Publié le 26 Nov 2018 - 15:21
FOOTBALL LEAKS - DOPAGE

Les contrôles suspects de Sergio Ramos

 

Le soir de la victoire du Real Madrid en finale de la Ligue des champions 2017, Sergio Ramos a été contrôlé positif, puis finalement blanchi par l’UEFA. Il a par la suite violé le protocole antidopage à la suite d’un match du championnat espagnol, à Malaga en avril 2018.

 

Le dimanche 4 juin 2017, un échantillon en provenance du pays de Galles arrive au laboratoire de Seibersdorf, en Autriche. La fiole, scellée, porte le numéro 3324822. Son contenu ? 110 millilitres d'urine donnés par un joueur du Real Madrid la veille, juste après la finale de la Ligue des champions remportée par le club madrilène contre la Juventus de Turin, au Millennium Stadium de Cardiff.

Un peu plus d'un mois après, le 5 juillet, le directeur adjoint de l’institut de Seibersdorf envoie son rapport au siège de l'UEFA, à Nyon. Verdict : l’échantillon contient des traces de dexaméthasone, un puissant glucocorticoïde. La molécule, à base de cortisone, possède des propriétés anti-inflammatoires, diminue la fatigue et la perception de la douleur. Elle augmente aussi la concentration et l’attention. Surtout, ce corticoïde de synthèse figure sur la liste des substances interdites en compétition par l’Agence mondiale antidopage (AMA).

Quant à l’identité du joueur du Real Madrid qui a été contrôlé positif à Cardiff, il s’agit du défenseur central Sergio Ramos, emblématique capitaine des «Merengue » et de l’équipe nationale espagnole, champion du monde, double champion d’Europe et triple vainqueur de la Ligue des champions. C’est ce que révèlent les documents issus des Football Leaks, obtenus par Der Spiegel analysés par Mediapart et ses partenaires de l’EIC.

Au terme d’une enquête lancée à la suite de son contrôle positif, Sergio Ramos a finalement été blanchi par l’UEFA. Aucune mesure disciplinaire n’a été prononcée contre le médecin du Real Madrid, malgré une erreur de déclaration. La star espagnole n’a également subi aucune sanction dans une deuxième affaire, à la suite d’un match de championnat en avril 2018, alors qu’il est allé prendre une douche avant un contrôle antidopage, en violation du règlement. Nos documents montrent donc que les instances du football semblent se montrer clémentes lorsqu’elles sont confrontées à des entorses au règlement antidopage commises par un joueur emblématique et l’un des clubs les plus riches de la planète.

Retour en Suisse, au siège de l’UEFA. Le 7 juillet 2017, deux jours après avoir reçu les résultats du contrôle positif de Ramos, Caroline Thom, responsable antidopage à la fédération européenne, écrit au joueur pour lui demander des explications.

La réponse arrive le 10 juillet. Elle ne fait que cinq lignes. Ramos explique avoir reçu la veille du match « un traitement contre la douleur pour mon épaule et mon genou ». Pour les détails, tout se trouve dans un « rapport médical » préparé par Mikel Aramberri, l’un des médecins du Real. « J’espère que cela clarifie complètement la situation », conclut Sergio Ramos.

Les règles de l’AMA concernant l’utilisation de la dexaméthasone sont claires. La substance peut être utilisée par voie intra-articulaire en dehors des compétitions (c’est-à-dire plus de 24 heures avant le match), mais le traitement doit être mentionné lors du contrôle antidopage.

La rubrique « 3b » du formulaire, dans laquelle l’athlète peut spécifier les traitements dont il a fait l’objet durant les sept jours précédant le contrôle, ne mentionnait pas l’administration de dexaméthasone. En revanche, il était indiqué que le défenseur madrilène avait reçu deux injections de Celestone Chronodose par voie intra-articulaire, 1,2 millilitre dans l’épaule et la même dose dans le genou. Le Celestone Chronodose, de son nom scientifique bétaméthasone, est une molécule proche de la dexaméthasone, qui appartient aussi au groupe des glucocorticoïdes.

Le rapport officiel de l’UEFA indique que Sergio Ramos est arrivé dans la salle réservée aux contrôles antidopage le 3 juin à 22 h 38, immédiatement après la remise de la Coupe. Il a fallu près de deux heures pour collecter le sang et l’urine. À 00 h 26, le joueur a enfin terminé ses obligations. Il était accompagné d’un médecin du club, Mikel Aramberri, un traumatologue qui s’occupe également de l’équipe nationale espagnole de rugby. Ils ont tous deux signé le formulaire.

Dans un courrier adressé le 9 juillet 2017 à l’UEFA, le médecin indique que Sergio Ramos est innocent. Le seul fautif, c’est lui. Le docteur Aramberri explique que Sergio Ramos souffre de « pathologies chroniques » au genou et à l’épaule gauches. Il ajoute que le joueur s’étant plaint de douleurs le 2 juin 2017 en fin d’après-midi, la veille de la finale de la Ligue des champions, il a réalisé deux injections intra-articulaires de dexaméthasone (et non de bétaméthasone) dans son genou et son épaule gauches.

