer des systèmes « classiques » de règlements Internationaux Actuellement, le recours aux devises extérieures est coûteux avec des délais de transactions longs.

La première des solutions est de mieux gérer les économies nationales et procéder aux réformes structurelles nécessaires et aller vers la diversification des économies. La santé d'une monnaie est tributaire de la qualité de la politique économique mise en œuvre. Il ne faut surtout pas "mettre la charrue avant les bœufs".

Ensuite, les pays du Continent devraient aller vers des stratégies efficientes de dédollarisation progressive de leur commerce extérieur en diversifiant au mieux leurs partenaires commerciaux internationaux. Cela passe par le renforcement du commerce intra-africain qui est faible. Aujourd’hui il ne représente que 15% du total des flux commerciaux du continent, contre environ 70% pour l’Europe et environ 60% en Asie. Cela passe d'abord par des relations bilatérales de pays proches géographiquement mais aussi par les 5 zones économiques du continent et à plus long terme par la Zone de libre échange continentale africaine (ZLECAF)

Dans le cadre de cette intégration, les pays africains devraient harmoniser leurs systèmes de paiement en rejoignant par exemple le Système de Paiement et de Règlement Panafricain (PAPSS). Ce protocole a été lancé en janvier 2022 afin d’harmoniser les échanges entre pays.

Il conviendra aussi dans cette stratégie de diversification des partenaires de renforcer les échanges avec les BRICS

Quant aux banques centrales, elles devraient revoir leurs politiques monétaires restrictives basées sur les hausses de taux directeurs lesquelles freinent la croissance, l'emploi et augmentent les déficits. Sans pour autant permettre la maîtrise d'une inflation hors de contrôle puisque d'origine non pas monétaire mais liée à la faiblesse de l'offre et à la spéculation

Enfin, il faudra songer à évaluer l'impact des plateformes cryptos sur les marchés de changes des pays africains.

 

Magaye GAYE 

Economiste International 

Ancien Cadre de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD)

et du Fonds Africain de Garantie et de Coopération Économique (FAGACE)

 

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