Publié le 27 Dec 2017 - 00:34
FILIÈRE ARACHIDIÈRE AU SÉNÉGAL

Commercialisation incertaine !

 

Un mois après l’ouverture de la campagne, la commercialisation de l’arachide bat de l’aile, au Sénégal. Du fait d’un manque de volonté politique et d’un esprit de prédation des commerçants. Ce volet de la filière reste très aléatoire. Chaque année, se pose le même problème de  l’écoulement. Sans compter la pénibilité du travail et l’augmentation constante du prix des semences et des intrants. Ce qui fait que les paysans ne savent toujours pas à quel saint se vouer.

 

Voilà presque un mois que la commercialisation de l’arachide a officiellement démarré (1er décembre). Ça fait même plus de 45 jours depuis que les paysans ont commencé à vendre leur récolte. Seulement, la campagne semble avoir du plomb dans les ailes, tant les agriculteurs peinent à écouler leurs graines. Jusqu’à hier, les paysans, en particulier ceux du Ndoucoumane, ne trouvaient pas preneurs à leur récolte. Tout est bloqué, en attendant des lendemains meilleurs. Manifestement, les huiliers ne peuvent pas acheter toute la production. Il s’y ajoute qu’avec la dette que leur doit l’Etat, un problème de liquidité se pose. Pourtant, à la sortie du Conseil interministériel sur la question, le porte-parole du gouvernement, Seydou Guèye, a affirmé que l’Etat allait payer les 4,9 milliards de francs Cfa qu’il doit aux huiliers avant la fin de l’année. Mais, apparemment, ça tarde encore.

La Sonacos Sa, également, est à la recherche de 50 milliards de francs Cfa pour ses 200 000 tonnes, sans compter son différend avec les privés stockeurs sur le taux d’abattement. Un conflit qui a fait que pendant plus d’une semaine, des opérateurs ont refusé de décharger leurs camions dans les usines de la Sonacos Sa.

Pendant ce temps, les exportateurs restent dans l’observation. Avec une taxe à l’exportation de 40 F le kilo, ils ont, eux aussi, décidé de croiser les bras. Lors du vote du budget de l’Etat, les députés avaient encouragé le gouvernement à maintenir la taxe qui, selon eux, a un effet double : protéger l’industrie locale et éviter que les subventions accordées aux paysans ne  profitent pas à l’économie chinoise ou turque. Cependant, les deux faits combinés entre  les privés stockeurs et les exportateurs font que la campagne avance à pas de caméléon. Dans tout le bassin arachidier, organisations paysannes et producteurs à la base se plaignent. Mercredi dernier, en Conseil des ministres, le président a décidé de suspendre la taxe pour créer sans doute de la concurrence afin de booster la campagne. Pour l’instant, il n’y a pas eu d’effet immédiat sur la commercialisation. Il faut donc attendre les jours à venir pour voir.

En fait, jusqu’en 2010, le producteur n’avait pratiquement pas d’alternative. Les opérateurs privés stockeurs étaient la seule option pour céder les graines à un prix égal à celui déterminé par l’Etat. À défaut, le paysan devait se contenter d’écouler sa marchandise dans le circuit informel où le montant était moins intéressant que le cours officiel. Les prix dans les marchés hebdomadaires pouvaient connaitre une baisse de 15 à 25 F, voire  50 F par rapport à celui officiel. Mais là au moins, l’agriculteur avait le loisir de disposer de son argent après le pesage. Avec les privés stockeurs, il était contraint de livrer ses graines en contrepartie d’un bon qui pouvait faire plus d’un mois sans être payé. Il y a eu même les fameux bons impayés.

Le salut venu de l’extérieur ?

Mais depuis 2010/2011, note l’Ansd dans son rapport 2012 sur la situation économique et sociale du Sénégal, ‘’le marché de l’arachide est de plus en plus investi par des opérateurs privés (en général des étrangers) offrant des prix compétitifs’’. En fait, il s’agit essentiellement des Chinois et des Indiens  qui permettent aux producteurs de disposer désormais d’une plus grande marge. Beaucoup d’entre eux se détournent du circuit officiel vers des offres plus alléchantes. Lors de la campagne 2011/2012, l’Etat avait décidé de ne pas subventionner le prix. Malgré tout, il est passé de 175 F Cfa le kilogramme, lors de la campagne précédente, à 190 F Cfa en 2012. Mais la mesure de l’Etat a eu du mal à passer.  ‘’(…) Il est noté, dans plusieurs localités, que les prix auxquels les opérateurs ont acheté l’arachide ont été de l’ordre de 210 à 250 F Cfa/kg’’, relève l’Ansd dans le document susmentionné. Le ministère a fait le même constat lors de la campagne 2015/2016.