Le médecin indique qu’il a déclaré la mauvaise substance sur le formulaire à cause de « l’excitation » et de « l’euphorie » dans le vestiaire après la victoire, et des « circonstances exceptionnelles » dans lesquelles le test a été réalisé. Sa Majesté Juan Carlos, ancien roi d'Espagne, ainsi que le premier ministre espagnol étaient venus féliciter le capitaine du Real dans l’espace de contrôle antidopage.

Le docteur Aramberri indique que c’est à cause de tout cela qu’il a confondu deux substances très proches. « Une erreur humaine, donc compréhensible. Il est clair que je n’ai jamais eu l’intention de violer les règles antidopage », conclut-il. L’UEFA a consulté un « expert » qui a « confirmé » que deux injections intra-articulaires de 1,2 millilitre « seraient cohérentes avec la concentration de dexaméthasone trouvée dans l’échantillon », indique la fédération européenne dans un courrier adressé le 12 juillet à Sergio Ramos et au Real Madrid. L’enquête s’est arrêtée là.

L’UEFA a jugé « très probable » que le joueur et le médecin aient commis « une erreur administrative ». Elle a décidé de « classer l’affaire sans engager de procédure disciplinaire », avec ce conseil à Ramos : « À l’avenir, nous vous demandons, ainsi qu’à votre médecin, de prendre les plus grandes précautions lorsque vous remplissez un formulaire de contrôle antidopage, en particulier lorsque vous déclarez un traitement. »

Sergio Ramos a bénéficié du grand flou qui règne autour des corticoïdes, très utilisés par les sportifs pour soigner leurs douleurs (en particulier dans le cyclisme, mais aussi le rugby, comme l’illustre l’affaire du Racing 92 en 2016). La réglementation de ces substances est complexe et jugée pousse-au-crime par certains experts, qui redoutent le risque d’un dopage légal sur ordonnance.

Si elle est prise plus de 24 heures avant un match et administrée par voie intra-articulaire, la dexaméthasone retrouvée dans les urines de Ramos peut être librement utilisée. Elle ne nécessite même pas d’AUT (autorisation d’usage à des fins thérapeutiques), la procédure qui valide l’usage de produits interdits pour raisons médicales. Or il est difficile de prouver, plusieurs semaines après un contrôle, la date réelle de l’injection et si la seringue a été plantée dans le muscle plutôt que dans le cartilage.

Sergio Ramos a insisté pour se doucher avant un contrôle

Interrogée par l’EIC, l'UEFA a répondu que sa décision concernant Sergio Ramos était « conforme » au code de l’Agence mondiale antidopage (AMA). Comme prévu par la procédure, la FIFA et l’AMA avaient la possibilité de contester la décision auprès du Tribunal arbitral du sport (TAS) et ne l’ont pas fait. Sergio Ramos, le Real Madrid et le médecin du club n'ont pas souhaité commenter.

Au bout du compte, l’épisode laisse la désagréable impression qu’un joueur de renom et un club prestigieux peuvent bénéficier d’une certaine mansuétude. C’est ce que confirme un second incident impliquant le défenseur du Real Madrid. Cette fois, les documents ne proviennent pas de l’UEFA, mais de l’agence antidopage espagnole, l’AEPSAD.

Le dimanche 15 avril 2018, le Real Madrid s’impose 2-1 sur le terrain de Malaga, à l’issue d’un match de championnat. Après le coup de sifflet final, un inspecteur s’approche de Sergio Ramos et l’invite à passer un contrôle antidopage. La suite est décrite dans une lettre de deux pages datée du 21 septembre 2018, adressée au médecin chef du Real Madrid par le responsable en chef des contrôles antidopage à l’AEPSAD. La description des faits se fonde sur le rapport établi par le contrôleur présent à Malaga.

Selon ce courrier, Sergio Ramos a demandé au contrôleur s’il pouvait prendre une douche avant de donner son échantillon d'urine, parce que ses coéquipiers l'attendaient et que tout le monde voulait rentrer au plus tôt à Madrid.

Dans son rapport, l’inspecteur indique avoir refusé, ce qui aurait entraîné une réaction de « mécontentement » de Sergio Ramos et du médecin chef du Real, Julio de la Morena. Le duo aurait alors répliqué que la douche était autorisée. L’inspecteur a résisté, mais Sergio Ramos est passé outre : il a pris sa douche en présence du contrôleur. « Malgré mes avertissements », écrit ce dernier dans son rapport. Et malgré ses mises en garde sur le fait que son comportement pourrait avoir de graves conséquences.

