Publié le 12 Oct 2018 - 09:38
FOOTBALL LEAKS - ENQUÊTE

Accusation de viol: comment l’équipe de Ronaldo a géré le désastre

 

Kathryn Mayorga affirme avoir été violée par Cristiano Ronaldo. Le footballeur nie aujourd’hui ces faits, mais l’enquête de notre partenaire allemand Der Spiegel révèle qu’il a reconnu à une époque, auprès de ses propres avocats, que la victime lui avait demandé de cesser la relation sexuelle. Nous publions ici en intégralité et en français le dernier volet de cette enquête.

 

Kathryn Mayorga affirme avoir été violée par le footballeur Cristiano Ronaldo. Celui-ci dément aujourd'hui les faits, mais l'enquête de notre partenaire allemand Der Spiegel révèle qu'il a reconnu à une époque auprès de ses propres avocats que Kathryn Mayorga lui avait demandé de cesser la relation sexuelle.

Der Spiegel avait publié un premier papier à ce sujet, en avril 2017, révélant que le quintuple ballon d'or avait signé un accord pour faire taire celle qui se disait victime en 2009 (retrouvez ici l'article en anglais). Puis ce 29 septembre 2018, pour la première fois, Kathryn Mayorga a témoigné publiquement. Enfin, un document montre à présent que Ronaldo a changé de version sur ces événements. Nous avons donc décidé de publier en intégralité et en français le dernier volet de cette enquête de notre partenaire allemand.

Ils l'appellent « le gamin ». Et ce gamin, Cristiano Ronaldo, a un problème lié à des vacances passées à Las Vegas, dans une suite de l’hôtel haut de gamme Palms Place.

À l'été 2009, l'avocat de Ronaldo, Carlos Osório de Castro, a écrit à un collègue pour lui dire qu'il avait eu un échange avec « le gamin » au sujet d'une soirée de fête à Las Vegas.

C'était sérieux. Une Américaine, Kathryn Mayorga, affirmait que Ronaldo l'avait violée dans sa suite le 13 juin. Après avoir parlé à son client, le joueur le plus cher de la planète, Osório de Castro se faisait une idée approximative de ce qui avait pu se passer cette nuit-là dans la chambre d'hôtel.

Il s'est mis au travail. Parce que l'accusation devait disparaître. Rapidement. Tranquillement. Pour toujours.

L’avocat installé à Porto, qui a soutenu Ronaldo plus d’une fois, a rameuté ses troupes, une équipe de nettoyage qui devait veiller à ce que rien ne fuite de l’incident de Las Vegas.

L'équipe comprenait un détective privé ayant de bons contacts avec le service de police métropolitain de Las Vegas (LVMPD), deux autres avocats portugais et le cabinet d'avocats Schillings, basé à Londres et spécialisé dans la gestion de crise. (Leur devise : « Quand vient l'attaque, il faut être prêt à rendre les coups. »)

De son côté, le cabinet d'avocats Lavely & Singer, de Los Angeles, s'est fait connaître en aidant des clients célèbres comme Cameron Diaz et Jennifer Aniston, des personnes en mesure de résoudre leurs problèmes avec de l’argent.

Osório de Castro a également engagé l'avocat Richard Wright, de Las Vegas. Son tarif : 475 $ de l’heure. Plus tard, l'équipe engagera également un expert médical et un expert médico-légal.                                                                                              

Tous se sont ligués contre Kathryn Mayorga de Las Vegas, qui vivait essentiellement de son travail de mannequin. Et qui, en juin 2009, s’est retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment.

Der Spiegel a fait état le 29 septembre des accusations de viol portées par Mayorga. C'est l'histoire d'une femme qui est restée longtemps silencieuse – parce qu'elle le devait. Parce qu’il y a neuf ans, elle a signé un accord avec l’équipe d’experts de Ronaldo et son propre avocat.

Dans ce règlement à l'amiable, Mayorga a accepté de ne jamais parler publiquement de ce qui s'était passé à Palms Place le 13 juin 2009. En échange, elle a reçu 375 000 $.

Mayorga a décidé de rompre ce silence. Son avocat, Leslie Mark Stovall, a déposé une plainte officielle la semaine dernière au Nevada. Il conteste l’accord passé, affirmant que son seul objectif était de faire taire sa cliente.

Stovall attaque également les avocats de Ronaldo. Il estime qu'ils ont conclu un accord de non-divulgation afin « d'empêcher ou de retarder les poursuites pénales »liées à la nuit de Vegas.

