Publié le 13 Jul 2019 - 23:36
GAMBIE

Les réfugiés casamançais réclament leur ‘’sénégalité’’

 

Ils sont un peu plus de 5 000, voire 6 000 réfugiés casamançais qui vivent éparpillés dans 86 villages gambiens, loin, très loin des regards de leurs compatriotes. Malgré les efforts relatifs à leur prise en charge consentis par les autorités gambiennes et le Hcr, ces populations sont tourmentées par ce désir ardent de retourner, un jour, au bercail. Le Grpc est allé à leur rencontre.

 

‘’Le Sénégal ne pense pas à nous. Les autorités sénégalaises pensent que nous ne sommes pas des réfugiés. Elles estiment que nous vivons simplement en Gambie’’, déclare froidement Moussa Coly, le président de Refugies Soforal Association. La structure regroupe les réfugiés casamançais vivant en Gambie. Ceux-ci, pourtant, ne rêvent que d’une chose : retourner dans leurs villages respectifs et ne plus se retrouver, comme ils l’ont vécu, pris en tenailles entre les forces de défense et de sécurité et Atika, la branche armée du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc), mais aussi sous la hantise des mines.

La vie de ces nombreux compatriotes a basculé, un jour du mois d’août 2006, dans sa deuxième quinzaine, après que les communautés catholiques du département de Bignona ont passé l’Assomption de Marie (15 août).  On était en pleine traque de Salif Sadio menée (entre avril-mai-juin 2006) par César Atoute Badiate et feu Magne Diémé, deux chefs combattants d’Atika, appuyés par l’armée bissau-guinéenne, sous les ordres du général Tagma-Nawé, avec l’’’onction’’ du président Abdoulaye Wade. Il s’agissait d’une grande opération de sécurisation des personnes et des biens et  de restauration de la souveraineté nationale dans le Nord-Sindian et Diouloulou. Elle avait permis le démantèlement de certaines bases, notamment la ‘’forteresse’’ de Tambaff, à l’époque siège de l’Etat-major du chef de guerre Salif Sadio et d’autres sanctuaires rebelles qui, comme des champignons, ont fini de repousser. Ce ratissage avait également permis la destruction de dizaines d’hectares de champs de chanvre indien, de dépôts et de magasins de conditionnement de cette herbe qui tue dans cette zone, jadis véritable no man’s land ou régnait une économie marginale – pas de guerre comme certains le soulignent - amplement nourrie par le trafic illicite du bois et de la drogue.

Cette opération d’envergure de l’armée avait donc occasionné un déplacement massif de populations vers les villages gambiens qui jouxtent la frontière avec le Sénégal.

 A leur arrivée en Gambie, ces nombreux réfugiés, qui ont abandonné maisons, terres, bétails et biens, ont été pris en charge par le Haut-Commissariat aux réfugiés (Hcr) et le Gambian Commission for Refugies. Un an après, ils se regroupèrent autour du Refugies Soforal Association. Eparpillés dans 86 villages et estimés à 8 000 au départ, selon nos informations, ces derniers vivent depuis un dilemme quotidien, loin des regards des autorités sénégalaises qui ne se sont ‘’jamais souciées’’ d’eux. Ils sont aujourd’hui un peu plus de 4 000 réfugiés officiellement recensés et à qui le Hcr et les autorités gambiennes tentent, vaille que vaille, de redonner le sourire.  

‘’La rumeur a circulé selon laquelle une fois identifiés, ils seront rapatriés dans leurs localités respectives. Certains d’entre eux ont préféré ne pas se soumettre à l’exercice d’identification qui leur est demandé’’, informe Ansou Sagna de la Gambian Food and Nutrition.  L’accès à la terre constitue le goulot d’étranglement à partir duquel naissent tous les écueils et contraintes qui gangrènent le vécu quotidien de ces réfugiés qui n’envisagent pas, pour l’heure, de retourner dans leurs localités d’origine, à cause de la présence des forces de défense et de sécurité, des sanctuaires rebelles ainsi que des mines.