L’année suivante, c’est-à-dire en 2013, le prix a été revu à la hausse, à 200 F. Mais, avec les étrangers, le prix pouvait aller jusqu’à plus  de 250 F. En 2014, le même prix (200 F) a été reconduit. Les huiliers ont estimé que le tarif était élevé. D’où un boycott de 45 jours de la part de ces derniers. Il a fallu un accord avec l’Etat qui décide de subventionner une partie du prix pour qu’ils acceptent de participer à la campagne. Ce qui n’a pas empêché que le prix soit revu à la hausse en 2016 à 210 F. Une valeur parfois largement dépassée sur le marché. ‘’Des prix variant entre 200 et 350 F Cfa/kg ont été observés durant la campagne de commercialisation de l’arachide’’, souligne le ministère de l’Agriculture dans la revue conjointe du secteur agricole 2015.

En réalité, depuis 2002, le prix du kilogramme d’arachide ne cesse d’augmenter. De 120 F Cfa cette année-là, il passe à 150 F en 2004. Il faut attendre la campagne 2006/2007 pour enregistrer la seule et unique baisse depuis 15 ans maintenant. Cette année-là, le prix a chuté à 140 F. L’année d’après, il remonte à 150 F contre 165 F en 2008/2009. Le prix restera le même jusqu’en 2010/2011 pour aller à 175 F. En 2012, il est de 190 F et en 2013, il s’établit à 200 F pour passer à 210 F Cfa le kilo en 2016.

Le  Cnia sous la dictée du ministre

Cette année encore, le prix du kilogramme d’arachide a été fixé à 210 F Cfa pour la campagne 2017. À la sortie du Conseil interministériel sur la commercialisation de l’arachide, le président du comité de suivi de la campagne n’a pas caché sa satisfaction. Selon Aliou Dia, la production à l’international est passée à 20 millions de tonnes contre 14 millions l’an dernier. Par conséquent, le paysan devait normalement gagner moins de 210 F dans chaque kilo. ‘’Le prix aurait dû chuter. Dieu merci, l’Etat a accepté de subventionner le prix au producteur. Il est maintenu, alors qu’à l’international il est de 187 F. Pour chaque kilogramme acheté, le gouvernement va mettre 23 F Cfa pour soutenir le producteur, augmenter son revenu et l’encourager à rester dans la filière’’, se félicite-t-il. La même explication a été servie par Seydou Guèye, Ministre délégué auprès du Premier ministre, Secrétaire général et porte-parole du gouvernement. Ce dernier se félicite, lui aussi, de l’effort de l’Etat. Pourtant, cette subvention est largement inférieure aux 45 F/kg consentis en 2010, ainsi que les 40 F en 2011.

Ainsi, leur enthousiasme, notamment celui d’Aliou Dia, est loin d’être partagé par les producteurs à la base. A Kaolack, à Kaffrine et à Louga, des voix s’élèvent pour fustiger un prix non rémunérateur. A Taïba Niassène, dans le département de Nioro, les paysans avaient dit qu’ils ne comptent pas céder leur production au prix fixé. A Louga, certains agriculteurs, qui disent avoir les moyens de stocker leurs productions, envisagent de les garder eux-mêmes jusqu’à ce que le prix soit supérieur ou égal à 250 F. Du côté du Cncr, la position est la même. Sidy Ba, le porte-parole, n’est absolument pas convaincu de l’argument de la baisse du prix à l’international (voir interview).

Il faut dire qu’avant même que le prix ne soit fixé, le ministre de l’Agriculture avait déjà indiqué la voie au Comité national interprofessionnel pour l’arachide (Cnia). En réalité, Aliou Dia ne fait que reprendre les arguments avancés par Pape Abdoulaye Seck quelques jours avant la tenue du Conseil interministériel sur la campagne agricole. ‘’Le prix doit tenir compte du fait que la production mondiale d’arachide va augmenter cette année et que les cours mondiaux sont bas. Nous voulons tous un prix juste, c’est-à-dire un prix rémunérateur pour les acteurs, supportable par le budget des consommateurs et par ceux qui sont censés triturer la graine pour que nous puissions avoir de l’huile’’.

