Publié le 9 Aug 2014 - 19:26
FRAUDE A L’EDUCATION NATIONALE

Un mal bien ancré

 

Le vase était déjà plein. La fraude découverte et sanctionnée par le ministre de l’Education nationale est seulement la goutte de trop. Qui déborde au point de faire brusquement tilt dans la conscience collective déjà inquiète de son système éducatif. Celui-ci, tel un cancer, s’est vu ronger de l’intérieur par certains de ses éléments prédateurs qui avaient fini d’en faire leur fonds de commerce.

 

C’est depuis une vingtaine d’années que le phénomène a commencé à être constaté. L’instauration du corps des volontaires de l’éducation a charrié dans son sillage certaines pratiques à fausser l’esprit du système. A vrai dire, la bonne sélection des éléments censés guider les pas des enfants du Sénégal ne semblait plus être la préoccupation majeure. Sous le prétexte qu’il faut trouver du travail, beaucoup d’enseignants ont dû ‘’acheter’’ leur recrutement.

A Louga, il y a des noms et des visages, d’inspecteurs, d’agents de l’Inspection ou d’enseignants intermédiaires, qui étaient déjà identifiés parmi les acteurs de la chaîne de complicités. Il y en a même que l’on retrouve aujourd’hui dans les nouvelles équipes du Conseil municipal et du Conseil départemental de Louga.  C’est dire que le fait était comme banalisé à un moment donné. Mais, le comble, c’est quand cela vire à l’escroquerie. Comme illustré par le cas de l’enseignante M.Mb, la trentaine bien sonnée. Avant de se faire recruter comme telle, il y a une dizaine d’années, elle avait dû faire les frais d’un agent véreux de l’IA à l’époque, maintenant parti à la retraite. Celui-ci avait encaissé ses 300 000 francs, sans jamais lui trouver une place. Aujourd’hui encore, c’est avec amertume qu’elle évoque le sujet.

Louga, vieux laboratoire ?

Dans le dernier scandale qui défraie encore la chronique, il n y’a alors rien d’étonnant que le cerveau de l’opération soit de la contrée lougatoise, comme révélé par notre confrère du Populaire du jeudi 7 août. En attendant que ce délinquant d’un autre acabit soit clairement démasqué, des dégâts collatéraux ne manquent pas. ‘’Il y a même des gens qui avaient versé un acompte de 200 000 FCFA  sur les 400 000.

Certains ont été recalés, et ils ont réclamé leur argent’’, renseigne Samba Fall, directeur d’école et coordonnateur régional de l’Organisation des instituteurs du Sénégal (Ois), qui a Hamidou Bâ comme secrétaire général. A l’en croire, il n’y a rien de nouveau sous le ciel : ‘’ En fait, ça a toujours existé depuis le quota sécuritaire avec le corps des volontaires. Le quota sécuritaire et le recrutement parallèle, on les a toujours dénoncés.

C’est maintenant que les gens du ministère ont eu peut-être le courage d’aller jusqu’au bout’’. En amont de cette découverte ‘’ macabre ‘’ sur le système éducatif, il y’a le constat fait par des directeurs de Centres régionaux de formation pédagogique que certains élèves-maîtres ne s’approchaient même pas du niveau. ‘’ Ils ont fait des rapports de carence qui sont arrivés au niveau du ministère. Et celui-ci a décidé de faire des enquêtes et mener des poursuites ‘’, renseigne Samba Fall. Qui regrette le retard observé par le ministère pour n’avoir pas exploité à temps ces rapports. Si les 690 élèves-maîtres exclus étaient déjà en formation après être déclarés réussis à l’examen, la solution aujourd’hui préconisée est leur remplacement par ceux qui étaient sur la liste d’attente.

Ce qui n’est pas sans heurter le syndicaliste et directeur d’école. Qui se demande comment ces derniers ont fait pour être sur cette liste. ‘’La solution était vraiment d’annuler cet examen entaché d’irrégularités, de fraude. C’est à quelle échelle ? Personne  ne le sait. Il fallait annuler et reprendre tout, situer les responsabilités et sanctionner. Est-ce qu’on ne pouvait pas les laisser terminer la formation et faire un examen de sortie ? Si ça se passe très bien, tous ceux qui n’ont pas le niveau vont couler’’.  Pour lui encore, ‘’ l’Etat a failli pour n’avoir pas associé les syndicats dans l’organisation de ces concours en amont comme en aval. Avant, cela se faisait. Mais, à un moment donné,  tout le processus a été centré entre les mains de  l’administration. »

Le C.A.P aussi s’achète

 Le directeur d’école, dans la foulée de sa désolation, ne manque pas de renseigner sur un autre désastre concernant encore les enseignants de l’élémentaire. ‘’Au niveau de l’examen du Certificat d’aptitude pédagogique (C.A.P) de cette année, des gens ont réussi sans même faire l’examen.  Et je l’ai signalé au bon moment. Le Certificat d’aptitude professionnelle, c’est du sérieux. Malheureusement, là encore, il y a des gens qui achètent le parchemin’’, déplore encore Samba Fall. Non sans relever la part de certains inspecteurs dans cette vaste chaîne de fraude. 

‘’ Au niveau de certains centres, il y a un bureau parallèle où les inspecteurs traitent les sujets. En connivence avec les chefs de centres, ils vont soutirer les copies de certains candidats qu’ils vont remplacer moyennant de l’argent’’. Et comme si la palette des coups portés à l’école était élastique,  ‘’ Il y a aussi des enseignants qui donnent de l’argent au niveau de la direction des examens et concours du ministère pour réussir au C.A.P.  Les gens donnent 300 000 ou 500 000 FCFA pour décrocher ce diplôme’’, révèle t-il.

La solution, selon Samba Fall, serait de démanteler tous ces réseaux pour l’intérêt de l’école. ‘’Il faut aller jusqu’au bout, mettre en prison les gens qui ont commis de telles fautes, et à tous les niveaux, laisser aussi la justice suivre son cours. Après l’affaire du recrutement à l’école Mariama Bâ, et les faux ordres de service d’il y a deux ou trois ans, je crois qu’il est temps d’assainir le  ministère de l’Education nationale’’, pense-le syndicaliste et directeur d’école. Qui relève aussi qu’‘’ au moment où on parle du PAQUET (Programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence), les trois piliers de celui-ci ont été malmenés par cette fraude regrettable.’’

Pour ce soldat de l’école parmi les plus distingués sur le front lougatois, ‘’ la crédibilité d’un système éducatif se mesure à la qualité de ses enseignants et leur recrutement fait dans l’équité et la transparence. S’il n y’a pas cela, c’est un système à genoux. Pour assassiner un peuple, il faut négliger son système éducatif, comme disait l’autre.’’

Moustapha SECK (LOUGA)

 

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