Publié le 17 Feb 2020 - 17:01
FINANCEMENT DU TERRORIS

La Dic pêche trois gros poissons

 

Un ancien ambassadeur sierra-léonais, un professeur d’université sierra-léonais et le représentant au Sénégal de l’Association mondiale pour l’appel islamique ont été interpellés et déférés au parquet de Mbour. Ils tentaient de sortir du pays avec 45 millions qu’ils n’ont pas déclarés à l’AIBD. L’enquête de la Dic révèle des indices de financement du terrorisme. Plongée dans les méandres de l’enquête.

 

Le diplomate et ancien ambassadeur de la Sierra Leone en Libye, M. L. Samura, le professeur à l’université de Freetown, I. I. Koroma, et le chef de mission résident au Sénégal de l’Association mondiale pour l’appel islamique (Amai), le Sierra-Léonais M. O. M. Ahmed ont été remis, hier, entre les mains du procureur du tribunal de grande instance de Mbour, après 168 heures de garde à vue, par les enquêteurs de la Division des investigations criminelles (Dic). Ces limiers leur reprochent les faits d’association de malfaiteurs, blanchiment de capitaux et financement du terrorisme.

Selon nos informations, le vendredi 7 février dernier, M. Koroma et M. L. Samura, en partance pour l’Afrique du Sud, à bord du vol R2 342, ont été interpellés par la subdivision de la douane de l’aéroport international Blaise Diagne (AIBD), en possession d’une somme de 90 460 dollars US (soit 45,23 millions de F CFA) non déclarée et dissimulée dans leurs valises. Interrogés sur l’origine et la destination desdits fonds par les limiers du commissariat spécial de l’AIBD, ils ont déclaré les avoir reçus du nommé M. O. M. Ahmed. La somme était destinée à payer des enseignants officiant dans les écoles coraniques de l’Amai, en Sierra Leone.

Interpellé à son tour par les douaniers, M. Ahmed a confirmé les déclarations des deux autres coaccusés. Mieux, il a ajouté que l’argent provient du siège social de l’Amai se trouvant en Libye. Qu’il reçoit les fonds par virement bancaire dans le compte de son bureau sis à Dakar, ouvert dans une banque de la place qui est crédité d’un montant fort de 400 000 dollars (240 millions F CFA). Il a ajouté que, du fait que le siège de l’Amai en Sierra Leone est fermé depuis le début du conflit libyen, toute la coordination des activités de l’association a été transférée à Dakar où l’Amai dispose d’un siège depuis plus de 25 ans.

Vu la complexité du dossier, il a été transféré à la Division des investigations criminelles (Dic). M.  Koroma a été entendu, à son tour. Revenant sur les circonstances de son interpellation, il renseigne que le 3 février dernier, il a quitté la Sierra Leone en compagnie de son compatriote Samura, pour rallier Dakar, afin de se rendre au siège de l’Amai sis au centre-ville. Arrivés le même jour en début d’après-midi, il s’est rendu, toujours en compagnie de son compatriote, au lieu précité, où ils sont restés jusqu’au lendemain vers 15 h, pour se rendre à l’aéroport international Blaise Diagne de Diass, en vue de retourner dans leur pays.

Premier séjour au Sénégal en 1990, sur l’invite du khalife général des tidianes de l’époque

Lors de leur séjour, poursuit-il, ils ont reçu des mains du nommé M. Ahmed la somme de 90 460 dollars US destinée à payer les salaires des missionnaires de l’Amai en Sierra Leone. Il a ainsi déposé les fonds dans sa valisette pour les convoyer dans son pays, mais il a été interpellé en même temps que son compatriote par la douane sénégalaise.

Invité à produire un document pouvant attester que les fonds en question étaient destinés à payer des salaires, il a déposé une liste, écrite en arabe, de 18 personnes qui, selon ses dires, est constituée d’imams, de prêcheurs et d’enseignants. À son tour, M. Samura, par ailleurs Docteur en philosophie arabe, a abondé dans le même sens que son compatriote I. I. Koroma. L’ancien ambassadeur de la Sierra Leone en Libye, entre 2002 et 2012, a ajouté qu’après la réception des fonds, son compatriote et lui se sont rendus à l’ambassade de la Sierra Leone à Dakar, pour une visite de courtoisie. Concernant ses précédents séjours au Sénégal, il a souligné y avoir séjourné en 1990, en tant qu’invité du khalife général des tidianes.

Interrogé sur son travail, M. Ahmed a soutenu être le coordonnateur et superviseur du bureau de l’Amai à Dakar de l’université de Pire qui dépend du bureau du centre islamique de Nguéniène (Mbour) et du centre islamique de Khoutakh (Kaolack). Au sujet de ses déplacements à l’étranger, il a révélé avoir visité de nombreux pays comme la Mauritanie, le Bénin, le Tchad, le Maroc, le Liban, l’Indonésie, la Jordanie et la Tunisie, uniquement pour des congés ou autres activités intellectuelles.

