Publié le 10 Oct 2020 - 19:40
FRANCE - MÉDIAS

Comment Mediapro est en train de mettre le foot français en danger

 

Alors que Jaume Roures, le président de Mediapro, a annoncé jeudi que son groupe ne réglerait pas la seconde tranche de paiement des droits TV de la Ligue 1, c'est tout l'écosystème économique du football français qui tangue. Un scénario catastrophe malheureusement prévisible, où la LFP ne peut aussi pas se dédouaner de ses responsabilités.

 

C'était donc trop beau pour être vrai. À l'été 2018, Mediapro avait évincé Canal + de la course aux droits TV du foot français sur la période 2021-2024, après avoir signé avec la LFP un contrat record de 780 millions d'euros. Certains oiseaux de mauvais augure ne s'étaient alors pas gênés pour asséner quelques sombres vérités. Notamment Maxime Saada, le président de Canal +, qui avait fait part de ses doutes, au micro d'Europe 1 : « À ce prix-là, c'était complètement déraisonnable. C'était impossible pour nous de miser de telles sommes et je pense que c'était impossible pour un quelconque acteur de le faire... »

Un peu plus de deux ans plus tard, l'avertissement a déjà valeur de prédiction. Jaume Roures, le président du groupe audiovisuel espagnol, qui a lancé le 17 août la chaîne Téléfoot, veut renégocier son pacte signé avec la LFP. Le second versement des droits TV de la Ligue 1, de 172 millions d'euros et prévu pour le 5 octobre, n'a lui pas été effectué. « On veut renégocier le prix, expliquait Roures dans les colonnes de L'Équipe. On a demandé à établir un calendrier pour mener à terme cette négociation. Nous voulons rediscuter le contrat de cette saison. Elle est très affectée par la Covid-19, tout le monde le sait, car tout le monde souffre. » Voilà qui met d'un coup le football hexagonal face à une impasse, que beaucoup de spécialistes avaient pourtant vu venir.

Renégocier, c’est pas gagné

À commencer par l'ancien directeur des programmes de Canal+ Belgique Pierre Maes, auteur de l'ouvrage, Le Business des droits TV du foot. « Ce n'était pas non plus complètement inattendu, oui. Par exemple, je n'avais jamais vu autant de couverture médiatique, quand Mediapro a payé la première échéance des droits TV, début août. On a quasiment célébré quelque chose qui passe normalement complètement inaperçu. C'est révélateur du stress que ce contrat générait, quant au paiement des échéances à venir. Là, la menace s'est matérialisée avec le non-paiement de cette deuxième tranche. » Reste encore à déterminer en quoi pourrait consister la suite du programme. La Ligue pourrait-elle accepter de renégocier le contrat préalablement signé avec la firme espagnole? « Je pense qu'il faudra déjà voir s'il y a des négociations effectives, poursuit Pierre Maes. Je ne suis pas du tout sûr que la LFP soit prête à ça, son communiqué ne va pas dans ce sens en tout cas. » Jeudi 8 octobre, la Ligue s'était en effet contentée d’annoncer qu’elle avait « signifié par courrier qu’elle refusait d’accorder un délai de paiement à Mediapro et avait désormais pour priorité d’être en capacité d’assurer le paiement aux clubs de l’échéance en date du 17 octobre 2020. »

Un timing évidemment chimérique, même si la possibilité d'une future renégociation du contrat n'est peut-être pas totalement délirante. « Un très bon exemple de renégociation des droits TV, qui a sûrement inspiré la sortie de Jaume Roures, c'est le contrat que DAZN (le premier acteur de l'industrie numérique dans la diffusion sportive, N.D.L.R.) a fait modifier auprès de la J-league, réévalué en raison des risques financiers imposés par la Covid pointe Maes. Schématiquement, DAZN va verser un montant moins important à la ligue japonaise, mais cette dernière va percevoir un intéressement sur les profits que l'entreprise engendrera. En gros, plus DAZN aura d'abonnés sur le territoire concerné, plus la J-League percevra de revenus additionnels. » Concrètement, l'accord restructuré verra la J-League recevoir un montant de droits TV réduit de 2,1 milliards de dollars sur douze ans à 1,97 milliard de dollars sur dix ans, auquel s'ajoute un modèle d'intéressement aux bénéfices.

« Si Mediapro ne payait pas, on se retournerait vers son actionnaire »

Néanmoins, comme le pointe L'Équipe dans son édition d'aujourd'hui, il convient de souligner qu'opter pour une renégociation du montant des droits TV avec Mediapro pourrait aussi exposer la LFP a des problèmes d'ordre juridiques : « Si la LFP accepte de revoir à la baisse les montants promis par le diffuseur sino-espagnol, les "perdants" de la consultation ne manqueront sans doute pas de contester devant les tribunaux un "petit arrangement" qui serait conclu dans leur dos » , écrit le quotidien sportif. Si la LFP rejette dès lors toute idée de négocier (ou que lesdites négociations échouent), elle devra alors probablement s'en référer à l'actionnaire majoritaire de Mediapro. À savoir Orient Hontai capital, un fonds d’investissement filial d’Orient Securities, une société de gestion chinoise dont la surface financière reste somme toute assez floue.

Suffisamment, en tout cas, pour que la Lega Serie A refuse à Mediapro, qui n'avait pas pu présenter de garanties bancaires solides, l’acquisition des droits du championnat italien sur la période 2018-2021. Mediapro n'a pas non plus présenté de garanties bancaires à la Ligue lors de la signature du dernier contrat sur les droits TV de la Ligue 1. Mais cette dernière avait choisi de faire confiance au groupe audiovisuel, en obtenant une « garantie solidaire de l’actionnaire de référence de Mediapro » à en croire l’ancien directeur général exécutif de la LFP, Didier Quillot.

« Ce n’est pas une garantie bancaire... Nous avons une caution solidaire de l’actionnaire de référence de Mediapro. Il y a un contrat. Si jamais Mediapro ne payait pas, on se retournerait vers son actionnaire. » Et si ce dernier ne pouvait pas rapidement payer l'addition ? « Ce serait assez catastrophique pour le foot français, estime Pierre Maes. On peut imaginer que la LFP devra faire un nouvel appel d'offres auprès des diffuseurs. » En attendant qu'un nouveau contrat soit éventuellement signé, les clubs pourraient être privés de tout versement. À moins que la Ligue, qui a semblé édifiante d'imprudence comme de naïveté dans cette affaire, ait quelques vieilles ficelles à tirer, pour rattraper un tant soit peu le coup : « On peut quand même se demander si, à la Ligue, ce n'est pas un scénario qui n'a pas déjà été envisagé, ajoute Maes. Beaucoup de personnes avaient prédit un dénouement de ce type, on peut imaginer que les décideurs ont travaillé à un plan B. » Une issue de secours peut être nommée Canal +, s’il s'avère que la LFP n'arrive décidément pas à recouvrer l'argent qui lui est dû. Une somme qui, tant qu'elle n'aura pas été assurée et versée, met assurément le football français en danger.

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