Publié le 13 Apr 2012 - 09:30
GACIRAH DIAGNE, DANSEUSE PROFESSIONNELLE

''Ce que la danse attend de Youssou Ndour...''

 

Gacirah Diagne n’a pas la notoriété qui sied à son talent, mais n’est pas inconnue dans le monde de la danse. Chorégraphe et promotrice culturelle, elle dirige l’association ''Kaay Fecc'' (''vient danser'' en wolof) qui organise un festival du même nom devenu une date dans l’agenda culturel sénégalais. Sénégalo-somalienne, Gacirah a immigré aux États-Unis en 1990 où elle suit une formation à l’école Alvin Ailey et City College de New-York, après des études en Europe. L'artiste intègre ensuite, comme danseuse professionnelle, la ''Compagnie de danse américaine'' puis le ''Urban bush woman''. Dans cet entretien avec EnQuête, elle parle de son association, de son art et de ce qu'elle espère de son nouveau ministre de tutelle, Youssou Ndour.

 

Voudriez-vous nous présenter l’association Kaay Fecc ?

 

C’est une association qui a été fondée en 2001 par quatre professionnels de la danse qui sont Jean Tamba, Honoré Mendy, Ganti Towo et Mariane Niox. C’est une association qui a pour mission la professionnalisation des acteurs de la danse et la promotion de la création chorégraphique. On a un programme qui tourne autour de certains points : il y a la diffusion, la visibilité, la formation, l’équipement, car on essaie de voir comment devenir autonome par rapport à l’infrastructure. Il y a aussi l’accompagnement des acteurs de la danse.

 

 

Quel bilan tirez-vous de cette décennie d’existence de l'association ?

 

Oui, ça fait dix ans qu’on existe et même un peu plus. On a pu organiser six éditions du festival du même nom (Ndlr : Kaay Fecc). On a organisé sept éditions du battle national, une édition du festival pour enfants qui s’appelle ''Kaay fecc xale''. On a aussi co-organisé, avec la structure Africulturban, le ''Over nation bboy'', c'est une compétition sous-régionale de danse hip-hop ; on en est à la quatrième édition cette année. On a organisé des formations à l’intention des acteurs de la danse, ainsi que des séances d'échanges. On a fait pas mal de choses, en regardant en arrière. Mais comme on regarde toujours devant, finalement, on ne fait qu’accrocher les choses ici. Comme vous voyez, là, (elle montre un mur décoré avec des flyers de différents événements auxquels a participé son association ou que celle-ci a organisés). Et cela nous encourage à avancer. A ce stade, on a pu réunir toute sorte de public, on a mille à deux mille personnes qui viennent assister aux événements. On a pu aussi faire un brassage d’artistes puisqu’on a eu des artistes venus de divers horizons, de tous les continents. On est engagés dans un travail de fond. On a quand même réussi à changer la mentalité ou les mentalités autour de la danse, la perception de la danse. On a toujours essayé de faire des choses de manière professionnelle, sérieuse. On essaie aussi de présenter des choses de qualité. On est sur un chemin, on avance. Il y a des difficultés et des résultats, mais tout ça fait partie du tout. On se dit qu’on est sur le chemin. On a de plus en plus le soutien des médias. On avait du mal à avoir les journalistes au départ. Le but, c’est de vraiment s’ancrer dans l’environnement, que nos actions fassent aujourd’hui partie de gens et qu’ils se l’approprient. C’est comme ça qu’on va vivre et survivre.

 

 

Et quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face ?

 

Les moyens, c’est toujours les moyens qui font défaut. Sur le plan artistique, ça se passe toujours bien. Sur le plan de l’organisation aussi, on a une très bonne équipe qui s’est améliorée avec le temps. Mais je pense que le problème essentiel, ce sont les moyens. Pour y remédier, je pense qu’on doit avoir un soutien au niveau local. On peut espérer un soutien au niveau international, mais il s'agit aussi de créer des ressources propres. La danse n’étant pas un secteur facile, qui n’a pas encore un public capable de payer pour les prestations, notamment pour les danses contemporaines, hip-hop et même traditionnelles, on est obligé d’organiser des manifestations gratuites. On a pu faire payer une fois ou deux et le montant était minime. Donc, on ne peut vraiment pas faire de recettes avec cela et faire face aux charges. Les difficultés, c’est aussi comment formaliser l’association, comment salarier l’équipe tout en sachant qu’on est une association, ce n’est pas une entreprise. Il faut peut-être qu’on évolue vers le format entreprise justement avec les difficultés que cela peut engendrer. En tant qu’association, il faut un minimum pour qu’on puisse sécuriser certaines choses et ne pas avoir à recommencer à zéro à chaque fois. On organise ce festival depuis six ans. La manifestation a une certaine reconnaissance, car même au fin fond de Kaolack, dans un marché, on parle de Kaay Fecc. C’est bon signe pour nous. On se dit que maintenant, on a créé une attente et il faut à chaque fois la dépasser. On est obligé de faire mieux à chaque fois. Au bout d’un moment, il faut mettre une équipe d’organisation qui soit là et qui soit sécurisée. Ce n’est plus viable. On le dit depuis quelque temps, on commence à se décourager, à s’essouffler, etc. Mais on va vraiment le faire finalement, arrêter Kaay Fecc s’il le faut. Et que chacun aille de son côté et essayer de gagner sa vie. Mais là, pour l’instant, on n’arrive pas encore à gagner notre vie avec ce qu'on fait. Les danseurs qu'on engage, on est capable de leur donner un cachet, mais on aimerait pouvoir leur donner ce qu’ils méritent. On a droit à une certaine reconnaissance du côté matériel. Pour le côté artistique, à nous de montrer qui nous sommes.

