Publié le 1 Oct 2016 - 09:32
FOOT - ARSENAL

Arsène Wenger, 20 ans que ça dure

 

Arsène Wenger fête ce samedi ses 20 ans à la tête d'Arsenal. Un chiffre qui donne le vertige tant sa longévité semble aller à l'encontre de ce qu'il se passe dans le football moderne. Mais derrière le fantastique manager se cache un homme plein de convictions et de passion. Chronique des 20 ans de Wenger chez les Gunners.

 

"Ma fierté, c’est que le mec qui se lève le samedi matin et dépense 50 livres, il a l’espoir de voir du spectacle et un bon match de football. Le reste c’est de l’ego. Dire 'j’ai remporté dix titres', oui, ça flatterait mon ego. Mais, si tu te fais ch… en allant toute la saison au stade et que tu gagnes un titre à la fin de l’année, oui, c’est vrai, tu as un jour de grand bonheur, mais tu t’es quand même emmerdé toute l’année." Lorsque vous aviez la chance de rencontrer Arsène Wenger, dans son bureau de London Colney, le bunker... pardon, le centre d'entraînement d'Arsenal, vous passiez un moment rare.

La discussion débutait toujours par "vingt minutes, pas plus" et se prolongeait souvent plus d'une heure après. Une heure de plaisir à écouter ce grand monsieur guidé par la même passion qui lui a fait traverser un jour la Manche ("il faisait froid, il pleuvait, on était serré en rang d'oignons dans la tribune et, ce jour-là, je suis tombé amoureux du football anglais"). Une passion intacte qui l'encourage, vingt ans après ses débuts à Arsenal, à ne toujours pas vouloir raccrocher. Ses propos datent de septembre 2010 et résument à eux seuls la philosophie du plus grand manager français. Celle qui a bâti ses plus beaux succès, toujours avec la manière, mais aussi provoqué ses échecs successifs.

Un homme habité par le doute

Avec certains de mes confrères britanniques, on s'est souvent demandé comment un homme aussi brillant avait pu répéter les mêmes erreurs pendant si longtemps : ne pas recruter un gardien de classe mondiale, un grand défenseur, un grand attaquant, base du succès de toute équipe. Et l'argent, qui dort pourtant dans les caisses du club, n'a rien à voir là-dedans. La vraie raison ? Le doute. Ce doute qui a toujours habité Wenger et l'envahit encore au moment de trancher.

Ce doute déjà présent lors de ses premières années à Arsenal mais où, à l'époque, un homme (David Dein) était là pour lui dire : "Arsène, tu as assez réfléchi sur ce joueur, on le prend". Un homme dont l'absence (depuis 2007) pèse énormément sur les résultats du club et de son manager. Tout comme le manque de renouvellement de ses adjoints, deux en vingt ans (Pat Rice et Steve Bould, depuis 2012) ! Contre sept pour Alex Ferguson en 27 ans.

Depuis ce jour de septembre 2010, Arsène Wenger n'a plus accordé d'interview individuelle. C'était pour L'Equipe et j'y étais. Quand je dis "interview", je veux bien sûr parler d'une entretien libre et non régie par un contrat avec une télévision (TF1 avant, Beinsport aujourd'hui), ni un entretien où les questions sur l'actualité de son club sont exclues comme c'est arrivé parfois. Régulièrement sollicité, Wenger ne dit jamais non ("on verra", "pourquoi pas"). Mais il ne dit jamais oui. J'ai couvert le championnat d'Angleterre, et donc Arsenal, pour L'Equipe pendant neuf ans. Un jour de mars 2013, dans le couloir menant à la salle de presse du club londonien, l'Alsacien, blessé par les critiques, notamment celles venues de France, son pays, s'était arrêté pour me dire que nous - les médias français - étions trop négatifs à son égard. Il avait sans doute raison au fond. Mais je lui avais répondu qu'il était difficile d'être positif alors que son club ne remportait plus de trophées depuis huit ans. Cette saison-là, les Gunners remportèrent la Cup.

Tous les matins sur le terrain, crampons aux pieds

Devant l'intérêt médiatique qu'avait suscité l'arrivée de cet inconnu à lunettes venant du Japon il y a tout juste vingt ans, Alex Ferguson avait eu cette phrase au sujet de celui qui deviendrait bientôt son grand rival : "Ils disent qu'il est intelligent ? Qu'il parle cinq langues ? J'ai un jeune ivoirien de 15 ans qui parle cinq langues." Well, on n'a plus jamais entendu parler de ce gamin de 15 ans mais on entend toujours l'accent très français de l'Alsacien sur les bancs de Premier League. C'est même à se demander comment il n'a pas pu l'effacer au bout de vingt ans. En revanche, tout le monde est d'accord pour dire que le Frenchy a révolutionné le football anglais. Il s'est attaqué à la drinking culture - culture de l'alcool - des joueurs britanniques, a remporté le doublé (Cup-championnat) dès sa première saison complète à Arsenal (1997-1998), hissé le club en finale de la Ligue des Champions en seulement dix ans (2006), révélé quelques-uns des meilleurs joueurs du monde (Vieira, Henry...) et ouvert la porte à tous ces managers étrangers qui débarquent un peu plus chaque été outre-Manche. Guardiola, Mourinho, Klopp, Conte, pour ne citer qu'eux.

Depuis son arrivée dans le nord de Londres en 1996, les dix-neuf autres clubs présents en Premier League cette saison-là ont utilisé 220 managers ! Tottenham et Aston Villa 11, Blackburn 13, Chelsea 14, Newcastle 15, Leeds 16, Nottingham Forest et Southampton 17 ! Depuis vingt ans, Arsène, lui, continue de se lever chaque jour à l'aube, de parcourir en voiture les quinze kilomètres qui séparent sa réserve - il ne met quasiment jamais les pieds à Londres - de son bureau du centre d'entraînement des Gunners où il passe ses journées, où il lui arrive de regarder des matches de D2 allemande et où son plaisir ultime est d'être chaque jour sur le terrain, crampons aux pieds, encore aujourd'hui à bientôt 67 ans (le 22 octobre).

Un terrain dont il peine à se passer et qui l'écartera probablement de diriger un jour une sélection à raison de trois journées par mois. Cette routine, guidée par la motivation du "match d'après", donne un peu plus de relief encore à ce que réalise Wenger dans un football sans pitié. Un football moderne dans lequel il peine parfois à se retrouver et dans lequel il a été rattrapé avant d'être dépassé par les jeunes chiens loups férus de tactique, de pressing, de possession.

L'Alsacien est ce qu'on pourrait appeler un homme borné qui ne change pas une équipe qui gagne, remplace rarement un joueur avant la 70e minute, ne déroge pas à ses principes, ne veut pas dépenser l'argent qu'il n'a pas, ni plus que la valeur d'un joueur. C'est critiquable et sans doute préjudiciable mais louable dans un football qui cède à la folie des grandeurs et de l'irrationnelle. Il est pourtant étonnant de constater que le "Professeur", comme on l'a surnommé outre-Manche, s'est éloigné de ce qui a fait le succès de ses premières années anglaises et notamment ses Invincibles (2003-2004), à savoir des joueurs athlétiques et puissants qui surclassaient tous leurs adversaires, vers ce qui tend à son idéologie première, le football total, grandement inspiré par l'Ajax de Johan Cruyff des années 1970. Une utopie qui l'a éloigné un peu plus des titres mais l'a rapproché d'une idée fixe : donner du spectacle au mec qui se lève le matin et paie 50 livres pour aller au stade.

EUROSPORT

 

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