Publié le 19 Feb 2017 - 19:00
FORCE COMMUNE DE LUTTE CONTRE LES GROUPES TERRORISTES

Le Sénégal doit-il intégrer le G5 ?

 

Il y a bientôt deux semaines, cinq pays du Sahel annonçaient leur intention de matérialiser la création d’une force commune pour lutter contre les groupes djihadistes utilisant notamment le Mali, comme «base de repli». Sauf que le Sénégal, pourtant concerné par cette menace, n’est ni membre du G5 Sahel encore moins partie prenante de cette force en perspective. Une donnée géopolitique assez complexe, vu le caractère transfrontalier et surtout multiforme de la menace djihadiste en Afrique.

 

Considérés comme les pays étant en première ligne de l’action militaire contre le terrorisme, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad et dans une moindre mesure la Mauritanie disent vouloir mutualiser leurs efforts dans le partage de renseignements et la coordination des capacités opérationnelles dans la région. A première vue, l’idée paraît séduisante, puisque trois pays membres du G5 Sahel, notamment le Niger, le Burkina Faso et le Mali ont la particularité de partager une zone de non-droit commune. Il s’agit de la région de Liptako-Gourma qui chevauche les frontières entre ces trois pays et qui est actuellement utilisé comme refuge par les groupes islamistes et d'autres éléments criminels qui favorisent l'instabilité et promeuvent leurs activités illégales dans tout le reste du Sahel. Et c’est là tout le problème, selon le spécialiste en intelligence militaire américain Scott Morgan que nous avons rencontré. Selon lui, une force commune du G5 Sahel, bien qu’étant une bonne chose, gagnerait à intégrer des pays comme le Sénégal, le Bénin, la Côte d’ivoire, le Nigeria, le Ghana ou encore le Togo. Cela pour des raisons de géographie et de stratégie.

Pourquoi le Sénégal doit participer à une force commune avec le G5

Selon Scott Morgan, l'extrême sud-est du Mali est un foyer où émergent, depuis quelque temps, de nouveaux groupes terroristes très actifs dans la propagande djihadiste et le recrutement de combattants. Ce qui devrait pousser, selon lui, tous les partenaires de Bamako dans la lutte, à ajuster leur regard sur la situation de la menace afin de ne pas se tromper de réponse. Une preuve donc que la menace djihadiste concerne tous les pays voisins du Mali. Le Sénégal, qui est dans ce cas de figure et dont des troupes sont présents dans le nord de ce pays voisin, est déjà bien marqué dans l’agenda des groupes djihadistes. 

Il serait, dès lors, incongru qu’il soit en marge d’une force régionale censée faire face à ce type de menace. L’exemple le plus pertinent est celui de Boko Haram dont la plupart des activités ont lieu le long de la frontière du Nigeria et dans le bassin du lac Tchad, avec des attaques qui se sont finalement répandues dans tout le Niger, jusqu'à ce qu'une force régionale ait été mise sur pied et déployée sur le terrain. Et quand on sait que l’activité djihadiste au Mali nourrit des velléités en Mauritanie, un autre pays frontalier du Sénégal, il y a plusieurs raisons de croire que les pays du G5 Sahel sortiraient renforcés de compter le Sénégal parmi eux. Lors de la cavale du terroriste mauritanien Salek Ould Cheikh, le Sénégal a joué sa partition pour le faire arrêter.

D’ailleurs la menace djihadiste au Sénégal se nomme aussi Boko Haram, comme le rappelle l’arrestation en décembre 2015 de quatre Sénégalais âgés de 20 à 30 ans, stoppés à la frontière entre le Nigeria et le Niger et qui ont combattu pour la secte. Sous les ordres  d’un compatriote dénommé Makhtar Diokhané, ils envisageaient de créer un réseau djihadiste au Sénégal. L'attentat de Grand Bassam, en Côte d'Ivoire, semblait pourtant avoir rappelé que la réponse à la menace djihadiste ne peut être que transnationale. C’est ce que semblait signifier la rencontre des ministres en charge de la Sécurité de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Burkina Faso et du Sénégal qui s’étaient réunis à Abidjan, le jeudi 24 mars 2016, afin d’échanger sur les mesures à adopter, dans le cadre de la prévention et de la lutte contre le terrorisme.

Pourquoi donc le Mali et le Burkina ont-ils fait cavaliers seuls, dans le cadre du G5 Sahel, sans le Sénégal et la Côte d’ivoire ? En tout cas, l’universitaire Bakary Samb de Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies prévient : « Il est temps de dépasser les velléités et les préjugés mutuels et de faire preuve de réalisme, car les futures stratégies de défense sous-régionales risquent de se faire sans le Sénégal si ce pays ratait encore le coche d’une telle initiative de coordination. »

Les atouts du Sénégal

Pourtant, les fondements existent pour que le Sénégal joue un rôle beaucoup plus qu’actif dans une force commune du G5 Sahel, même si certains pays de cette entité semblent ne pas trop le vouloir pour des raisons beaucoup moins objectives. Au niveau institutionnel, il existe des convergences de vues entre le G5 Sahel, qui est un cadre de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité, et le Sénégal organisateur du Forum Paix et Sécurité en Afrique devenu un cadre annuel de réflexion pour une vision partagée des menaces sur le continent. Et comme le Niger, un autre pays membre du G5 Sahel, le Sénégal entretient des liens de coopération et d’assistance militaire forts avec la France et les Etats-Unis. Fort de ces accords de défense avec ces deux pays, le Sénégal abrite souvent de grands exercices militaires, comme l'exercice militaire annuel Flintlock, organisé par les Etats-Unis en Afrique.

Et comme les effectifs, ou encore le commandement, ni le mode de fonctionnement de la "force conjointe du G5 Sahel" n’ont jusqu’ici été précisés, les chances existent pour une meilleure collaboration entre le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad, la Mauritanie et le Sénégal sans oublier les autres pays concernés par la menace terroriste en Afrique au sud du Sahara.

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