Publié le 30 Jun 2018 - 19:59
FOOT - SENEGAL

Les Lions, une histoire de désillusions

 

Le Sénégal, qui avait les cartes en main, s’est fait éliminer dès le premier tour du Mondial-2018, après la défaite (0-1) contre la Colombie, jeudi. Les Lions, coachés par Aliou Cissé, ravivent le goût des désillusions connues dans le foot sénégalais.

 

Désillusion ! C’est le mot qui est revenu très souvent dans les titres et commentaires des journaux sénégalais de vendredi, pour exprimer la fin de campagne des Lions à la Coupe du monde 2018. Et c’est loin d’être une première. Dans le passé, la presse du pays a trempé ses plumes pour écrire presque des lignes similaires, inspirées par la déception et parfois la colère des supporters des ambassadeurs sénégalais dans les grands tournois internationaux. Après cette fin d’aventure dictée par la règle du fair-play sur les terres de Samara (Russie) au profit du Japon, ‘’EnQuête’’ tente de rappeler les déceptions auxquelles les Lions ont habitué leurs fans.

Cauchemar d’entrée en CAN

Entre les Lions du foot et les déconvenues, c’est comme si c’était écrit d’avance. Le Sénégal l’a vécu dès sa première participation à une phase finale de Coupe d’Afrique des nations (CAN). C’était lors du tournoi organisé à Tunis en 1965. L’un des acteurs a raconté le ‘’scandale’’ qui a conduit à une élimination surprise. Il s’agit de Louis Camara. ‘’C’est sans nul doute l’affaire des subtilités de l’algèbre africaine, comme l’avait surnommé un grand journaliste sportif de l’époque, feu Alassane Ndiaye ‘Alou’.  À la fin du deuxième match contre les Éthiopiens (5-1), où j’ai inscrit le premier but, nous étions persuadés de terminer premiers de notre poule, devant la Tunisie qu’on avait tenue en échec  (0-0), lors de notre premier match. Ces derniers, ensuite, ne s’étaient imposés que (4-0) face à l’Éthiopie. Même si nous savions que nous comptions le même goal différence avec les Aigles de Carthage (+4) dans ce mini-championnat de 3 équipes, nous pensions que la Confédération africaine de football (CAF) allait privilégier la meilleure attaque qui était le Sénégal  (5 buts). Mais, à notre grande surprise, et sans doute pour plaire au pays organisateur, elle décida de changer le règlement en privilégiant la défense pour désigner le premier de la poule. Comme la Tunisie n’avait pas encaissé de but, elle fut choisie pour jouer la finale contre le Ghana’’, racontait l’attaquant.

Asmara 1968 : problème de gestion

Après la belle impression laissée en Tunisie, le Sénégal se retrouve en Éthiopie. Sous la houlette de Lamine Diack, Joe Diop et Mawade Wade, les Lions  ont péché, comme ceux de 2018, dans la gestion des matches. Ils s’étaient fait rejoindre deux fois par le Ghana, champion en titre. Après avoir battu (2-1) le Congo lors du deuxième match, ils ont perdu le troisième face au Zaïre (actuel RD Congo). ‘’Sur un dernier corner concédé par Yérim Diagne et mal tiré par les Congolais, le ballon atterrit dans les bras de notre gardien Abdoulaye Thiam. En se relevant, il laissa tomber le ballon et l’attaquant zaïrois, qui était près de lui, en profita pour pousser le cuir au fond des cages, donnant ainsi l’avantage aux Zaïrois.

Ce qui était synonyme d’élimination pour nous. Mais d’autres versions rapportent que notre gardien, croyant entendre un coup de sifflet de l’arbitre, déposa le ballon pour le dégager et  l’attaquant zaïrois en profita. Cet épisode sonne le glas de notre épopée en Coupe d’Afrique en  1968’’, relatait Yatma Diop. L’ancien attaquant du Foyer Casamance (actuel Casa Sport) et du Jaraaf de Dakar pense qu’ils étaient ‘’plus forts que les finalistes qui nous avaient dominés’’.

‘’Dans mon esprit, je me considérais comme champion  d’Afrique, car on a largement  dominé les deux finalistes. L’ossature était formée autour d’anciens de la campagne de  Tunis 1965, trois ans plus tôt. Par ailleurs, malgré notre volonté de revanche après l’édition tunisienne, on a péché dans la gestion de nos matches. Même si la plupart des joueurs avaient une bonne formation académique, notre apprentissage du haut niveau laissait beaucoup à désirer. Cela s’est ressenti dans les matches contre le Zaïre (actuel RD Congo) et le Ghana’’, estime Yatma Diop.

Caire 86 : l’excès de confiance

Le Sénégal a peiné à se relever de ce terrible épisode. Il a attendu 18 ans pour s’inviter à la grand-messe du foot continental. Les Lions, amenés par Jules Bocandé, Racine Kane... signent leur retour avec un succès retentissant devant le pays hôte, l’Égypte. Mais ils ont failli par la suite. ‘’On pouvait battre n’importe qui, parce qu’il existait une très grande complicité entre nous. On avait fait nos armes ensemble en sélection junior. Et cette victoire contre l’Égypte, en match d’ouverture, a eu un retentissement planétaire et a, du coup, nourri une plus grande attente à notre égard. Beaucoup de personnes espéraient nous voir remporter la coupe. A mon avis, cette victoire nous a fait plus de mal que de bien. Après cet exploit, nous avons été incapables de gérer l’euphorie qui s’en est suivie. Par ailleurs, le deuxième match contre le Mozambique (2-0) n’a pas permis de faire retomber le soufflet. Il y avait un excès de confiance dans l’équipe, avant d’aborder le dernier match contre la Côte d’Ivoire. On voulait les battre coûte que coûte, alors qu’un nul suffisait pour être premier du groupe, puisqu’on avait déjà 4 points’’, regrettait Amadou Diop dit ‘’Boy Bandit’’.

