Publié le 28 Oct 2016 - 18:40
FINANCEMENTS UE POUR CONTRER LA MIGRATION CLANDESTINE

Coups d’épée dans l’eau de la Méditerranée

 

La résurgence de la migration clandestine sur les embarcations en Méditerranée, rappelle le milieu des années 2 000, où beaucoup de Subsahariens ont tenté de rejoindre ‘‘l’eldorado’’ européen. Une décennie après, les mêmes causes continuent de produire mêmes les effets et de recevoir les mêmes traitements stériles.  

 

La publication de la photo d’un enfant kurde de trois ans, Aylan Kurdi, mort sur une plage turque en septembre 2015, avait créé une onde de choc émotionnel à travers le monde. Mais cette ‘‘nouvelle émigration’’ causée par les remous du Printemps arabe, obnubile presque la vague migratoire des ressortissants subsahariens, dont la problématique est tout aussi préoccupante. Après un pic atteint au milieu des années 2000, cette émigration clandestine refait parler d’elle avec un triste record de 3 800 morts dans la Méditerranée, selon le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR), pour l’année en cours.

Au Sénégal, depuis une décennie, des solutions à base de programmes-leurres (Reva, Anida), et de dispositifs inopérants et coûteux (Frontex) constituent l’essentiel de solutions visiblement inefficaces. Face à l’ampleur du phénomène et malgré les précédents, l’Union Européenne (UE) a pourtant décidé de renflouer les caisses du Sénégal, mardi dernier, avec deux conventions essentiellement centrées sur les moyens de fixer, dans notre pays, les jeunes Sénégalais qui auraient la mauvaise idée de vouloir se rendre en Europe à la quête de cieux plus cléments. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’affaire n’est pas si mal pour les services du ministre de l’Economie, des Finances et du Plan. Avec le commissaire au Développement et à la coopération Internationale, Neven Mimica, le ministre Amadou Ba a apposé sa signature sur une convention devant financer 4 nouveaux projets pour un montant total de plus de 59 milliards de francs CFA sous forme de dons.

 Mauvaises options

 Combattre le mal à la racine n’est pas une priorité pour les vingt-huit qui semblent n’être intéressés que par le refoulement de migrants vers leurs pays d’origine. En  contrepartie à ces rondelettes sommes d’argent, les Européens demandent au Sénégal de renforcer les contrôles à ses frontières et d'accepter le retour d'immigrés sénégalais illégaux qui seront bientôt rapatriés du vieux continent. Cette stratégie entre dans le cadre d’une politique de l’Union visant à pousser le Sénégal, le Niger, le Nigeria, le Mali et l'Ethiopie à faire ‘‘davantage d'efforts nécessaires pour tarir le flot de migrants illégaux, provenant d'Afrique en particulier, et d'améliorer les taux de retour’’, peut-on lire dans le communiqué commun relatif à l'immigration adopté par les dirigeants des vingt-huit, il y a quatre jours à Bruxelles. Ces derniers ont donné leur aval à la Haute Représentante pour les Affaires étrangères de l'Union, Federica Mogherini, pour qu’elle négocie des accords avec ces pays africains considérés comme gros pourvoyeurs de clandestins à destination de l’Europe, et qui pourront recevoir des financements européens conditionnés à la mise en place de politiques migratoires adaptées.

Pour le président de l’ONG Horizons sans frontières HSF, cet accord signé mardi s’inscrit dans la même perspective d’échec puisque les mêmes causes vont produire les mêmes effets. ‘‘Ces accords vont absolument prendre la voie de l’échec. Voyez ce qui se passe à Calais. Ce sont de mauvaises politiques d’orientation au développement. Il faut mettre l’accent sur la formation et la création d’emplois. Tout cet argent aux chefs d’Etats africains est une manière de les corrompre. L’émigration a été pour eux, une soupape de sûreté pour régler leur morosité économique. L’Union européenne est complice de tout cela. Elle n’a pas de résultats, elle n’a qu’à changer de type de coopération’’, dénonce Boubacar Sèye

 En principe donc, le Sénégal devra utiliser cette manne de l’Union européenne pour mettre en place des mesures en faveur de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière à partir de notre sol. On sait ainsi que l'argent va servir à contribuer au renforcement de la résilience des populations rurales des régions de Kolda et Tambacounda d’où partent beaucoup d’immigrants et à appuyer l’amélioration de la compétitivité des filières agricoles et de la sécurité alimentaire dans les tiers-sud du Sénégal. Une autre partie de l’argent sera aussi utilisée pour contribuer au renforcement de l’Etat de Droit à travers l’amélioration de l’Administration de la Justice, la lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent et le respect des droits de l’homme. En avril dernier, les Européens annonçaient déjà leurs intentions en aidant le Sénégal à construire cinq nouveaux postes frontaliers le long de ses frontières avec la Mauritanie et le Mali.

