Publié le 16 Feb 2019 - 21:59
FOOT - MAN U

L'histoire du chewing-gum de Sir Alex

 

Laurent Blanc suçotait des touillettes, Luis Fernandez aspirait des sucettes, et Sir Alex Ferguson, lui, mâchait des chewing-gums. Des Wrigley à la menthe, toujours les mêmes, peu à peu devenus aussi légendaires que lui, au point de réserver une drôle d'histoire à la dernière gomme de sa carrière d'entraîneur de Manchester United. Récit d'un mythe aussi grand que celui qui l'a eu en bouche.

 

Quelle vie de rêve, bon Dieu ! À quoi était-il pourtant destiné ? Se faire sortir du paquet, mâchouiller une heure, puis finir comme tous les autres : au mieux dans une poubelle, au pire collé sous une chaise ou piétiné rue de la Soif jusqu’à décomposition. Pourtant, six ans après le jour qui changea son existence, le dernier chewing-gum de la vie d’entraîneur de Sir Alex Ferguson se porte comme un charme. Les traits sont un peu fripés, bien sûr, les angles de l’ultime coup de dent dessinant comme des rides sur ce corps plus tout à fait blanc, pas conçu d’ailleurs pour excéder les cinq ans d’existence. Il est allongé sur un large et confortable coussin de velours rouge, entouré d’une verrière grande comme le monde avec belle hauteur sous plafond, un magnifique endroit pour vieillir. On le traite comme un roi. Sur le socle en bois qui le soutient, on peut lire cette inscription, gravée en lettres d’or :

Triplé de Lukaku

Ce dimanche 19 mai 2013, West Bromwich reçoit Manchester United à la maison pour la 38e journée de Premier League. Les Red Devils ont déjà fêté leur titre de champion la semaine précédente à Old Trafford, et pleuré le départ de leur coach historique, qui s’offre une dernière haie d’honneur en entrant sur la pelouse du Hawthorns. Un match que Man U assomme de trois buts en trente minutes puis mène 5-2, avant qu’un triplé de Romelu Lukaku ne fasse cracher son chewing-gum à Sir Alex, quelque part au milieu de la pelouse (score final 5-5). Dans les tribunes, au bord du terrain, peu importe où, quelqu’un l’a vu. Mais qui ? Spectateur, stadier, jardinier, cameraman, là est le mystère de cette histoire où les identités sont masquées comme dans un roman de Fred Vargas, et où toute la beauté réside finalement dans le doute qui subsiste encore.

Le dernier chewing-gum de Sir Alex est-il réellement le dernier chewing-gum de Sir Alex, ou n’est-ce là qu’une vaste légende à ranger à côté des chanteaux hantés des Highlands ? Car voilà ce que dit la suite : alors que les deux équipes quittent la pelouse, un individu se précipite sur le précieux, le ramasse, l’enroule dans un bout de papier, le glisse dans sa poche, et se précipite chez lui pour le mettre en sécurité. Rien pendant onze jours, puis cette annonce, photo à l’appui, tombée à 9h35 sur le site d’enchères Ebay. Sur ce même site, quelques années plus tôt, la commercialisation d’une jarre affirmant contenir le fantôme du champion de golf américain Bobby Jones avait déjà fait parler d’elle. Mis à prix à 150 000 euros, l’objet est présenté comme tel : « Chewing-gum usé : RARE. Récupéré au Hawthorns. Plexiglas transparent/socle en bois. Marchandise non officielle, décrit comme ayant appartenu à Sir Alex. Après 1500 matchs de mastication intense comme manager de Man Utd, ci-gît le dernier chewing-gum de Fergie. Tous les revenus iront à la Fondation Manchester United. Joyeuses enchères. »

Ces dernières, justement, grimpent à la vitesse d’un Nani au galop. L’annonce, relayée dans les journaux, attire les (riches) badauds, qui croisent le fer à bientôt cent dans l’arène numérique. Vingt-quatre heures pour trouver preneur : le timing est serré, et, en conséquence, incite aux folies. La barre des 200 000 euros est rapidement perforée, puis 250 000, 300 000, 400 000... Au matin du 21 mai, à 9h36, le marteau tombe sur une ultime offre de 458 000 euros, provenant d’un donateur anonyme. C’est la dernière fois que l’on entendra parler de la Sir gomme. Depuis, plus un couinement, plus une photo, pas même un bout de goudron envoyé à la famille.

Matt Busby et les Wrigley menthe

Mâcher, cette pâte-là comme les autres, était inhérent à Sir Alex Ferguson. C’était sa marque de fabrique, autant signe de concentration que du stress qui, selon Fabio Capello, est à l’origine de sa retraite. On disait qu’il consommait une dizaine de chewing-gums par match, et qu’en 27 ans de règne, on pourrait faire deux fois le tour de la pelouse d’Old Trafford avec les cadavres de ses gommes à mâcher. Pourtant, et c’est l’intéressé qui le dit, il n’avait «  jamais mâché de chewing-gum  » avant de foutre les pieds dans le Nord-Ouest de l’Angleterre. À la place, Alex crachait. Et puis un jour, « quelqu’un » s’est plaint auprès du mythique Matt Busby, qui demanda à l’un des sponsors du club de filer à son coach de quoi soigner cette mauvaise habitude.

Depuis, Ferguson mâche une et une seule marque : des Wrigley à la menthe. Toujours les mêmes. 1500 matchs, 895 victoires, 2 769 buts inscrits, dont plus de 200 dans les arrêts de jeu, et près de 14 980 chewing-gums mâchouillés sur le banc de touche. Au point qu'un chercheur de l’Institut japonais de sciences radiologiques s'était même penché sur son cas, partant de cette habitude pour baser l’une de ses études sur les effets de la mastication du chewing-gum sur la réflexion cérébrale. Un autre jour, on dit de Sir Alex qu'il aurait pu fournir assez d’énergie en mâchouillant pour éclairer pendant une heure un territoire de la taille du comté de Lincolnshire, sur le littoral de la Mer du Nord. À défaut, mâcher lui aura au moins permis d'avoir un sourire à l'image de son armoire à trophées : ultra-bright.

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