Publié le 23 May 2016 - 21:01
FISTULE OBSTETRICALE

L’envers de l’accouchement

 

La fistule obstétricale est une maladie aux conséquences dramatiques. Découlant d’un accouchement difficile, elle réduit ses victimes à la solitude et à la misère morale et sociale, à cause des mauvaises exhalaisons. Très peu connue au Sénégal, y compris par des femmes, cette pathologie des oubliées de la nation est pourtant facile à prévenir. En plus, elle se soigne, grâce à la chirurgie. Le défi aujourd’hui est d’en informer la population. En ce 23 mai, où on célèbre la journée internationale dédiée à la pathologie, les acteurs et les décideurs ont l’occasion de méditer sur le thème : ‘’Eliminer les fistules dans l’espace d’une génération’’.

 

L’accouchement est en principe un évènement heureux pour toute femme. Mais dans certains cas, le rêve se transforme en cauchemar. Notamment pour celles qui sont atteintes de fistule obstétricale, à l’issue d’une maternité. Tout d’abord, c’est quoi cette maladie ? ‘’La fistule est une communication anormale entre les voies urinaires de la femme et les voies génitales. Qui fait qu’il y a une perte involontaire des urines à travers non pas les voies naturelles, mais par les voies génitales de la femme. Donc, ce sont des urines incontrôlées, involontaires qui surviennent en général après accouchement’’, explique le chirurgien urologue, Dr Issa Labou.

Au Sénégal, c’est devenu un vrai fléau. Chaque année, il y a  400 nouveaux cas détectés et cela, bien que les chiffres soient en baisse. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la fistule est un problème mondial, mais elle est surtout une maladie tropicale. Elle survient pendant un accouchement prolongé, c'est-à-dire quand une femme n’obtient pas immédiatement la césarienne, en cas de besoin. Son apparition est directement liée à l’une des principales causes de mortalité maternelle : un travail difficile (dystocie), lors de l'accouchement.

Pourtant, la maladie est très peu connue des populations, surtout chez les femmes, principales victimes. Un paradoxe qui ne s’explique pas. Comment se fait-il que des femmes ne connaissent pas cette maladie ? En tout cas, c’est le constat au sein de la population. Teint noir, des lèvres pulpeuses et un nez pointu, Thérèse Mancabou est secrétaire dans une entreprise de la place. Cette mère de deux enfants, dans sa jupe bleue assortie d’une veste et d’un chemisier beige, n’a aucune idée de ce qu’est la maladie. Le mot lui est totalement étranger. Elle n’en a jamais entendu parler. ‘’C’est quoi la fistule ?’’ demande-t-elle. Après une brève explication, elle laisse entendre : ‘’Je ne connais pas cette maladie. Et rien qu’à entendre ce que tu m’expliques, j’ai vraiment peur. Apparemment, c’est une maladie très grave’’, déclare-t-elle.  

Cette dame n’est pas la seule à ignorer l’existence de cette maladie. Charlotte Mendy a grandement ouvert les yeux en guise d’étonnement. En réalité, elle a même du mal à croire à l’existence d’une telle pathologie. ‘’C’est quelle genre de maladie qu’on a encore inventée ? Les femmes sont très fatiguées. On leur attribue tout ce qui est mauvais’’, dit-elle sur un ton querelleur.

Ailleurs, c’est le même constat d’ignorance et la même inquiétude, à l’évocation de la maladie. Vendeuse de légumes au marché ‘’Toubab’’ du Point E, Oumy Ly tire un tabouret et s’assoit, dès qu’elle prend connaissance du sujet. Elle rangeait ses condiments un peu dispersés sur la table, à notre arrivée. Vêtue d’un grand boubou beige, la dame de teint noir et de taille moyenne  ignore tout de la pathologie et souhaite être informée. Mais elle est vite rattrapée par sa réalité. Les nombreuses sollicitations des clients l’empêchent de faire un brin de causette. Elle finit par lâcher : ‘’Mon fils aîné est médecin. Je vais lui demander de m’expliquer. Je ne vais pas vous retenir. Je ne savais pas qu’un long travail, lors d’un accouchement, peut causer des conséquences fatales telles que les fistules’’, dit-elle, en allant s’occuper de ses clients.