Au vu de cette déclaration, il y avait peu de chance que le prix soit revu à la hausse. Pourtant, les paysans ne désespèrent pas, malgré les inquiétudes, de vendre leur production à un prix supérieur à celui fixé par l’Etat.

 Le prix d’un âne passe de 15 000 à 75 000 F Cfa

Cependant, cette augmentation progressive du prix ne veut pas dire, pour autant, que le paysan s’en sort. En effet, le prix au producteur du kilogramme d’arachide a été estimé à 191 F en 2008. Ce qui signifie que pendant plusieurs années, le paysan vendait à perte. Il s’y ajoute que depuis cette évaluation, les prix des intrants et matériels agricoles ont sensiblement augmenté et ne cessent de grimper. En guise d’exemple, l’âne, qui était l’animal le moins considéré parmi les bêtes de somme, s’achetait au Saloum à 15 000 F, maximum 25 000 F, dans les années 2000. Il fut même un temps (avant 2000) où il pouvait s’offrir gratuitement. Aujourd’hui, il s’échange contre  75 000, voire 100 000 F. Le cheval adulte, qui s’échangeait dans le Ndoucoumane (Kaffrine) à 150 000 ou 200 000 F Cfa vers l’an 2000, frôle les 500 000 F Cfa maintenant, sans compter les vols dont il est la cible et qui viennent s’ajouter aux risques.

Un travailleur saisonnier d’une trentaine d’années se contentait de 150 000 F auparavant. Actuellement, un jeune de moins de 20 ans ne s’engage pas pour moins de 200 000 F. Les engrais, les semences ainsi que la location des champs ont pris la même courbe. Malgré tout le discours politique, les dotations sont largement inférieures aux besoins. A Fatick, par exemple, on réunit les cartes d’identité pour procéder à la loterie. Dans d’autres endroits, un chef de famille peut se retrouver avec un sac de 50 kg en arachide coque. Autant d’éléments qui indiquent clairement que malgré les discours, le paysan est loin d’avoir l’accompagnement dont il a besoin pour sortir de la vulnérabilité.

Une filière de détourneurs

Même si les moyens dégagés pour aider les paysans sont largement insuffisants, il serait inexact de dire que l’Etat n’a rien fait. Mais il y a lieu de se poser la question de savoir à qui profitent réellement les montants dégagés au nom du soutien à la filière arachidière. En réalité, les efforts consentis pour l’agriculture servent plus aux détourneurs de deniers publics qu’aux paysans.

Du temps des socialistes, plusieurs institutions publiques ont été mises en place pour accompagner les paysans. Il s’agit de l’Office national de coopération et d’assistance au développement (Oncad), de la Société nationale d’approvisionnement rural (Sonar) et de la Sonagraines, une filiale de la Sonacos. Toutes ces entités ont été chargées, de leur existant, de la commercialisation de l’arachide et de la collecte et de la distribution des semences et des intrants. Mais la suite a toujours été la même.

‘’Ces trois sociétés d’Etat qui se sont succédé ont partagé le même sort : celui d’avoir été dissoutes les unes à la suite des autres, pour cause de gestion calamiteuse’’, écrit Ibrahima Samba Bocoum dans son livre intitulé ‘’Crise de l’arachide au Sénégal, itinéraire d’un témoin indépendant’’. Cet homme, qui a fait 30 ans dans la filière, a décrit  la manière dont  s’organisait le pillage, avec une chaine de complicité du niveau stratégique à celui opérationnel.

En réalité, l’agriculture, particulièrement l’arachide, a été une  source d’enrichissement illicite pour des personnalités de divers ordres. Des acteurs politiques, des opérateurs économiques et des guides religieux se sont servis avec les deux mains, du temps des verts. Avec le régime libéral, la Caisse nationale de crédit agricole (Cncas) a connu le même sort. Des personnes physiques ou morales, sans aucun lien avec le secteur, sont allées puiser des milliards dans la banque des agriculteurs. Et comme toujours, tout est passé par pertes et profits, pour des raisons politiciennes.

Ainsi va la Sénégal de Senghor à Macky !

BABACAR WILLANE

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