Publié le 4 Jul 2018 - 23:39
FOOT - COUPE DU MONDE 2018

Entre passion et indifférence féminines

 

Au Sénégal, les hommes suivent régulièrement les compétitions de football. La gent féminine demeure la cible la moins imprégnée, même avec la qualification des Lions à cette 21e édition de la Coupe du monde. EnQuête vous fait entrer dans l’intimité des Sénégalais et Sénégalaises.

 

En ce soir de lundi 18 juin (vers 18h10), A.T. est en train de prendre un peu d’air devant la porte de sa demeure, au quartier Mermoz de Dakar. Elle a préféré laisser le téléviseur à ceux qui veulent vivre l’affiche Tunisie-Angleterre (1ère journée du groupe G du Mondial 2018). ‘’Je ne suis aucun match parce que je n’ai pas le temps. A l’instant, je préfère faire autre chose. Ça ne me dit rien, franchement’’, lâche-t-elle sourire aux lèvres.

Depuis que la fête du football mondial est lancée jeudi avec le match entre la Russie, pays d’accueil du tournoi, et l’Arabie Saoudite, toute la planète (ou presque) subit l’effet Coupe du monde. Le Sénégal, un des 32 pays qui participent à cette 21e édition, est en train de revivre l’effervescence de 2002. Tout le monde se met à la mode. Mais la demoiselle semble indifférente à l’enthousiasme contaminant. Elle semble plutôt étouffée par cet événement. Tout comme sa sœur, Mami Thiam, qui la rejoint dehors. Elle avoue ne pas vouloir entendre parler de match de foot car elle le considère comme son ‘’rival’’. En tant que femme mariée, elle exprime sa jalousie haut et fort : ‘’Je ne suis pas les matchs, vraiment, et c’est naturel  en moi. Quand ces genres de compétitions arrivent, ils (les hommes) n’ont plus notre temps. C’est pour cela que je déteste les matchs’’. Mami voit mal cette situation. ‘’Tu vois, je dois sortir, je lui ai (mon mari) demandé de m’amener avec la voiture mais il m’a carrément dit qu’il suivait le match. Il est là, à l’intérieur, en train de le suivre’’, se désole-t-elle. Toutefois, cette jeune femme trouve aussi qu’à l’occasion, elle en profite pour faire ses courses.

Rivalité entre hommes et femmes

A l’intérieur, son mari est bien installé dans le salon avec sa petite fille. En tenue relax, tee-shirt noir, Ibrahima Diawara suit tranquillement son match. Il ne peut s’empêcher de dénoncer l’attitude des femmes. ‘’Elles ne veulent pas suivre les matchs et elles te créent des problèmes en voulant se connecter à leurs feuilletons ou te prendre un peu de ton temps. Lorsque les compétitions arrivent, elles veulent t’empêcher de suivre les matchs alors que nous, s’il y a la Coupe du monde, la Premier League anglaise, la Liga, Ligue des champions, nous n’avons plus de temps’’, admet-il. M. Diawara vit sa passion jusqu’au bout. ‘’Au bureau, s’il y a match à 12h, presque à l’heure de la pause, je préfère être devant l’écran avant de prendre le déjeuner. Dans nos locaux, nous avons une salle télé où nous pouvons nous installer sans déranger’’, poursuit-il.

Dans ce quartier, un calme plat règne, presque tout le monde est chez soi, seuls quelques-uns sont au dehors. Devant cet immeuble où le drapeau du Sénégal flotte en cette veille d’entrée en lice des Lions, Adja Rokhaya Cissé fait descendre des bagages de son véhicule. Petite de taille, elle s’efforce de sortir des caisses avec l’aide d’un jeune homme. Elle se joint aux hommes au salon. ‘’Ils nous ont imposé cela, mais moi, j’ai l’amour du sport depuis que je suis toute petite. Avec le Mondial, nous (les femmes) sommes obligées de suivre comme eux’’, fait part Adja Rokhaya Cissé. Souriante, elle souligne qu’elle est au diapason avec les championnats anglais, espagnols. Un peu plus loin, deux jeunes hommes sont assis devant la porte de la maison. Ces vigiles ont le programme en tête mais sont loin du petit écran, parce qu’ils sont en service. Moussa N. renseigne que la Belgique a fini de s’imposer (3-0) face au Panama. Une façon pour lui de témoigner que rien ne lui échappe dans cette Coupe du monde.

‘’Je ne savais pas que le Sénégal allait jouer ce Mondial’’

A la Gueule Tapée, à 15h, presque personne n’est au dehors en ce mardi 19 juin. Le premier match du Sénégal oblige. Chez la famille Bassène, tout le monde est concentré devant le téléviseur, rien ne bouge. L’absence des femmes aux côtés des hommes, qui gardent leurs places soigneusement, est flagrante. Issa informe que c’est le même décor tout le temps. Selon lui, les femmes trouvent le temps de faire autre chose que d’être là.