Stovall parle d'un « complot » et argue que « cacher un crime est un crime ». Les détails de l'affaire Mayorga-Ronaldo ressemblent à l'intrigue d'un roman de John Grisham. Le client. L'entreprise. Le racketteur. On y trouve des avocats implacables, des enquêteurs minables, une totale absence de compassion. Et une victime présumée qui se fait bousculer par l'équipe juridique du camp adverse comme un ballon de football sur un terrain.

En juillet 2009, tandis que Mayorga engageait un avocat spécialisé dans les dommages et intérêts après un accident de la route, les collaborateurs de Ronaldo fonctionnaient comme une équipe internationale de gestion de crise.

Der Spiegel a pu reconstruire la stratégie et les méthodes des avocats de Ronaldo grâce aux documents Football Leaks. Les documents montrent que les avocats de Ronaldo aux États-Unis ont envoyé un enquêteur privé à Palms Place. Il a inspecté la suite dans laquelle Ronaldo a séjourné pendant ses vacances à Las Vegas, mesurant les chambres et le jacuzzi et mettant à l’épreuve l’acoustique.

Les avocats ont décidé qu’ils avaient besoin d’un nom de code pour Ronaldo. Ils se sont mis d’accord pour l'appeler « Topher ». Les avocats se sont demandés pourquoi une procédure pénale n’avait pas encore été enclenchée. Un des avocats a noté que Kathryn Mayorga avait contacté la police seulement quelques heures après l'incident survenu à Palms Place. À son avis, a-t-il dit, ce fait plaidait en faveur de Mayorga, renforçait sa crédibilité et rendait probable le fait que la police n'en avait pas encore terminé avec ses propres investigations.

En août 2009, les avocats de Ronaldo ont négocié l'accord avec le représentant de Mayorga. Les avocats de la star du football s'étaient mis d'accord pour parler d'un prétendu harcèlement sexuel et non d'un possible viol. Le règlement devait être conçu de manière à ce que Mayorga encoure une lourde sanction financière si elle enfreignait sa part du marché, par le biais d'une indiscrétion ou d'une interview avec un journaliste. (…)

Les avocats se sont ensuite enquis du droit pénal américain. Ils voulaient savoir si, dans de tels cas, des accusés originaires d’Europe pouvaient être extradés vers les États-Unis.

En septembre, l'équipe de Ronaldo a élaboré un questionnaire complet. Ils voulaient entendre la version de Ronaldo de cette nuit à Las Vegas. Chaque détail était important. Le résultat a été un document qui pourrait finalement jouer un rôle central dans l'affaire.

Une question à laquelle Ronaldo devait répondre était la suivante : « Décrivez en détail ce qui s’est passé depuis le premier contact physique que vous avez eu avec Mme C. dans l’autre pièce, puis décrivez la suite des événements. »

Un des avocats de l'équipe de Ronaldo a noté sa réponse : « Je l'ai baisée sur le côté. Elle s'est mise à disposition. Elle était allongée sur le côté, au lit et je suis entrée par-derrière. C'était brutal. Nous n'avons pas changé de position. 5/7 minutes. Elle a dit qu'elle ne voulait pas, mais elle s’est rendue disponible (available  en anglais – ndlr). Tout au long, c’était brutal, je l’ai tournée sur le côté et c'était rapide. Peut-être qu'elle a eu quelques ecchymoses quand je l'ai attrapée… Elle m'a branlé… Mais elle n'arrêtait pas de dire “Non”, “Ne le fais pas”, “Je ne suis pas comme les autres”. Je me suis excusé après. »

Question : « Est-ce que Mme C. a élevé la voix, crié ou hurlé ? »

Réponse : « Elle a dit non et s'est arrêtée plusieurs fois. »

« Les accords de confidentialité ne sont appropriés que dans un nombre limité de situations »

Selon des documents des Football Leaks, cette version des événements a changé. En décembre suivant, un autre questionnaire avec différentes réponses est apparu. Dans celle-ci, la réponse à une question sur ce qui s’est passé dans la chambre se lit comme suit : « Elle était allongée dans le lit. Je suis venu par-derrière. Nous n’avons pas changé de position. C’était 5/7 minutes. Elle ne criait pas. Elle n'a pas appelé à l'aide ou quelque chose comme ça. » (…)

Entretemps, les avocats américains avaient soumis un document au médiateur, qui allait servir d’intermédiaire entre les parties, soit entre Mayorga et Ronaldo, alias Topher.

Le document cite un « expert médical » qui a déclaré que les blessures dans le rectum de Mayorga pourraient avoir été causées par « plusieurs objets » et pas nécessairement par « la pénétration d'un pénis ».

