Publié le 23 Jan 2017 - 21:33
FIN DE LA CRISE POSTELECTORALE GAMBIENNE

Jammeh est parti avec le jackpot

 

Si ce n’est un coup de maître, ça y ressemble. Dans la crise postélectorale gambienne, au final, Yahya Jammeh a obtenu non seulement des garanties, mais il s’est exilé en Guinée Equatoriale avec tous ses biens et ses proches, au grand dam des partisans d’Adama Barrow qui ruminent leur colère. La CEDEAO, l'UA et l'ONU ont accédé à l’essentiel de ses demandes.

 

La journée du samedi a été très longue pour les médiateurs de la dernière minute, notamment le président de Guinée, Alpha Condé. Alors qu’il attendait de repartir avec Yahya Jammeh, l’ex-dictateur gambien avait d’autres chats à fouetter, retardant son heure de départ initialement prévue à 16 heures. Au point qu’Alpha Condé commença à montrer des signes d'impatience vis-à-vis de son hôte qui jouait gravement la montre. Car après avoir passé la nuit en Gambie, le Président Condé semblait fatigué et dans son entourage, on le reconnaissait : ‘’Le Président ne se sent pas bien.’’ ‘’C'est dommage que Jammeh l'ait floué au sujet de son heure de départ’’, nous déclara alors une source.

En effet, pendant ce temps, Yahya Jammeh s’affairait à rassembler tous les biens qu’il ne comptait nullement laisser derrière lui. Il s’agit notamment de ses gros bolides de luxe dont des Phatom de la dernière série ; de ses coffres-forts et d’autres biens. Les soldats qui lui sont restés loyaux ont été chargés de rassembler tous ses troupeaux de bœufs et de les acheminer à Kanilai. Au même moment, l’ex-leader gambien négociait avec le Président Idriss Déby pour obtenir l’arrivée d’un avion-cargo pouvant acheminer tous ses biens.

Après son départ, vers 20h 30 mn, vers la Guinée où Jammeh a fait une escale d’une à deux heures avant de rallier la Guinée Equatoriale, le bruit a couru selon lequel l’espace aérien gambien resterait fermé jusqu’à nouvel ordre. Ainsi, les populations ont espéré que l’avion-cargo qui avait atterri ne pourrait pas repartir avec les biens de Jammeh. Ou bien qu’il s’en retournerait vide. Mais c’était sans compter avec la détermination des soldats fidèles à Jammeh qui ont pris le contrôle de l’aéroport, avant d’embarquer tous les biens de Jammeh dans l’avion qui a pris les airs, au grand dam des supporters du Président Barrow qui n’avaient plus que leur colère à ruminer.

Yahya Jammeh reste maître du jeu

Mais ce n’est que le début de leurs désillusions, puisque quelques heures plus tard, un document a fuité laissant voir que beaucoup a été donné à Yahya Jammeh en échange de son départ du pouvoir. On lit dans le document que  la CEDEAO, l'UA et l'ONU vont s'assurer du respect de la dignité, de la sécurité et des droits de Yahya Jammeh, sa famille immédiate, ses responsables de la sécurité, ses partisans politiques et ses loyalistes. Les trois organisations devront s'engager à travailler avec le nouveau gouvernement de Gambie pour s'assurer qu'aucune mesure législative ne soit prise par celui-ci, pour revenir sur la garantie d'impunité qui est accordée à Jammeh.

Ce n'est pas tout, car l’ex-président, qui a vraiment placé la barre très haute, demande que  la CEDEAO, l'UA et l'ONU s'engagent à collaborer avec le gouvernement d'Adama Barrow pour empêcher la saisie des biens et propriétés lui appartenant "légalement", ainsi que ceux appartement "légalement" à sa famille et ses collaborateurs. Et en plus d'exiger qu'aucun préjudice ne soit porté à ses droits et son statut de chef de parti politique, Jammeh demande aussi que l'UA et l'ONU veillent à ce que les pays hôtes qui lui offrent une "hospitalité africaine", ainsi qu'à sa famille, ne fassent plus tard l'objet d'un harcèlement, d'une intimidation et de toutes autres formes de pressions et de sanctions "indues". Pour boucler la boucle, Jammeh demande que l'UA et l'ONU collaborent avec le gouvernement d'Adama Barrow pour faire en sorte qu'il soit libre de retourner en Gambie à tout moment de son choix, conformément au droit international, aux droits de l'Homme et à ses droits en tant qu'ancien chef d'Etat et citoyen de Gambie.