Plaidoyer pour des centres de prise en charge sociale  

Toutefois, d’autres dames ont en ont entendu parler. C’est le cas de  Massata Niang. Foulard bien en place, avec un visage couvert de maquillage, la quinquagénaire a un sourire avenant. Elle a entendu parler de  la pathologie, mais  n’a aucune idée des conséquences que, pourtant, elle appréhende fortement. ‘’Je sais que c’est une maladie très grave. Quand on voit les images de la femme atteinte de fistule, ça donne des pincements au cœur. C’est pourquoi il faut une grande assistance aux femmes qui accouchent. Le gouvernement doit aussi travailler à l’accessibilité aux structures de santé. Il faut une politique de construction d’infrastructures, pour éviter cela’’, conseille-t-elle.

Khady Dème, mieux informée sur la maladie, plaide pour des centres de prise en charge des fistuleuses. ‘’Ces femmes endurent une double souffrance. Il leur faut une assistance sociale, médicale. Si les gens méconnaissent la maladie, c’est parce que les femmes atteintes ne se manifestent pas. Elles se cachent et souffrent en silence. D’autres ne cherchent même pas à se rapprocher des structures médicales par peur du regard de la société’’, regrette-t-elle.

Quand la honte freine la prise en charge

Embouchant la même trompette, la sage-femme Véronique Sambou déclare que le plus grand travail repose sur la prise en charge sociale des fistuleuses. ‘’Les femmes qui présentent une fistule obstétricale souffrent d’une incontinence (incapacité à retenir l’urine et les matières fécales) permanentes. Elles en ressentent de la honte et font l’objet d’une discrimination sociale. Elles ont aussi des problèmes de santé. Il y a beaucoup de jeunes femmes  qui vivent avec des fistules obstétricales non traitées’’, révèle-t-elle. Pour elle, la maladie peut être évitée, mais pour cela, il suffirait de repousser l’âge de la première grossesse, de mettre fin aux pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé de la femme et de faciliter l’accès, en temps voulu, à des soins obstétricaux.

‘’Cette méconnaissance de la maladie par les femmes est due au manque de communication. Au Sénégal, on ne parle pas beaucoup de la fistule. Il faut des séances de sensibilisation pour mieux faire connaître la maladie. Il y a aussi le fait que les femmes atteintes de la pathologie se cachent. Certaines d’entre elles préfèrent quitter la famille pour habiter seule. Parfois, c’est la famille ou le mari qui leur imposent ce silence ou cet isolement. Le fait de se cacher, de vivre en solitude et de ne pas se traiter, en plus de l’absence de communication des acteurs de la santé, causent cette ignorance de la maladie’’, explique Mme Sambou.

Cette thèse rejoint les déclarations du docteur Medina Ndoye, chirurgienne urologue à l’Hôpital Général de Grand Yoff (Hoggy), lors des troisièmes rencontres internationales d’urologie de Dakar (Uro’Dak). Selon elle, la pauvreté, la malnutrition, les services de santé déficients, les mariages et grossesses précoces, les grossesses rapprochées et la discrimination basée sur le genre sont, entre autres, les causes multiples de la fistule obstétricale. ‘’Quand on vit dans un milieu défavorisé et enclavé, on est plus exposé à la fistule. Parce que, non seulement, on n’est pas informé, mais on n’a pas accès aux structures sanitaires. Les  fistuleuses sont souvent laissées à elles-mêmes quand elles ont cette maladie. Elles vivent dans la tristesse, la solitude’’, avait soutenu Dr Ndoye.

Au Sénégal, les régions de Kédougou, Kolda, Tambacounda, Ziguinchor et Matam sont les plus touchées par cette maladie. 

VIVIANE DIATTA

 

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