Publié le 20 May 2016 - 23:52
FLORAISON D’ÉCOLES PRIVÉES À DIOURBEL

Recherche effrénée du gain ou contribution à l’éducation ?

 

A Diourbel, depuis plus de 3 ans, la tendance s’inverse au profit de l’école privée qui gagne du terrain. Plusieurs établissements privés ont vu le jour avec des offres de formation diversifiées, pour deux lycées publics.

 

Dans la région, l’existant en matière d’enseignement privé, les crises et mouvements d’humeur, la forte déperdition scolaire, l’immixtion de nouveaux promoteurs dans le système éducatif… sont des défis qui interpellent. Cinq ans auparavant, il n’y avait guère que les écoles privées Cheikh Assane Ndiaye, Cheikh Fall Bayou Gor, Sokhna Bintou Diakhaté, Keur Khadim. Désormais la liste ne cesse de s’allonger, avec une floraison d’écoles privées de type nouveau.

Qu’est-ce qui donc fait le succès de ces établissements ? Sont-ils de plus en plus attrayants au regard des résultats aux différents examens ou est-ce l’école publique qui est victime des tares qu’on lui connaît un peu partout dans le pays ? « Il y a une variable sociologique qu’il faut prendre en compte. La plupart des écoles privées qui ont été créées, ces dernières années, ont été mises en place par des enseignants qui ont servi à Diourbel », répond Djamil Diaw, Directeur du centre d’orientation scolaire (CROSP) de Diourbel.

En effet, un ancien proviseur administre l’Institut privé Akbar. Le cours privé Excellence est dirigé par un ancien principal de collège. Il en est de même pour le groupe 3GS à la tête duquel se trouve un ancien directeur d’école. Cette nouvelle donne apparaît aux yeux de certains élèves ou parents comme un gage de performance. Leur présence dans ces établissements, en tant que promoteurs directs ou secondaires, explique plus ou moins l’attrait grandissant de ces établissements. « Il faut reconnaître que ces directeurs ont fait la preuve de leur compétence. Leur seule présence au sein de ces établissements est une caution de performance. Cette nouvelle immixtion de ces entrepreneurs qui viennent du système éducatif est un facteur qu’il faut prendre en compte », concède M. Diaw.

Certains parents optent pour le privé confessionnel. Mais en ce qui concerne le privé laïc, 95% des élèves proviennent de l’école publique. D’où l’importance des effectifs dans le privé, surtout de la classe de 4e à la Terminale. «  Si on analyse bien le phénomène, on constate d’habitude, qu’entre la 6e et la 5e, on laisse passer les élèves avec une moyenne de 8/20. Au niveau de la 4e et 3e, ils sont beaucoup plus rigoureux dans les moyennes de passage », renseigne Mamadou Khouma, Inspecteur de vie scolaire, en service à l’Inspection d’Académie de Diourbel.

De ce point de vue, les décrochages importants notés entre la 4e et la 3e permettent ainsi d’alimenter les écoles privées. Parmi les élèves qu’on retrouve dans ces établissements, on compte aussi ceux qui sont habités par l’orgueil et qui refusent de redoubler, de connivence avec leurs parents, au grand mépris de l’avis souvent rendu par le conseil de classe. « Les décisions de conseil de classe posent beaucoup de problèmes. En 2012, quelque 600 élèves avaient été exclus du lycée d’enseignement général (LEG) de Diourbel. Cela avait créé un tollé dans la ville. Les motifs d’insuffisance de résultats et  d’atteinte de la limite d’âge avaient été brandis », rappelle M. Khouma.

« Une recherche effrénée  du gain »

Ce contexte a servi de point de départ à la multiplication des écoles privées notées aujourd’hui à Diourbel. Car face à la vague de réactions des parents pour protester contre ces mesures, l’idée d’initier des « cours sociaux » avait été agitée pour la première fois par l’Inspecteur d’Académie (IA) d’alors. « Lorsque les parents ont été mis au courant, ils ont saisi l’IA qui avait sorti une circulaire pour dire que ces cours sociaux, en réalité, sont des cours privés qui n’osent pas dire leur nom. Du point de vue de la réglementation, ces cours ne pouvaient pas se tenir dans un espace réservé à l’école publique. Par la suite, ces groupes de professeurs ont trouvé des locaux et ont commencé à dérouler les cours, dans une logique sociale », explique M. Khouma. Avec l’appât du gain et le rush en direction de ces nouvelles écoles, les enseignants se sont regroupés par affinité, donnant naissance à des divisions qui se sont reflétées sur la création des établissements privés.

Depuis, sont arrivés dans le secteur les écoles Mandela, Serigne Souaibou, Keur Khadim, Cheikh Fall Bayou Gor, Assane Ndiaye etc… « Dans les textes réglementaires, l’école privée doit être capable de prendre en charge ce que l’école publique ne peut pas absorber. Mais avec le phénomène actuel, la logique n’est pas celle d’une contribution à l’effort d’éducation, mais elle est purement spéculative. Une recherche effrénée  du gain », déplore M. Khouma.

Climat délétère et concurrence malsaine

Selon l’Inspecteur de vie scolaire, cette ruée vers les écoles privées a provoqué un climat délétère et une concurrence malsaine dans la communauté éducative. Aujourd’hui, parallèlement aux écoles privées, les cours particuliers proposés aux élèves deviennent une nouvelle forme de l’espace scolaire public. « En principe, ces cours particuliers sont des cours de soutien aux élèves qui ont des difficultés. Ce sont les mêmes professeurs qui dispensent des cours dans une classe de l’école publique, qui également dispensent en même temps dans l’espace privé. Il y a même des professeurs qui disent à leurs élèves de s’inscrire à leurs cours particuliers s’ils veulent mieux comprendre. » « Nous avons une école à deux vitesses », se désole encore M. Khouma.

Les atours du privé

Du côté du privé, les arguments ne manquent pas pour illustrer l’attrait de ce secteur sur les parents et les élèves. Selon Amadou Bâ, surveillant général du collège privé Khadimou Rassoul, le sérieux, les bons résultats, la rigueur et la discipline sont autant de facteurs qui comptent dans le choix des parents en faveur des établissements privés. « Il n’y a pas de grève, dans le privé. Je convoque le parent, chaque fois que l’élève s’absente, pour le mettre devant le fait accompli. Les professeurs ne s’absentent pas, sauf pour une cause et nous sommes obligés de compter sur des vacataires du secteur public », souligne M. Bâ.

Ainsi, un point d’honneur est mis sur le respect du quantum horaire. A l’école Khadimou Rassoul, les inscriptions démarrent au mois de juillet et les effectifs sont bouclés avant l’ouverture. D’où le démarrage des cours à temps. Aussi, en termes d’avantages comparatifs, ici on met en avant l’évaluation régulière des élèves, le port de l’uniforme et l’interdiction  formelle du téléphone portable qui permettent, au-delà de l’instruction privée, de veiller sur l’éducation des enfants. « Il faut saluer les efforts de l’Etat en matière de subventions pour les écoles privées qui remplissent les conditions de reconnaissance », insiste-t-il d’ailleurs pour montrer qu’il ne suffit pas uniquement d’avoir une école privée pour bénéficier de la caution de l’Etat.

Devant ce bouleversement du paysage scolaire à Diourbel, le secrétaire général du SUDES, Moussa Diallo, souligne que « la position syndicale doit, aujourd’hui, s’inscrire dans la perspective de défense d’une école publique et démocratique, au service des Sénégalais ». A propos de l’école privée, « elle doit se mettre uniquement en appoint, tout en veillant sur une éducation de qualité, encadrée par les dispositions réglementaires en vigueur dans notre pays », dit-il.

En tout cas, le danger est là d’une école à deux vitesses. Si l’Etat, au plus haut niveau, ne cesse de défendre le secteur public de l’éducation, surtout pour son caractère accessible, ouvert et démocratique, il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, le privé élargit son rayon d’action d’année en année. Ce phénomène est d’autant plus problématique qu’il va désormais au-delà de l’enseignement général. Des écoles privées dispensant un enseignement sur la santé, la sécurité, les métiers de la coiffure et de la couture, etc… voient le jour, sans que toutes les garanties de qualité de la formation soient réunies.

MALICK GUEYE, PROF DE PC AU LEG SUR LES RESULTATS SCOLAIRES

« L’excellence se trouve dans le public »

« Les différences dans les enseignements livrés dans le public et le privé peuvent être appréciées, en analysant les résultats du concours général. Depuis quelques années, ce concours est largement dominé par le public. Le seul établissement privé qui a eu quelques distinctions est un établissement privé étranger. Mais, en analysant la politique d’encadrement de ce groupe, on observe qu’il envoie des missions, dans toutes les régions du Sénégal, recruter les meilleurs élèves des classes de Troisième ou de Seconde S, avec des propositions alléchantes pour leurs familles.

Ces élèves sont logés, nourris, encadrés, dans des conditions idoines pour être présentés au concours général, avec une forte probabilité de remporter des distinctions. Il est bon de rappeler que ces élèves, depuis les cycles élémentaire et moyen, sont le produit des enseignants du public tant décriés, tant diabolisés, tant vilipendés ! Qu’un groupe les récupère au moment où les fruits sont presque mûrs pour en revendiquer la paternité et faire une publicité mensongère doit être dénoncé énergiquement dans l’intérêt national. »

IBRAHIMA DACOSTA (DIOURBEL)

 

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