Publié le 3 Jul 2018 - 16:32
FOOT - COUPE DU MONDE 2018

La VAR prend le pouvoir

 

Utilisé pour la première fois en Coupe du monde, l’arbitrage vidéo influence profondément le jeu.

 

L’acteur le plus important de cette Coupe du monde n’a pas quitté Moscou depuis le 14 juin, et ce n’est pas Vladimir Poutine. Samedi 30 juin, Massimiliano Irrati, arbitre italien de 39 ans, dirige à l’occasion de France-Argentine son onzième match depuis la régie vidéo située dans la capitale russe. Irrati, qui n’a pas d’expérience internationale au haut niveau, a pourtant officié sur neuf matchs différents en tant que ‘’VAR’’ (video assistant referee) principal et deux fois comme assistant.

Depuis le début de la Coupe du monde, le rôle de ces hommes est apparu en pleine lumière. Eux, moins : on ne les voit que de trois quart dos, à quatre dans une cabine remplie de moniteurs diffusant le match en cours sous tous les angles. Ils sont en liaison permanente avec l’arbitre central, à qui seul le VAR principal s’adresse. Et leurs décisions sont plus fréquentes qu’on ne le pense : 335 sur cette phase, soit près de sept par match, un chiffre qui recouvre toutes les situations dans lesquelles l’arbitrage vidéo pourrait être utilisé, comme les 122 buts marqués. Dans les faits, le VAR ne s’est manifesté qu’à 17 reprises, mais rarement pour rien : à 14 reprises, l’arbitre central a inversé sa décision.

‘’Attends, on vérifie, on vérifie’’

Les spectateurs s’habituent progressivement à voir le maître du jeu quitter le terrain à petites foulées pour rejoindre un abri devant le tunnel d’entrée des joueurs. Sur un moniteur, il visionne, tout en reprenant son souffle, des images préparées par la régie vidéo à Moscou pour lui permettre de confirmer ou d’infirmer son jugement.

S’il est là, c’est qu’on l’y a traîné par l’oreillette : le VAR n’intervient que lorsqu’il soupçonne une erreur. ‘’Au centre du processus de décision, il y a l’arbitre, a assuré lors d’une conférence de presse vendredi 29 juin Roberto Rosetti, ancien arbitre et responsable de l’implémentation de la VAR à la Fédération internationale de football (FIFA). Le VAR ne décide pas, il recommande une étude des images. Mais au final, seul l’arbitre prend la décision.’’

Il semble pourtant que l’arbitrage vidéo se soit déjà émancipé de son créateur et que les arbitres devant leur écran aient pris un pouvoir imprévu, réclamant une révision vidéo dans des situations qui relèvent clairement de l’interprétation de l’arbitre. Pour la première fois, dans un effort de transparence louable et inattendu venant de la fédération internationale, la FIFA a diffusé vendredi des conversations entre le VAR et l’arbitre central. Verdict : il n’y a plus un arbitre, mais deux.

Exemple lors de Colombie-Sénégal, match décisif pour la qualification en huitièmes de finale et qui a vu la sélection africaine battue et éliminée jeudi 28 juin (1-0). L’arbitre, Milorad Mazic, accorde à la 17e minute un penalty au Sénégal pour une faute sur Sadio Mané. Dans sa cabine, le VAR l’alerte : ‘’Attends, on vérifie, on vérifie. C’est la balle ! Milorad, tu m’entends ? Pour moi, il joue la balle. Pour moi, il n’y a pas de penalty. Va voir la vidéo. Il joue la balle. Je t’envoie deux images, on voit clairement que le défenseur joue la balle.’’

Milorad Mazic se rend devant son écran. ‘’Regarde, il y va, et il joue la balle’’, continue de lui dire le VAR, le Néerlandais Danny Makkelie. ‘’Tu as raison’’, admet finalement l’arbitre central slovène, qui annule la sanction.