Colère et confusion dans le camp de Barrow, Mankeur Ndiaye à la rescousse

Ces exigences ont fait monter la colère des supporters d’Adama Barrow qui, furieux, ont commencé à poster des messages vidéos demandant qu’aucune impunité ou amnistie ne soit accordée à Jammeh. Certains des plus furieux sont même allés jusqu’à parler de trahison d’Adama Barrow qui, selon eux, veut laisser partir Jammeh avec les biens volés aux Gambiens. Le Président Barrow et sa coalition ayant vite pris la mesure de la colère qui allait crescendo aussi bien en Gambie que dans la diaspora, son porte-parole à Dakar, Mai Fatty, a publié un communiqué de presse. Le document de préciser que Jammeh ne bénéficie d’aucune immunité et encore moins d’une amnistie. Mai Fatty de préciser que le document qui a fuité est un draft des demandes de Jammeh que la CEDEAO est en train d’examiner.

Ces précisions n’ont pour autant pas éteint la polémique, puisque ce dimanche, l'Union africaine a, dans un communiqué, exhorté le gouvernement gambien à ‘’prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer qu'il n'y aura pas d'intimidation, de harcèlement et/ou de chasse aux sorcières des anciens membres du régime et des partisans de Yahya Jammeh’’. Cette déclaration, publiée au lendemain du départ en exil à Malabo, en Guinée Equatoriale, de Yahya Jammeh, ressemble à tout point de vue au document qui a fuité, au moment des longues tractations menées par les présidents mauritanien et guinéen. Car, on y lit que l’UA, qui assure avoir travaillé en étroite collaboration avec l'ONU et la CEDEAO dans la résolution de la crise gambienne, ’’demande à ce que le président gambien déchu, Yahya Jammeh, ‘’bénéficie de la dignité, du respect, de la sécurité et des droits d'un citoyen gambien et ancien chef de l'Etat’’.

Le communiqué posté sur le site de l’UA indique aussi que les trois organisations s'engagent à collaborer avec le gouvernement de la Gambie pour empêcher la saisie des biens et propriétés appartenant légalement à l'ancien Président Jammeh ou à sa famille et à ceux de ses membres du Cabinet. Au cœur de cette confusion, le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Mankeur Ndiaye, est monté au créneau pour soutenir, dans un entretien à l’agence presse Reuters, que la CEDEAO n'a accordé aucune immunité à Yahya Jammeh. Selon le chef de la diplomatie sénégalaise, Jammeh et son équipe avaient préparé une déclaration qui devait être approuvée par la CEDEAO, l’UA et l’ONU. Ce texte lui donnait toutes les garanties, en particulier l'impunité, mais personne ne l'a signé, affirme le ministre sénégalais. Qui précise que le Président Adama Barrow n'avait pas été mis au courant de ce texte, avant sa publication.

Jammeh s’en va avec son jackpot

Actuellement, quelle que soit la confusion qui entoure ce protocole, Yahya Jammeh est bien parti avec ses voitures, ses coffres-forts et la plupart de ses proches collaborateurs. Parmi ces derniers, il y a le général Saul Badjie, le commandant de la garde présidentiel et pilier de la mainmise de Jammeh sur le centre névralgique de l'armée. Il y a aussi Oumpa Mendy, le responsable de sa protection rapprochée, tout comme la jeune dame Jimbe Jammeh. Estampillée officier du protocole présidentiel, Jimbe est considérée par beaucoup comme une troisième main de Jammeh dans beaucoup de ses manœuvres et dans sa vie privée très tumultueuse. Il est également confirmé qu'Amadou Joof, l'aide de camp de l'épouse de Yahya Jammeh, est parmi ceux qui sont partis avec l'ancien leader gambien.

Tous ces gens ont quitté Banjul aux côtés de Jammeh et avec leurs  familles entières. Destination finale : la Guinée Equatoriale après une offre tardive du président Theodoro Obiang. Jammeh fut très vite preneur en y voyant une assurance face à d’éventuelles poursuites. Dans le camp du Président Adama Barrow, la Guinée Equatoriale présente l'avantage d'éloigner Jammeh de Banjul et de ses influences au potentiel déstabilisateur que les nouvelles autorités gambiennes préfèrent ne jamais croiser sur leur chemin.

Mame Talla Diaw

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