A la question de savoir pourquoi il n’a pas viré les fonds, objets de l’enquête, dans les comptes des deux autres, pour éventuellement éviter tout transfert illicite, du fait que ces derniers ont confirmé disposer chacun d’un compte dans leur pays, il a répondu que les susnommés lui avaient assuré que les fonds seraient transférés de manière légale, avec l’appui de leur représentation diplomatique, en lui signant même une décharge dans ce sens. M. Koroma et M. L. Samura, interrogés à nouveau, ont confirmé les propos d’Ahmed.

Quant aux raisons du non virement ou transfert des fonds dans leur compte et l’option prise de les convoyer de manière illégale, ils ont soutenu, avec une mauvaise foi manifeste, selon nos interlocuteurs, que leur compte ne pouvait pas recevoir de l’argent en devises étrangères.

Passeports de jeunes Sénégalais, Guinéens, Sierra-Léonais, Tchadiens et Comoriens

Après avoir entendu les trois mis en cause, les hommes du commissaire Aliou Ba, le boss de la Dic, ont exploité leurs téléphones portables. Les résultats ont permis de constater que celui de M. O. M. Ahmed contenait des photocopies de passeports ordinaires de 2 jeunes Sénégalais, 6 Guinéens, 4 Sierras-Léonais, 6 Tchadiens et 4 Comoriens, des chèques d’une banque de la place émis par l’Amai dont le cumul atteint la bagatelle de 386 millions de F CFA et une lettre de transfert d’une somme de 10 000 dollars US au Liban. Il a été découvert, dans le téléphone de Koroma, un document faisant état d’un virement de 35 625 dollars US qu’il a reçu d’une fondation dénommée ‘’Diana’’ sise en Turquie. Des indices qui laissent penser que ces jeunes de diverses nationalités pourraient être de potentiels candidats ou recrues au djihad, soutiennent nos sources. Interrogé sur le virement précité, il a confirmé l’avoir reçu pour le compte de l’ONG Sierra Leone Muslim Missionnaries Union dont il est le secrétaire général. Poursuivant, il a révélé que ces fonds sont destinés au fonctionnement de leur organisation et à soutenir des musulmans nécessiteux.

A son tour, M. Ahmed a été interrogé sur les documents découverts dans son téléphone. Concernant les photocopies de passeport, il dit les avoir obtenues des mains de leurs propriétaires qui sollicitaient des bourses d’études auprès de l’Amai. Pour ce qui est de la somme de 10 000 dollars US, il a avoué avoir fait le virement au Liban pour, selon ses dires, payer une imprimerie qui devait lui reproduire des livres. Relativement au montant de 386 millions F CFA représentant le cumul des copies de chèque trouvées dans son téléphone, il a soutenu les avoir émis pour payer des factures et assurer les dépenses de fonctionnement du bureau. Invité à produire un document pouvant justifier ses dires, il a répondu qu’il n’était pas en mesure de le faire.

Les fonds retirés étaient destinés au fonctionnement de…

Une réquisition a été adressée à la banque en question, dans le cadre de cette enquête. Elle a permis de constater que ledit compte a été ouvert depuis 2009. Il a été géré successivement par les nommés S. M. Ramadan, N. S. Tarhouni, A. F. A.  Shagroun, M. M.  Abuaisha et M. O. M. Ahmed. Il est alimenté par des virements périodiques de 25 000 à 50 000 dollars, depuis le siège à Tripoli/Libye. Le solde actuel du compte est de 439 435 dollars, soit l’équivalent de 241 millions de F CFA. En plus, il y a eu plusieurs retraits, par chèque, variant de 4 000 à 50 000 dollars, effectués par les nommés M. Mbacké, M. I. Diagne, D. Ka et A. N. Lo. Les mis en cause ont soutenu que les fonds retirés par les susnommés étaient destinés au fonctionnement du bureau de l’Amai et à payer les salaires des missionnaires basés au Sénégal ou dans la sous-région.

Selon toujours nos interlocuteurs, sur les 90 460 dollars US, un échantillon composé de 2 billets de 100 dollars, 2 billets de 50 dollars et de 2 billets de 20 dollars a été remis pour des vérifications auprès des représentations diplomatiques

américaines. Les résultats ont montré qu’il s’agit de billets authentiques. Egalement, les autorités ont confirmé que les présumés ne sont pas concernés par la liste des personnes suspectées ou recherchées pour une quelconque infraction terroriste, au regard de leur base de données.

L’on nous signale aussi que vu la complexité du dossier, il n’est pas exclu qu’une information judiciaire soit ouverte par le tribunal de grande instance de Mbour.

CHEIKH THIAM

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