Publié le 15 Apr 2012 - 15:33
FOOT - AMARA TRAORE À SAINT-LOUIS

Confessions entre le "fleuve et la mer"

 

C’est chez lui à Saint-Louis qu’EnQuête a retrouvé l’ancien sélectionneur des Lions du foot, toujours en conflit juridique avec la Fédération qui l’a limogé en février. Dans son fief, Amara Traoré a bien voulu parler de sa vie d’aujourd’hui, de ses projets de demain, mais aussi de ses plaies d’hier, pas totalement cicatrisées.

 

C’est une maison qui se fond dans le décor du quartier Corniche à Sor. La demeure d’Amara Traoré n’a rien d’ostentatoire. Rien de cliquant qui puisse renseigner sur le statut de l’ancien sélectionneur qui a bien gagné sa vie pendant et après sa vie de footballeur. Amara est assis sur un banc, à l’entrée de sa villa. Il semble profiter de la brise fluviale en cette fin de journée. "Heureusement que vous avez précisé la maison sur Corniche, sinon le taxi aurait pu vous conduire ailleurs", lance Amara en nous accueillant, confirmant ce que le chauffeur de taxi nous avait dit plus tôt ("Il a des maisons partout dans Saint-Louis"). L’ancien coach de la Linguère, habillé relax, avec un maillot jaune fluo et un pantalon de survêtement noir, a l’air en forme. C’est dans son salon XXL où trône le portrait de sa mère que l’ex-sélectionneur des Lions se confie tout en précisant qu’il n’est pas question d’aborder la situation de son procès contre la Fédération sénégalaise de foot (Fsf). "On ne parle pas d’argent." Confortablement assis juste en dessous d’un de ses portraits qui date de la glorieuse époque de 2002, Amara, qui a " suivi l’élection présidentielle avec beaucoup de passion", parle de son actualité. Pas de scoop : "Je suis toujours dans le football, je n’ai pas une autre activité dans la vie autre que le foot. Même si aujourd’hui, je suis un peu plus dans le passif à travers la réflexion, la pensée". Ce repos plus ou moins forcé après son limogeage a été tout de même profitable. "J’avais pris la décision de me reposer entre le fleuve et la mer. De ne même pas courir, de couper complètement, avoue Amara. C’était un choix, cela ne m’a pas manqué. J’avais besoin de retrouver mes enfants, ma famille." La séparation avec la Fédé a été douloureuse. L’ancien patron des Lions n’a rien oublié, mais ne veut s’y attarder. "Il y a beaucoup de passion, des mots qui peuvent dépasser la pensée en cas de déception". Pendant cet épisode pénible, il n’a eu d’ennemi et n’a pas perdu d’amis non plus. "Je ne change pas d’amis qu’il vente ou qu’il neige".

 

 

"La victoire a 100 pères, mais la défaite est orpheline"

 

Quand on lui demande le plus dur pendant cette période qui l’a vu être limogé après une CAN désastreuse, Amara Traoré respire profondément avant de répondre. L’intonation de sa voix change : "C’est le fait qu’on ne nous ait pas laissé porter le projet." Il trouve son sort, et celui de ses collègues, injuste. "On vient d’élire un président de la République pour cinq ans, c’est pour qu’il travaille dans la durée. Le président de la Fédération est élu pour quatre ans…" Et donc ? "C’est juste un appel, il faut laisser le prochain entraîneur travailler dans la durée. La Zambie a gagné la CAN, parce que les joueurs sont ensemble depuis au moins quatre ans. C’est dur d’avoir des échecs et des déceptions, mais il ne faut pas tout chambouler à chaque fois. On avait un projet, j’espère que ce n’est pas cassé." Mais peut-on défendre un bilan aussi catastrophique (trois défaites en trois matches) ?"La CAN, c’est une parenthèse, estime celui qui fut champion du Sénégal avec la Linguère comme entraîneur. C’est une mauvaise série qui est tombée au mauvais moment. Le Maroc a été éliminé à la CAN comme nous, mais ils n’ont tout révolutionné. C’est comme si moi, je n’avais pas droit à l’erreur. Pendant deux ans, je suis en équipe nationale, la seule erreur et bing…. Dans la vie chacun a droit à l’erreur. Mais comme on dit : La victoire a 100 pères, mais la défaite est orpheline".

 

L’amertume est présente sur le visage et la voix du Saint-Louisien, même s’il ne veut rien laisser paraître. Mais on a forcément du mal à réaliser quand on frôle la perfection (5 victoires en 6 matches en éliminatoires) avant de toucher le fond (3 revers à la CAN). "Ce qui s’est passé, c’est une volonté divine. Jusqu’à présent personne ne peut expliquer ce qui s’est passé, confie Amara. On ne peut pas s’écrouler en une semaine. Les joueurs ne sont devenus nuls en une semaine, la preuve, ils ont tous retrouvé leur efficacité dès leur retour en club". Qu’est-ce qu’il faut y voir ? "(Rires) Rien du tout. Il y a des moments comme ça. On a manqué de réussite. Cela me fait rire maintenant quand j’entends les entraîneurs, qui donnaient des leçons, expliquer leurs défaites par des : «On a manqué de réussite, mais on a bien joué». Comme quoi…". Quand on lui demande s’il pense avoir raté quelque chose, il avoue : "Oui ! Même si le dire maintenant n’a pas d’importance" Quoi par exemple ? "Je le réserve au futur sélectionneur", évacue-t-il. Aujourd’hui, même si les joueurs n’ont pas répondu présent lors de la CAN, leur ancien coach ne leur en tient pas rigueur. "Aucun des 23 ne m’a pas déçu, affirme Amara dans un élan protecteur.

 

 

"Même un soldat a besoin d’être rémunéré"

 

Des regrets, l’ex-sélectionneur en a en repensant aux 20 premières minutes du premier match contre la Zambie. "Les joueurs avaient oublié les fondamentaux du foot. On a perdu la CAN lors de ces 20 premières minutes. Cela a conditionné tout ce qui a suivi". Forcément, voir la Zambie championne d’Afrique trois semaines après laisse encore plus de regrets. "C’est pour ça que j’ai demandé d’attendre la fin de la Can pour analyser et évaluer. L’entraîneur de la Zambie (Hervé Renard) a dit qu’il a plus souffert contre le Sénégal". L’ancien joueur de Gueugnon soigne désormais ses plaies et son moral dans son Ndar natal. Là où il est connu est reconnu. Les regards, les tapes, sont plus amicaux qu’il y a deux mois lorsqu’il débarquait fraîchement de Bata avec la désillusion comme bagage. "Même à Dakar, les gens viennent vers moi, m’encouragent. «Coach, on a compris ce qui s’est passé », me disent-ils". En attendant de se faire payer les 36 millions que lui doit la Fédération, Amara reste à l’écoute des propositions pour entraîner au Sénégal, ou ailleurs. La seule condition : "Je travaille pour un projet. " Loin d’être échaudé par ses aventures terminées dans la douleur en 2006 et en 2012 en sélection, Amara n’hésitera pas à replonger. "Pour l’équipe de mon pays je ne fermerai jamais la porte. Je resterai toujours disponible pour le foot de mon pays. Je le suis depuis que je suis joueur ". En véritable soldat de la nation ? "Oui, mais il ne faut pas oublier que même le soldat est rémunéré ". On avait dit qu’on ne parlait pas d’argent…

 

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