Car prendre une douche ou un bain avant un contrôle est strictement interdit par la législation espagnole, pour une raison très simple : cela permet d’éviter qu’un athlète n’en profite pour uriner discrètement, ce qui fausse les résultats du contrôle.

Violer cette règle est un délit (« l’obstruction à la procédure de contrôle antidopage »), passible de sanctions très sévères. Un club fautif est passible d’une amende maximale de 300 000 euros, de réduction de points en championnat, voire de relégation. Le médecin de l'équipe risque une suspension pouvant aller jusqu’à quatre ans. Le joueur est passible de la même peine, qui peut être réduite à deux ans de suspension s’il prouve que la violation n'était « pas intentionnelle ».

Ce scénario catastrophe est décrit dans un courriel du directeur juridique du

Real Madrid adressé le 30 septembre 2018 à son directeur général José Ángel Sánchez : « José Ángel, les sanctions sont très lourdes, aussi bien pour le joueur que pour le club et le médecin de l’équipe. » Sergio Ramos disposait d’un délai de dix jours à compter de la fin du mois de septembre pour répondre par écrit aux accusations de l’agence antidopage espagnole. La suite de l’histoire ne figure pas dans les documents Football Leaks.

Nos questions adressées au Real Madrid sont restées sans réponse. L’agence antidopage espagnole s’est contentée de nous indiquer, sans plus de précisions, que « les résultats de l’enquête n’[avaie]nt mis à jour aucun fait qui pourrait permettre de conclure à l’existence d’un acte violant la réglementation antidopage ».

Reste un dernier mystère : pourquoi l’agence antidopage espagnole a-t-elle attendu plus de cinq mois après l’incident pour envoyer ses griefs par courrier au Real Madrid ? Y a-t-il eu des contacts entre l’agence et le club pendant cette période ? Ces questions sont restées sans réponse.

Le Real prendrait-il les procédures à la légère ? Les Football Leaks documentent un troisième incident, concernant cette fois Cristiano Ronaldo. Le 1er février 2017, quatre mois avant la finale de la Ligue des champions à Cardiff, deux contrôleurs de l'UEFA se sont rendus à Madrid pour procéder à un contrôle inopiné, juste avant un entraînement du Real. Ils doivent prélever le sang de dix joueurs. Mais la situation leur échappe. C’est en tout cas ce qu’ils écrivent dans leur rapport à l’UEFA. Deux semaines plus tard, la fédération européenne envoie deux lettres au Real Madrid. La première est destinée au directeur général du club José Ángel Sánchez, la seconde à Cristiano Ronaldo.

Dans ce courrier, l’UEFA indique que lors du contrôle, le quintuple ballon d’or s’est « plaint » d’être « encore » testé. La première tentative de prise de sang ayant échoué, le contrôleur a dû s’y reprendre à deux fois. Ronaldo a alors de nouveau « exprimé son mécontentement », ce qui a « apparemment créé une forte tension dans la salle de contrôle », peut-on lire dans la lettre de l’UEFA.

Après que Ronaldo et l’international allemand Toni Kroos eurent donné leur sang, plusieurs membres de l’équipe médicale du club ont fait soudainement irruption dans la pièce et se sont chargés d’effectuer les prélèvements sur les huit autres joueurs. Les inspecteurs ont donné leur feu vert à « titre exceptionnel » en raison de « l’atmosphère tendue qui prévalait dans la salle de contrôle », écrit l'UEFA. Il n’y a pas pu avoir de substitution des échantillons, puisque les contrôleurs étaient présents. Mais il s’agit d’une violation des règles qui régissent les contrôles inopinés. Elles indiquent que seuls les contrôleurs peuvent effectuer les prélèvements et qu’il est de la responsabilité des clubs de garantir qu’ils puissent effectuer leur mission sans être dérangés. Le contrôleur dispose de trois essais avant de renoncer au contrôle.

L’UEFA a demandé des éclaircissements au Real Madrid. La réponse du club est très sèche. Le directeur général José Ángel Sánchez a accusé les deux inspecteurs de l’UEFA d’incompétence, estimant qu’ils étaient responsables des tensions ayant éclaté dans le vestiaire. Sánchez prend la défense de sa superstar : selon lui, Cristiano Ronaldo s’est plaint, mais avec respect, et pas du tout parce qu'il était à nouveau contrôlé, mais parce que l’inspecteur a dû s’y reprendre à deux fois pour atteindre sa veine. À propos du contrôleur qui s’est occupé de Ronaldo, le directeur général ajoute : « Nouveau et probablement pas très expérimenté dans le traitement des joueurs de très haut niveau. » Selon lui, les inspecteurs étaient ravis de l’intervention des membres de l’équipe médicale du club, qu’ils ont « chaleureusement remerciés pour leur aide précieuse » après le contrôle. L'affaire est restée sans conséquences pour le Real Madrid. Ni l'UEFA, ni le club, ni Cristiano Ronaldo n'ont souhaité commenter cet incident.

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