Non loin de chez eux, Madjiguène Cissé est dans sa cour en train de remplir un seau d’eau au robinet. La trentaine, elle ne s’intéresse pas au foot, même avec la qualification des Lions. ‘’C’est avant-hier (deux jours avant le match du Sénégal) que j’ai su que le Sénégal allait jouer ce Mondial. Je ne comprends absolument rien à tout cela’’, signale-t-elle. Une autre, qui préfère garder l’anonymat, est assise par terre. Elle aussi ignore que la 21e édition de la Coupe du monde a démarré. Sa seule préoccupation est de faire tout pour joindre les deux bouts.

C’est le même tracas que pour  Fatou Ndiaye qui fait des tresses à Adama Ba, dans un coin de la maison. Toutes les deux sont épargnées de la pression du match. ‘’J’ai su aujourd’hui que le Sénégal joue. Je ne suis aucune discipline du sport’’, dit-elle fermement. Adama Bâ, qui s’empresse de donner une mèche à sa tresseuse, secoue la tête pour dire que les matchs de foot ne sont de ses goûts : ‘’Ça ne me dit rien, le temps ne me le permet pas car je suis apprentie couturière. De ce fait, je suis toujours à l’atelier pour gagner ma vie’’, laisse-t-elle entendre timidement.

Aux Hlm Fass, Kiné Diop est plus soucieuse de préparer le dîner qu’à regarder le foot. Aidée par sa bonne qui lave les vaisselles, Kiné assure les tâches ménagères. ‘’Je ne suis pas intéressée par les matchs, je n’ai pas le temps. Ou je suis dans la cuisine, ou je m’occupe des enfants’’,  souligne-t-elle sans souci. Sur le même alignement, quelques mètres après, la jeune femme Dior Guèye est préoccupée par son bébé. ‘’Je n’ai pas le temps de suivre, cela ne fait pas partie de mes habitudes. Je préfère regarder les novelas que de suivre un match, c’est une passion’’, affirme-elle.

‘’Des femmes au rythme du Mondial’’

Autre lieu, autre réalité. A Fass Delorme, dans la famille Diouf, le salon est occupé par des femmes et jeunes filles. Un seul homme leur tient compagnie. Soukeyna Diouf est une grande amatrice du football. Les championnats (France, Italie, Espagne) et grandes compétitions ne lui échappent pas. Elle a l’amour du ballon rond depuis très longtemps. C’est une vieille histoire. ‘’Je suis fan de foot. Lorsque j’étais jeune fille, j’étais imprégnée des activités de notre Association sportive et culturelle (Asc). Je partais tout le temps au stade lorsque Asc Fass jouait’’, se souvient-elle.

Donc, avec cette compétition, elle est dans son domaine fort. Elle y va avec des commentaires et des gestes pour encourager ou se désoler d’un tir raté. Et quand le Sénégal marque son premier but contre la Pologne à la 37e minute de  jeu,  les cris de joie, les applaudissements sont nourris. ‘’C’est comme ça, les pays africains devaient faire pareil’’, commente Soukeyna Diouf, la voix élevée face à ses nièces et sa sœur. Celle-ci, Rokhaya Diouf, n’en dit pas moins, elle aussi suit les pas de son aînée. ‘’Nous tous, nous avons l’amour de cette discipline, c’est une longue histoire, ça fait partie de nos habitudes de suivre régulièrement les compétitions’’, fait-elle remarquer. Elle estime d’ailleurs que les hommes ne leur dament pas le pion, car elles en savent beaucoup. Leurs nièces, Maïmouna et Adji Mariama Bathily, soulignent qu’elles sont connectées à la télé depuis le début du Mondial.

C’est comme Ndèye Cissé. Cette jeune demoiselle n’a pas hésité à se pointer, à 15 heures, au dancing ‘‘Thiossane’’ (Dakar), en ce dimanche 24 juin 2018. Elle est parmi les nombreux fans qui veulent vivre une émotion particulière : le match entre le Sénégal et le Japon. Elle a bravé le chaud soleil pour regagner le ‘’fan zone’’ aménagé par le Groupe Futurs Médias. Dans sa robe rose-jaune, foulard rose sur la tête, elle pousse l’équipe nationale à la victoire. Sa concentration sur le match est visible. Un pas en avant, un pas en arrière rythment son enthousiasme. Elle ne peut s’empêcher de suivre le mouvement du jeu avec son corps. ‘’Je ne suis pas régulièrement les matchs à la télévision. C’est la qualification de notre équipe nationale qui m’incite. Je supporte les Lions de tout cœur’’, lance-t-elle avec franchise. Ndèye Cissé avoue que ce sont les Coupes d’Afrique et le Mondial qui la lient au football. Pas grand connaisseur de la discipline, elle prie néanmoins pour que son équipe gagne la Coupe du monde Russie 2018.  

AIDA DIENE

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