Sénégal 92 : le ‘’déshonneur’’

Cette génération rate le rendez-vous suivant (1988). Le Sénégal accueille l’Afrique à Dakar et à Ziguinchor, deux ans plus tard. Forte de son bon parcours qui l’a conduite en demi-finales à Alger 90, l’équipe entraînée par Claude Leroy pensait avoir l’occasion d’écrire son histoire à domicile. Mais les Victor Diagne, Adolphe Mendy, Bocandé, Thierno Youm échouent en quarts de finale face au Cameroun (0-1). ‘’Encore aujourd’hui, j’éprouve de l’amertume et des regrets, au souvenir de cette campagne de 1992, parce que nous n’avions même pas atteint les demi-finales. Sincèrement, j’avais l’impression qu’on avait déshonoré le football sénégalais, en ratant notre tournoi. En outre, on n’a pas su répondre aux attentes du peuple qui voulait qu’on remporte la première coupe d’Afrique de son  histoire’’, confesse Roger Mendy, défenseur central de l’époque.

Tunis 2004 : l’embourgeoisement

L’échec de 92 est suivi d’une longue traversée du désert avant la renaissance en 2000 au Nigeria et au Ghana. Les Lions s’arrêtent en quarts face aux Super Eagles. Leur belle dynamique les amène en finale de l’édition de 2002. Très solidaire, le groupe était très attendu en 2004 pour confirmer son parcours de quart de finaliste de la Coupe du monde Corée du Sud-Japon. Malheureusement, les El Hadj Diouf, Ferdinand Coly, Tony Sylva... conduits par le technicien Guy Stéphan, sont stoppés en quarts par les Aigles de Carthage, hôtes de la compétition. Quelques années après, Habib Bèye a analysé cet échec. ‘’On avait tous grandi, on était tous de nouveaux joueurs avec de nouveaux statuts, et peut-être que l’ego de chacun était trop important. Mais 2004 était un moment où, malheureusement, on a été trop suffisants dans l’effort. Toutefois, je pense qu’on n’a pas failli à notre devoir. Mais on sentait parfois qu’on manquait d’unité et que ce groupe s’était un peu embourgeoisé. Et que, du coup, on faisait moins d’efforts les uns pour les autres et malheureusement, ça s’est ressenti dans nos résultats’’, a dit l’ancien défenseur des Lions.

La ‘’honte’’ à Tamale

‘’Pour moi, la plus grosse déception, la plus grande honte, c’était 2008 au Ghana. Parce que déjà, on n’a pas joué. On n’a pas combattu. On n’a pas montré l’esprit ‘gaïndé’ (lion) de notre groupe. Il n’était pas là, celui qui faisait notre force. J’estime que sur les quatre tournois que j’ai vécus, la seule honte que je peux avoir en tant que personne et en tant que joueur, c’est 2008’’, a avoué Habib Bèye dans les colonnes d’’’EnQuête’’. Durant cette campagne au Ghana, le Sénégal avait laissé, jusque-là, sa pire image sur le plan international. Le sélectionneur franco-polonais Henryk Kasperczak avait abandonné le navire en pleine tempête, notamment après nul (2-2) contre la Tunisie et la lourde défaite (1-3) face à l’Angola. Ses adjoints conduisent l’équipe lors du troisième match contre l’Afrique du Sud (1-1). Les Lions rentrèrent avec leur pire bilan de Can : seulement 2 points.

Le zéro pointé de Bata

On croyait que le Sénégal avait touché le fond à Tamale, mais c’était loin d’être le cas. L’épisode de Bata est venu effacer ce triste record. Lors de la CAN co-organisée par le Gabon et la Guinée-Equatoriale en 2012, la sélection dirigée par Amara Traoré avait réussi l’exploit de concéder trois défaites en autant de sorties en phase de poules. Toutes sur le même score (2-1) face à la Zambie (futur vainqueur), la Guinée-Equatoriale et la Libye. Pourtant, beaucoup d’observateurs la voyaient bien armée pour aller loin. Il y avait les Demba Ba, Papiss Demba Cissé, Moussa Sow, Mamadou Niang. Ce groupe avait réalisé un parcours exceptionnel aux éliminatoires, en écartant le Cameroun. Il n’avait concédé qu’un nul sur les six rencontres de qualifications.

Mongomo 2015 : le casting de Giresse

Le retour en terre équato-guinéenne était annoncé comme une revanche sur l’histoire. Malheureusement, la campagne s’est encore terminée en cauchemar. Une élimination dès le premier tour. Pourtant, elle avait bien commencé, avec un succès probant face au Ghana (2-1) avant qu’Alain Giresse ne vienne tout compromettre. Le technicien français a opéré plusieurs changements dans son équipe de départ contre l’Afrique du Sud. Les Lions manquent de repères et égalisent difficilement (1-1). Les cartes en main, ils perdent la ‘’finale’’ contre l’Algérie (2-0).  

Adama Coly

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