 

 

La septième édition du battle national vient d’être bouclée. Quel bilan en tirez-vous ?

 

Cela s’est bien passé en général. On a pu avoir une soixantaine de bboys. Je pense qu’ils étaient tous très heureux de se retrouver à Dakar pour faire la compétition. Malheureusement, il a fallu tout réduire, on n'a fait qu’une seule journée. Ils sont arrivés la veille, ont fait la compétition et sont rentrés le lendemain alors que, normalement, c’est au moins trois jours pour avoir le temps de faire un atelier de danse avec eux, etc. Encore une fois, ce sont les moyens qui ont manqué. On a fait des pieds et des mains pour avoir les moyens nécessaires pour pouvoir faire le battle. A un moment, il faut avoir le cash dans la main pour faire ce qu’il faut. On est en attente des subventions. On remercie les partenaires. Mais il va falloir rembourser les emprunts qu’on a faits.

 

 

Pourquoi, à votre avis, le mécénat culturel et le sponsoring ne marche dans votre secteur ?

 

Pour la danse en général, c’est une question de perception d’abord. Ensuite, on n’est pas encore perçus comme porteurs de croissance ou de développement. C’est pour cela que j’aime dire : ''La danse, vecteur de développement.'' je parle aussi bien de développement social que de développement économique. C’est cette perception économique de ce qu’on le fait qui n’est pas encore comprise, du fait notamment qu'on est dans un pays où les réalités sont difficiles. On se dit peut-être qu’il y a d’autres priorités. On pense qu’on fait du bon travail. Maintenant, c’est à nous de changer la façon dont on est perçus. Quant aux sponsors, ils sont là pour faire du profit. On ne peut pas leur demander de faire du social. Et nous malheureusement, nous sommes encore dans ce créneau.

 

 

Vous êtes une danseuse professionnelle internationale, comment appréciez-vous le secteur local ?

 

On a de grands artistes, il y a beaucoup de potentiels. Il faut juste qu’on s’unisse et qu’on fasse front à toutes ces difficultés, qu’on vienne vers les médias et qu’on prenne notre place. Qu’on s’impose d’une certaine manière.

 

 

D'aucuns pensent que la danse est l’un des secteurs les plus informels de la culture...

 

Oui, mais tout ça est à corriger. Si les gens sont mis dans de bonnes conditions, tout va se rectifier. Il faut bien commencer quelque part. Il faut aussi que notre ministère s’implique et qu’il aide à réguler tout ça. On est acteur, on est sur le terrain, on ne peut pas être partout à la fois. Il y a des lois qui doivent être votées et qui attendent depuis des années. Il faut chercher à faciliter les choses. De notre côté, on s’organise. J’ai l’impression que les mentalités sont en train de changer.

 

 

Justement, un acteur culturel, Youssou Ndour en l'occurrence, vient d’être nommé ministre de la Culture et du Tourisme. Qu'attendez-vous de lui, en tant que danseuse ?

 

Le financement d’abord, c’est un point essentiel. On a beau avoir toutes les idées du monde, si on n’a pas de quoi les mettre en place, c’est zéro. On doit avoir un système de financement qui est clair et régulé, qu’on sache qui fait quoi. On en a vraiment besoin, surtout pour les acteurs qui ont déjà prouvé qu’ils sont sérieux et professionnels et qui ont une durée d’existence assez conséquente, mais aussi pour tous ceux qui aspirent à être des promoteurs culturels. Viennent ensuite les infrastructures ; c’est vrai qu’on a de nouvelles infrastructures, mais c’est par rapport au contenu et à l’équipement aussi. Il nous faut des espaces pour la répétition et la création. Il y a aussi l’aspect social pour tout ce qui est pension et retraite. Cela dit, je souhaite bon courage à Youssou Ndour, parce qu’il y a beaucoup à faire. Ce n’est pas facile. On se dit qu’il est artiste et businessman, peut-être qu’il y arrivera. On va le laisser faire ses preuves de toute façon. On ne peut pas spéculer sur ce qui n’a pas été fait.

 

BIGUÉ BOB

 

Section: