Publié le 24 Jul 2018 - 23:04
FLORAISON DES CANDIDATURES EN PERSPECTIVE DE 2019

La ‘’troisième voie’’ à l’épreuve de la realpolitik 

 

Candidats déclarés à la prochaine élection présidentielle de 2019, Cheikh Hadjibou Soumaré, Boubacar Camara, Ngouda Fall Kane, Thierno Bocoum, Ibrahima Hamidou Dème et Samuel Ameth Sarr incarnent d’ores et déjà une rupture dans leurs différents profils et démarches. Mais ils ne semblent guère capables de surmonter l’épreuve du parrainage, a fortiori une élection à la tête de la magistrature suprême.

 

A sept mois de la Présidentielle de 2019, les déclarations de candidature ne cessent de foisonner. A côté des candidats investis par les partis politiques, parmi lesquels d’ailleurs le patron de Rewmi, Idrissa Seck, le leader du Grand parti, Malick Gakou, et le fils de l’ancien président de la République, Karim Meïssa Wade, entre autres, une autre voie se dessine. Celle de ceux-là qui sont presque sortis de nulle part et qui, aujourd’hui, tissent progressivement leur toile en perspective du prochain rendez-vous présidentiel. 

Il s’agit, entre autres, de l’ancien Premier ministre sous le régime d’Abdoulaye Wade, Cheikh Hadjibou Soumaré, de l’ancien directeur général des Douanes sénégalaises, Boubacar Camara, de l’ancien directeur général de la Centif, Ngouda Fall Kane, de l’ex-chargé de la communication de Rewmi, Thierno Bocoum, de l’ancien ministre de l’Energie et ex-membre du Parti démocratique sénégalais, Samuel Ameth Sarr, et l’ex-juge Ibrahima Dème, démissionnaire de la magistrature sénégalaise, pour ne citer que ceux-là. Cependant, si déclarer sa candidature est une chose, être candidat en est une autre, surtout avec l’adoption de la loi sur le parrainage qui fait désormais obligation à tous ceux qui aspirent à diriger le pays de se faire parrainer par au moins 0,8 % du fichier électoral global et au maximum par 1 %. Une tâche déjà difficile pour un parti politique légalement constitué, a fortiori pour un candidat indépendant, presque sorti de nulle part, à sept mois de la Présidentielle du 24 février 2019.

Cheikh Hadjibou Soumaré : ‘’Le technocrate’’

Ancien Premier ministre sous le régime d’Abdoulaye Wade, Cheikh Hadjibou Soumaré a officialisé sa candidature à l’élection présidentielle de 2019, le week-end dernier à Dakar. Leader d’un mouvement dénommé ‘’Hadjibou 2019, Démocratie et République’’, il vient avec une offre politique qui mise sur les politiques sociales pour sortir le pays de l’ornière. Mais aussi sur une refondation de nos institutions désacralisées, selon lui, par les différents régimes qui se sont succédé à la tête du pays. Technocrate discret avant sa nomination par Me Abdoulaye Wade juste après le départ de Macky Sall de la Primature, il a trôné à la tête du gouvernement pendant deux longues années avant d’atterrir, en 2009, à la présidence de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine. Sa riche carrière dans l’Administration sénégalaise pourrait également lui être d’une grande utilité dans sa quête du fauteuil présidentiel. Car il aura gravi des échelons et exercé beaucoup de fonctions. Ministre délégué auprès du ministre de l'Économie et des Finances chargé du Budget et de l'Habitat à partir de 2001, il a été nommé Premier ministre le 19 juin 2007, après la démission de Macky Sall passé entre-temps président de l’Assemblée nationale. Né en 1951 à Dakar, il est titulaire d'une maîtrise en Sciences économiques (1979) et du diplôme de l'École nationale d'administration et de magistrature (Enam).

Malgré cet atout, il présente tout de même quelques handicaps, parce que méconnu dans le milieu politique sénégalais. D’ailleurs, si sa nomination en 2007 a été une surprise générale aux yeux de l’opinion publique sénégalaise, c’est que l’homme n’était pas en réalité connu. Jamais il n’a milité dans un parti politique ou dirigé un mouvement politique ou citoyen.

Ibrahima Hamidou Dème : ‘’Le juge rebelle’’

C’est avec fracas que le juge Ibrahima Hamidou Dème a démissionné de la magistrature, le 26 mars dernier. Dans une lettre ouverte adressée aux Sénégalais, il déplore le fonctionnement du système judiciaire sénégalais manipulé, selon lui, par les politiques à leur guise et pour des fins politiques. ‘’Chers compatriotes, il y a un peu plus d’un an, je démissionnais du Conseil supérieur de la magistrature pour dénoncer l’instrumentalisation de cette institution par l’Exécutif. Depuis lors, la magistrature est de plus en plus fragilisée, voire malmenée de l’intérieur comme de l’extérieur. Il en est résulté une crise sans précédent de la justice qui a perdu sa crédibilité et son autorité. Aujourd’hui, elle ne joue plus son rôle de gardienne des libertés individuelles, de régulateur social et d’équilibre des pouvoirs. Je démissionne d’une magistrature qui a démissionné’’, a écrit le magistrat dans sa lettre de démission.

Cette déclaration qui a fait tache d’huile l’a, en effet, propulsé au-devant de la scène politique sénégalaise. Pour bénéficier de ce capital de sympathie, il a lancé, deux mois plus tard, son mouvement politique ‘’Ensemble’’. “En décidant de sortir de la magistrature, nous avons aussi décidé d’enclencher un combat pour la justice pour tout le Sénégal. Constatant que le pays est en péril, avec des gens solitaires qui ont une capacité de nuisance extraordinaire, nous avons créé ce mouvement ‘Ensemble’, avec des gens qui ont les mêmes valeurs que nous. Nous avons sillonné le Sénégal depuis que nous avons quitté l’Administration de la justice. Nous avons rencontré des populations qui veulent changer le Sénégal. Car elles savent que cette situation que nous vivons ne reflète pas le visage d’un Sénégal émergent”, a-t-il déclaré depuis Thiès où il a fait sa rentrée politique.

Cette rébellion contre le système judiciaire sénégalais, si elle l’a propulsé au-devant de la scène politique sénégalaise, pour autant, elle ne fait pas de lui le messie sur qui compte le peuple sénégalais pour espérer des lendemains meilleurs. Le jeune magistrat a encore beaucoup de chemin à faire pour rallier davantage les populations sénégalaises à sa cause, les mobiliser autour d’un projet de société convaincant et se positionner en une alternative crédible.

Ndouda Fall Kane : ‘’Le revanchard’’

S’ils ont des parcours totalement différents, le juge Ibrahima Hamidou Dème et Ngouda Fall Kane partagent le destin commun d’avoir démissionné de la Fonction publique sénégalaise à la suite de frustrations accumulées. L’ancien inspecteur général d’Etat a, en effet, lui aussi démissionné avec fracas de la Fonction publique en 2012, après avoir été ‘’évincé’’ de la Direction de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif). Après six mois passés à la tête de cette institution, son mandat n’a pas été renouvelé, à la différence des autres membres de la Centif qui étaient dans la même situation que lui. Un fait assez bizarre que d’aucuns considéraient comme une liquidation par le ministre de l’Economie et des Finances de l’époque, Abdoulaye Diop. C’est d’ailleurs à l’issue d’un entretien qu’il a eu avec ce dernier qu’il a pris la décision de démissionner de la Fonction publique. ‘’En sortant de votre bureau (…), je me suis rendu compte à quel point l’Administration du Sénégal (…) a été dévoyée’’, a-t-il écrit dans une correspondance publiée en 2012 par ‘’EnQuête’’.

Depuis, Ngounda Fall Kane a investi le champ politique pour proposer aux Sénégalais une alternative. Récemment, il a même officialisé sa descente dans l’arène politique sénégalaise. Coordonnateur du parti Jamm ak Kheweul (Paix et prospérité), il va à l’assaut du président de la République qui, selon lui, a sombré le pays dans le désastre. Se démarquant totalement de l’approche classique de la politique basée sur les promesses mirobolantes et non réalistes, le mensonge, la ruse et le reniement, il propose une démarche consistant avant tout à réconcilier la politique à l’éthique. A côté de cela, il promet une vraie reddition des comptes avec des institutions différentes de l’Ofnac dont, selon lui, la mission de départ a été dévoyée. Ainsi promet-il, une fois porté au pouvoir, de changer la donne et d’imprimer une vraie politique de reddition des comptes. ‘’Quand je serai élu, tout le monde rendra compte, y compris le président de la République. En plus de cela, je vendrai tous les véhicules chers du cortège présidentiel pour alléger les déplacements du chef de l’Etat et les charges même de la présidence de la République’’, propose-t-il.

Boubacar Camara : ‘’Le candidat de la génération Y’’

Ancien directeur général des Douanes, Boubacar Camara a presque gravi tous les échelons de l’Administration sénégalaise. Il connaît bien les réalités et les rouages de celle-ci. Mais n’apprécie pas pour autant la gestion du pays sous l’ère Macky Sall. Car, selon lui, sous le régime de la deuxième alternance, deux Sénégal se côtoient : ‘’Celui qui souffre et celui qui se réjouit ; celui qui n’arrive pas à assurer la dépense quotidienne et celui qui exhibe son arrogance ; celui qui travaille et celui qui triche derrière le discours trompeur, servi méthodiquement par les élites politiques parasitaires et les forces obscurantistes.’’ C’est d’ailleurs ce qui explique son entrée en politique. Initiateur du mouvement Génération Y, il a récemment lancé une initiative dénommée ‘’Jéngu’’ (la révolte en wolof) pour, dit-il, ‘’contribuer à la reconstruction et au développement économique du Sénégal dans l’intérêt exclusif du peuple’’. Dans le projet de société qu’il propose, il veut insister particulièrement sur la jeunesse urbaine et rurale qui doit s’impliquer à fond pour réaliser son rêve de réussite dans un pays reconstruit. ‘’Notre conviction est que l’espoir est permis, la rectification et le rattrapage encore possibles, car le Sénégal dispose d’atouts considérables pour se développer : des ressources humaines de qualité, des ressources naturelles, une riche histoire offrant de précieux modèles de vie spirituelle et temporelle, un environnement géopolitique et technologique favorable’’, souligne-t-il.

Thierno Bocoum : ‘’Le frustré’’

Il fait partie de cette nouvelle génération d’hommes politiques sénégalais qui veulent prendre leur destin en main et changer le cours des choses. S’il a, pendant des années, évolué sous l’aile protectrice du leader de Rewmi, Idrissa Seck, Thierno Bocoum a, en effet, claqué la porte dudit parti le 4 octobre, au lendemain des élections législatives du 30 juillet 2017. Même si, jusque-là, il a été vague sur les raisons de son départ de cette formation politique, les frustrations nées des investitures sur les listes lors des élections législatives ont fini par avoir raison des relations d’amitié et de complicité qu’il a toujours entretenues avec son ex-mentor.

Le divorce consommé, il a aussitôt lancé l’Alliance générationnelle pour les intérêts de la République (Agir), sous la bannière de laquelle il compte briguer le suffrage des Sénégalais. D’ailleurs, il a officialisé sa candidature le 10 juillet dernier. S’il est convaincu que sa candidature à la Présidentielle de 2019 s’impose au regard de la nécessité absolue de sortir nos populations de l’étreinte d’un système de gouvernance vicieux et d’une certaine classe politique dirigeante et candidate à la succession qui promettra toujours, mais qui n’a ni la volonté ni le courage d’agir, Thierno Bocoum n’en a pas pour autant les moyens de ses ambitions politiques. D’abord, le parrainage citoyen risque d’être un obstacle majeur à sa candidature. Mais il doit aussi batailler fort pour s’imposer dans un espace politique sénégalais où les moyens aussi comptent beaucoup dans la quête du pouvoir.  

Samuel Ameth Sarr : ‘’L’éternel wadiste’’

Il se plaît toujours à se présenter à l’opinion publique sénégalaise comme un wadiste éternel. Mais depuis un bon moment, Samuel Ameth Sarr semble bien tourner casaque. Accusé, à tort ou à raison, de flirter avec le régime du président Macky Sall, il a rompu définitivement les amarres avec le Parti démocratique sénégalais, lorsqu’il a officialisé, en avril 2018, sa candidature à la prochaine élection présidentielle de 2019.

Le désormais leader du parti Libéralisme social sénégalais (Lss) justifie son engagement par l’impossibilité d’avoir au sein du Pds un candidat consensuel, capable de fédérer toutes les forces, de se positionner en une véritable alternative crédible et de sauvegarder l’héritage de Me Abdoulaye Wade. ‘’Je me suis proposé comme le seul candidat de consensus pour réunir la famille libérale qui s’est fissurée depuis la chute de Me Abdoulaye Wade de la tête du Sénégal’’, a-t-il soutenu lors de la déclaration de sa candidature. Non sans inviter ses frères libéraux et ex-camarades de parti à rejoindre cette grande coalition gagnante au soir du 24 février 2019.

ASSANE MBAYE

 

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