En théorie, c’est pour aider le Sénégal à optimiser la sécurité de son territoire mais aussi celle dans la région. Mais on sait qu’il s’agit de boucher les voies d’accès des clandestins qui empruntent les chemins via la Lybie et le Niger. Et cette fois-ci, les Européens, soucieux de combiner leurs efforts pour faire plier le Sénégal et les autres pays africains, ont mutualisé les programmes des coopérations française et luxembourgeoise dans le premier projet, d'un montant de plus de 26 milliards de francs CFA, tandis que dans le deuxième projet, il y aura un montant de plus de 13 milliards de francs CFA mis en œuvre par les coopérations espagnole et italienne.

Echecs

Sauf que la pertinence de cet aspect de la lutte contre l’émigration clandestine aura beaucoup de chemins à faire pour convaincre de son efficacité. Entre 2007 et 2016, l’UE a dégagé une enveloppe de 696 millions d’euros pour le retour de ces migrants en situation irrégulière, fait savoir le président de HSF, Boubacar Sèye. ‘‘Le Sénégal avait reçu une grande part de cet argent pour la réinsertion de ses migrants. Mais il n’a pas profité aux ayants droit, c’est là où se situe le véritable débat’’, analyse-t-il. Dans le cadre du dispositif Frontex, l’Espagne avait eu à dégager une enveloppe que certains estiment à près de 15 milliards de nos francs destinés au Sénégal. Pour presque rien puisque les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla sont toujours prises d’assaut par des milliers de migrants.

Sous la présidence d’Abdoulaye Wade, le plan Retour vers l'Agriculture (REVA), a été un véritable leurre. Le programme a été kidnappé par les ministres du régime Wade dont beaucoup se sont appropriés, via des prête-noms, des terres pour en faire des fermes dès que 90 millions d’euros sont tombés dans les caisses du Sénégal. Les jeunes Sénégalais n'y ont vu que du feu,  à défaut d’en obtenir des miettes ou de devenir journaliers dans les fermes de ces ministres devenus subitement de grands fermiers. Le responsable de ce programme de l’époque, Farba Senghor, botte en touche.

‘‘Ce Plan avait tout ce qu’il faut pour réussir, pour retenir les jeunes, mais il a été mal enclenché avec le régime de l’Apr. On avait de grands programmes avec l’Inde, le Maroc avec plusieurs pôles dont un test (derrière Sébikotane) à 600 millions de FCFA, et 13 milliards de FCFA avec le Royaume d’Espagne, pour la réalisation d’autres pôles sur l’agriculture, l’élevage et la pisciculture. Nous avons quitté le pouvoir au moment où les financements sont arrivés et personne ne sait comment l’argent a été utilisé. Tout cela a été mal managé pour le régime en place. On devait nous expliquer à quoi ces financements ont pu servir’’, a-t-il défendu hier, dans un entretien téléphonique.

Abdou Khafor Touré qui a été directeur de l’Agence nationale de l’emploi des jeunes (Anej) au moment où le phénomène battait son plein estime que les projets ‘‘ont beaucoup marché’’, mais que le manque de constance dans le traitement de ce phénomène a été une erreur. ‘‘On a arrêté les efforts mais les solutions proposées ont été excellentes. C’est positif mais il faut aller au-delà’’. Le nouveau membre de l’Alliance pour la République parle d’économie solidaire et de la facilitation des mécanismes d’obtention légale du visa pour éviter la résurgence du phénomène.

En attendant, le phénomène n’a jamais cessé de s’intensifier contrairement à ce qu’on pense, depuis l’affaissement de l’Etat libyen. Environ 4 000 migrants subsahariens rejoignent les côtes européennes chaque mois, selon Horizons sans frontières. Etant donné que la finalité de la migration clandestine est de bénéficier du droit d’asile et que les jeunes Sénégalais ont plutôt le profil de migrants économiques, les refoulements ont de beaux jours devant eux. A en croire l’analyse plutôt pessimiste du président de HSF, la pauvreté et le chômage des jeunes n’ont pas encore fini d’alimenter ce serpent de mer. Pour combien de temps encore ?

 IBRAHIMA KHALIL WADE & OUSMANE LAYE DIOP

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