‘’Oui, nous voulons retourner chez nous, un jour, si la paix revient définitivement. Nous sommes relativement bien ici. Nos enfants vont à l’école, nous fréquentons les hôpitaux gambiens. Mais chez nous, c’est meilleur. Notre principale difficulté réside dans l’accès à la terre. Pis, depuis que nous sommes ici, nous n’avons jamais reçu la visite d’une autorité sénégalaise’’, relève Sali Sagna, originaire du village de Kadialou, dans le Nord-Sindian.

Recherche de la paix en Casamance...

 Selon Moussa Coly, le président de l’Association des réfugiés casamançais en Gambie, originaire du village de Kouram, dans la commune de Kataba et ancien élève du lycée Djignabo Bassène de Ziguinchor, outre l’accès à la terre, les réfugiés en Gambie rencontrent des difficultés liées à la scolarisation de leurs enfants, à la réalisation d’activités génératrices de revenus, même si certains ont fini de s’initier à certains métiers dont la couture, la menuiserie, la maçonnerie et la mécanique.

‘’Nous demandons des négociations sincères pour une paix définitive en Casamance. Nous voulons la paix en Casamance pour que nous puissions rentrer au bercail. La Gambie est un pays frère. Elle nous a tout donné. Nous remercions les autorités. Mais le jour où les conditions seront réunies, nous allons retourner au bercail. Il y a de cela moins de 6 mois, un réfugié, qui a décidé de rentrer au bercail, a sauté sur une mine’’, informe-t-il. 

Avec les changements à venir, ils sollicitent l’attention du chef de l’Etat. ‘’Nous avons appris la fermeture prochaine du bureau du Hcr de Banjul. Nous demandons au président Macky Sall de tout mettre en œuvre pour que le mandat du Hcr soit prolongé. Cette fermeture annoncée, quand elle sera effective, sera lourde de conséquences pour nous. Nous demandons aussi que nous puissions bénéficier de l’accompagnement social des autorités sénégalaises, la bourse familiale, notamment’’.

Le Grpc est allé à leur rencontre

Ces doléances ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd, puisque le Groupe de réflexion pour la paix en Casamance (Grpc) est allé à leur rencontre, jeudi dernier, en Gambie, dans la localité de Bulock, sur l’axe Djiboro - Kanilayes. Une visite que ces derniers ont bien appréciée. Robert Sagna, le président du Grpc, en présence de certains chefs et représentants de combattants du Mfdc, a soutenu que les personnes déplacées qui sont à l’intérieur du pays, tout comme les personnes réfugiées en dehors de nos frontières ont leur responsabilité dans la recherche de la paix en Casamance. 

‘’C’est  pour cela que nous sommes venus les rencontrer en Gambie, dans la localité de Bulock, pour les écouter, savoir leurs préoccupations et comment aussi ils peuvent participer à la recherche de la paix en Casamance. Ils ont dit que pour repartir, il faut que les causes qui ont motivé leur départ disparaissent (…) Ils ont évoqué l’existence de mines. Ils ont aussi noté le fait qu’il y a les combattants qui portent leurs armes et les militaires dans certaines zones. Par conséquent, les conditions optimales qui pourraient justifier le retour dans leurs villages respectifs ne sont pas encore tout à fait réunies’’.

Au-delà de leur retour, Robert Sagna a plaidé pour le dépôt des armes et pour une solution négociée à la crise en Casamance. ‘’Mais nous avons aussi insisté sur le fait qu’eux aussi peuvent participer à la réflexion qui nous permet de trouver les voies et moyens de sortir de cette crise. Ils sont des Sénégalais comme tout le monde. Par conséquent, nous sommes tous engagés dans cette recherche de la paix pour laquelle le président de la République consacre le maximum d’efforts’’, a-t-il ajouté.

‘’Très touchés’’ par la situation dans laquelle vivent ces réfugiés, Robert Sagna et le Grpc sont rentrés à Ziguinchor ‘’tranquilles’’, ‘’satisfaits’’ de voir que la Gambie s’occupe d’eux, en attendant la prochaine étape : la visite aux réfugiés casamançais en Guinée-Bissau.

HUBERT SAGNA (ZIGUINCHOR)

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