 

‘’Les arbitres étaient habitués à être les patrons. Nous leur avons demandé d’accepter que quelque chose vienne d’ailleurs’’

La scène, qui s’est reproduite dans d’autres situations dévoilées par la FIFA – ‘’Tu veux un autre point de vue ou tu es convaincu ?’’, demande le VAR à l’arbitre de Nigeria-Islande qui étudie un tacle litigieux –, apporte un démenti flagrant à l’assertion selon laquelle l’arbitre central prend seul la décision finale. ‘’Les arbitres étaient habitués à être les patrons. Nous avons demandé à ces arbitres d’accepter que quelque chose vienne d’ailleurs’’, a rappelé le président du comité des arbitres de la FIFA, Pierluigi Collina, façon de confirmer que le sifflet sur le terrain n’est plus seul maître à bord.

‘’Les arbitres sur le terrain se lavent les mains, a tempêté l’expérimenté sélectionneur portugais de l’Iran, Carlos Queiroz. Ils se couvrent parce qu’il y a des gars au-dessus. Et les gars au-dessus ne savent pas exactement ce qu’ils doivent faire. Qui prend les décisions ? Nous avons le droit de savoir’’

Le pouvoir du VAR est considérable. En plus de recommander des décisions à l’arbitre central – qui les suit à chaque fois ou presque –, il choisit les angles de vue qui permettront à ce dernier de se déterminer et la vitesse de diffusion des images. Or, le ralenti amplifie artificiellement la violence des contacts.

Les responsables de l’arbitrage à la FIFA l’assument : le processus est encore en phase d’expérimentation – ce qui laisse songeur sur l’intérêt de l’avoir mis en place dès la Coupe du monde 2018. Leur obsession est d’éviter que l’arbitrage vidéo n’intervienne trop dans les matchs et ne les allonge pas de manière déraisonnable. C’est pour l’instant le cas mais, déjà, des voix s’élèvent pour faire appel de façon plus fréquente à l’arbitrage vidéo.

‘’VAR is bullshit !’’

Les contestations n’ont pas cessé depuis le début du Mondial, de la fédération brésilienne émettant une protestation officielle jusqu’au sélectionneur serbe Mladen Krstajic, pour qui l’arbitre de la rencontre Serbie-Suisse (1-2) devrait être envoyé au Tribunal pénal international de La Haye : ‘’Là-bas, ils pourront le juger, comme ils l’ont fait avec nous.’’ Quant au ‘’VAR is bullshit !’’ (‘’La VAR, c’est de la merde !’’) hurlé à la caméra par le Marocain Noureddine Amrabat après que l’arbitre a validé – à raison – un but marqué par l’Espagne, il a fait le tour du monde.

Les décisions arbitrales sont tout aussi commentées et, effet de la nouveauté sans doute, le VAR fait les gros titres de la presse sportive et occupe abondamment certaines conférences de presse. Car, selon Carlos Queiroz, ‘’il n’y a plus de place pour les erreurs humaines. C’était avant, nous l’acceptions, cela faisait partie du football’’.

Reste que, comme s’en réjouit la FIFA, le nombre d’erreurs flagrantes d’arbitrage a considérablement diminué. A terme, estime l’ancien défenseur international Jérémie Bréchet, l’arbitrage vidéo pourrait faire disparaître les tentatives de tromper l’arbitre : ‘’Ça va obliger les défenseurs à moins utiliser le vice, par exemple lorsqu’on défend avec un bras parce qu’on sait que l’arbitre ne peut pas nous voir. Dans l’autre sens, ça peut mettre un frein aux simulations : ce sera un jeu plus franc.’’

La façon de vivre un but a changé et il faut parfois se contenter de joie en différé ou accepter les ascenseurs émotionnels, mais le risque qu’un match tourne sur une erreur arbitrale semble avoir disparu. Depuis le début de la Coupe du monde, l’International board, garant des lois du jeu, n’a reconnu qu’une seule faute flagrante : le changement de pied de l’arbitre paraguayen Enrique Caceres, octroyant après analyse des images un penalty à l’Iran pour une main présumée du Portugais Cedric. Dans l’oreillette, le souffleur s’appelait Massimiliano Irrati.

(lemonde.fr)

 

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