Publié le 30 May 2014 - 16:26
FOOT - LES RECONVERSIONS INÉDITES

Baye Touré, adjoint d'imam

 

À l'approche de la Coupe du monde 2014, EnQuête lance une série de papiers sur ces ancien footballeurs qui ont définitivement quitté les aires de jeu et ''boycotté'' les stades. Aujourd'hui, nous nous intéressons à Pape Ousmane Touré, plus connu sous le nom de Baye Touré. Après avoir empilé les buts en clubs et en sélection, cet ancien attaquant de la Linguère de Saint-Louis et du Jaraaf de Dakar s'est reconverti ''Naa'ib'' de la mosquée de Liberté 1, à Dakar.
 
 
Ces anciens footballeurs qui ont définitivement tourné le dos au foot, Ndoffène Fall les connaît par cœur. ''Il y a Baye Touré, vous pouvez facilement le retrouver à la mosquée de Liberté 1'', nous a indiqué cet ancien international sénégalais. Nous sommes allés à sa rencontre vers 15 heures,  un lundi. ''Bonjour, nous demandons Baye Touré'', nous sommes-nous adressés à un monsieur du nom de Dramé. ''Imam Touré ? Laissez-moi finir mon déjeuner puis je vous conduis chez lui, il habite juste à côté'', dit-il.
 
Finalement, c'est chez un de ses amis que nous avons trouvé l'homme. Assis sagement sur une chaise vêtu d'un boubou beige, un bonnet blanc sur la tête. Après les salamalecs, il décline sa vie actuelle. ''Je suis Naa'ib, c'est-à-dire celui qui vient après l'imam. Quand l'imam n'est pas là, c'est le Naa'ib qui le remplace, comme actuellement où l'imam est parti à Fez (Maroc)'', précise-t-il.
 
Titulaire du Duel II
 
Qui aurait cru à cette reconversion ? Un ancien footballeur s'écarter des terrains ! Surtout quand il s'agit de Baye Touré. Considéré comme l'un des meilleurs attaquants de sa génération, Pape Ousmane Touré, à l'état-civil, a ébloui de son talent les amoureux de foot de la fin des années 60 aux années 70. Ancien pensionnaire des petites catégories (cadet puis junior) de l'Avenir de Saint-Louis, Baye Toué a été, avec les Badou Gaye, Babacar Ba, Bamba Sano, l'un des principaux artisans qui ont offert à la Linguère de Saint-Louis sa première Coupe du Sénégal en 1971.
 
''C'est l'un des plus beaux souvenirs de ma carrière, avoue cet ancien international à la vingtaine de sélections chez les Lions. J'ai marqué le deuxième but de la victoire (3-0) contre le Jaraaf des Matar Niang, Louis Camara, Bamba Diarra... Il furent tous des internationaux et avaient joué toute une saison sans défaite. Il y a aussi cette victoire (3-1) à Dakar en 1975 sur la grande équipe du Zaïre (actuel RD Congo), championne d'Afrique et mondialiste un an plus tôt (1974). Après, on était allés se qualifier à Kinshasa)''.
 
Après avoir fait vibrer la ''Vieille ville'' pendant trois ans, l'ancien élève de l'école primaire Neuville migre vers la capitale. ''Après le bac (littéraire, mention : Assez bien), j'ai été orienté au département d'histoire de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) en 1972. J'ai ainsi rejoint le Jaraaf'', raconte ce titulaire du Duel II en Histoire.
 
Le natif de Saint-Louis en 1950 et ancien du lycée Charles de Gaulle y étoffe son palmarès avec trois titres de champion du Sénégal (1975, 1976, 1977) et deux Coupes nationales (1973 et 1975). ''S'il n'a pas été le grand attaquant qu'on attendait, c'est parce qu'il n'était pas égoïste. Il mettait son talent au service du collectif. Il avait une frappe lourde'', se souvient le journaliste Laye Diaw. L'homme reconverti en ''Naa'ib'' allia parfaitement sports et études. ''C'est parce que nous étions biens encadrés à l'époque'', explique-il. Ce qui lui offre un poste d'agent du contentieux à la direction de la Société immobilière du Cap-Vert (Sicap) de 1976 à 1992 avant qu'il ne monte son GIE sous-traitant de l'Onas (Office national de l'assainissement).
 
Des terrains à la mosquée
 
Intelligent, rusé, les qualificatifs ne manquent pas pour parler de Baye Touré. Avec un tel talent, l'homme aurait pu transmettre son savoir aux jeunes ou inspirer nos attaquants de Ligue 1, après sa retraite en 1980. ''De 1981 à 83, j'ai essayé d'entraîner Dom Yaye Cissé, actuel Jappo, une équipe de 'navétanes' (championnat populaire) où il y avait Mamour Cissé, mais j'ai trouvé que ce n'était pas facile'', dit-il. Depuis, cet ancien joueur, qui n'a évolué que comme avant-centre dans toute sa carrière, a quitté définitivement les aires de jeu. ''C'est peut-être le destin. Je ne me sentais plus dans ma peau.
 
Mais surtout, je ne me sentais pas bien dans ce milieu, ce n'est plus sain comme avant. Quand j'entends des gens de même club se chamailler... on voit ce qui se passe actuellement à la Jeanne d'Arc et au Jaraaf... Les gens ne servent plus le football, c'est celui-ci qui les sert. C'est un milieu aujourd'hui où je ne trouve plus ma place ; c'est peut-être parce que je ne suis pas éduqué ainsi'', explique-il. Dégoûté par l'évolution actuelle de la discipline, il a  ''préféré aller voir ailleurs et s'est réinvesti dans la mosquée''. Pas si étonnant que ça, parce que l'homme était déjà ''très discipliné et très pieux'', informe Laye Diaw.
 
''À la longue, je me suis senti très éloigné. J'ai préféré arrêter définitivement'', souligne-t-il, et même arrêter d'aller au stade suivre un match de foot ''depuis l'élimination du Sénégal en quart de finale de la Coupe d'Afrique des Nations (Can) 1992 à Dakar (par le Cameroun 0-1)''. ''Depuis lors, je n'ai plus remis les pieds au stade, je ne regarde les matches qu'à la télé'', affirme celui qui se dit influencé par son cousin Daouda Diawara, ancien joueur de la Saint-Louisienne dans les années 1960. ''À l'époque, on jouait par amour, pour nos supporters et nos parents'', rappelle-t-il.
 
Aujourd'hui, il se sent mieux comme imam adjoint de la mosquée de Liberté 1 à Dakar, un poste qu'il occupe depuis une dizaine d'années. ''Ça me décompresse de me consacrer à Dieu, savoure-t-il. Parce que, dans notre société actuelle, on peut déraper pour un rien.'' Mais ce retour à Dieu ne le déconnecte pas de ce qui le passionne : ''Malgré ce retrait, c'est le foot seulement qui me retient devant la télé, à part le journal.
 
Mais à certaines heures, je ne peux regarder le direct. Je privilégie la prière et j'ai l'occasion de voir les rediffusions des matches.'' Avec le décalage horaire avec le Brésil, l'imam ratera certains matches, surtout ceux qui se joueront un peu tard lors de ce Mondial 2014.
ADAMA COLY

 

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