Il y a aussi l’attestation d'un autre expert, un ancien détective qui se serait spécialisé dans les enquêtes sur des agressions sexuelles. Le policier à la retraite est cité comme ayant évoqué la possibilité que Mayorga ait pu causer les blessures elle-même. Cela expliquerait pourquoi elle aurait pris plusieurs heures après l'incident allégué pour appeler la police, a-t-il déclaré.

Toute personne accusée d'un crime a droit à la meilleure défense possible. Mais l'actuel avocat de Mayorga, MeStovall, estime que les avocats de Ronaldo sont allés trop loin.

De l'avis de Stovall, les accords de confidentialité ne sont appropriés que dans un nombre limité de situations. « Si vous avez un cas qui implique, par exemple, la formule du Coca-Cola ou un logiciel pour une application très utile, dans ce contexte, la non-divulgation des données confidentielles est à mon avis appropriée », déclare MeStovall. Cependant, ajoute-t-il, au cours des dernières années, de telles clauses de non-divulgation sont devenues plus courantes : « Et c'est fait dans le but de cacher la mauvaise conduite des célébrités. »

Après la signature de l’accord, Osório de Castro a tenté de négocier un rabais pour son client. Les avocats de Lavely & Singer ont réagi à leur manière habituelle. « Nous avons pu obtenir un règlement remarquable pour Topher, ont-ils écrit dans un courrier électronique. Le client se trouvait dans une situation difficile, ont-ils poursuivi – il faisait face à une possible extradition vers les États-Unis, une possible peine de prison, dans tous les cas une énorme atteinte à sa réputation si l’affaire Mayorga devenait publique. Les frais restants devaient être réglés le plus rapidement possible. Meilleures salutations. »

Lorsque Der Spiegel a fait état pour la première fois du cas de Mayorga il y a un an et demi, sans mentionner le nom de la victime présumée, le magazine a reçu des lettres de deux cabinets d'avocats spécialisés dans le droit des médias. Ils espéraient pouvoir empêcher la publication de l'histoire. Un négociateur a également été envoyé à Hambourg, où Der Spiegel est situé, pour en savoir plus sur nos informations – en vain. Cet homme ne fait plus partie de l'équipe de Ronaldo.

À l'époque, Ronaldo n'avait pas personnellement répondu. Il avait préféré poster une photo de lui-même, le montrant en posture de victoire, vu de derrière, en sous-vêtements.

Après notre article de la semaine dernière, l'affaire Mayorga/Ronaldo a fait les gros titres dans le monde entier. Ronaldo, qui joue maintenant pour la Juventus Turin, s'est rendu sur Instagram pour parler de « fausses informations » et a déclaré que quelqu'un essayait simplement de devenir célèbre à ses dépens.

Mercredi dernier, Ronaldo a utilisé Twitter pour se défendre : « Je nie fermement les accusations portées contre moi. Le viol est un crime abominable qui va à l'encontre de tout ce que je suis et tout ce en quoi je crois. »

Que s'est-il passé le 13 juin 2009 dans la suite de Palms Place ? Seuls Cristiano Ronaldo et Kathryn Mayorga connaissent la vérité. Maintenant au moins, l'histoire de Mayorga se retrouve là où elle aurait dû venir : devant un tribunal approprié. Le problème réside dans le règlement à l'amiable qui a été signé. En outre, un procureur de district doit décider d’engager une procédure pénale contre Ronaldo. Mayorga a été interrogé à plusieurs reprises par la police ces dernières semaines. Sa dernière déclaration a été enregistrée.

Selon l'avocat de Mayorga, Me Stovall, lors de l'un de ses récents rendez-vous avec la police, sa cliente a découvert qu'un enregistrement de la déclaration qu'elle avait donnée à la police en 2009 n'existait plus.

La robe et les sous-vêtements que Mayorga portait cette nuit-là à Palms Place, et qu'elle aurait confiés à la police à l'époque comme preuves, auraient également disparu selon elle. Contactée par Der Spiegel, la police de Las Vegas a refusé de s’exprimer.

Stovall reproche également à la police de n'avoir pas poussé ses investigations quand Mayorga leur a donné le nom de celui qu’elle décrit comme son agresseur, en 2009. LVMPD conteste ces faits.

Stovall a écrit une lettre à la police. Il y demandait si les autorités avaient formulé des réserves sur la probité de l'enquête. Et si oui, ce qu’ils envisageaient de faire à ce sujet.

Lundi dernier, trois jours après la publication de l’article du Spiegel, le LVMPD a annoncé qu'il rouvrait son enquête.

 MEDIAPART AVEC DER SPIEGEL

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