Publié le 10 Feb 2016 - 08:12
GAZER DES ELUS LOCAUX

Une hérésie !

 

Ça n’a pas gazé pour les maires de la ville de Dakar (Khalifa Sall), des arrondissements du Plateau (Alioune Ndoye), ou de Mermoz-Sacré-Cœur (Barthélémy Dias) à la Place de l’Indépendance en cet après-midi du mardi 2 février 2016. Ils ont plutôt essuyé des jets de grenades lacrymogènes avec leur forte émanation en gaz asphyxiant, une action signée les forces de l’ordre.

Pire, dès le lendemain, Diène Farba Sarr, ministre en charge du Renouveau urbain et du Cadre de vie, lors d’un point de presse, en a remis une couche pour charger sévèrement les maires en question.

Dans une réunion du Conseil municipal de la ville de Dakar élargie aux populations, organisée le jeudi 4 février 2016, le maire Khalifa Sall et compagnie, ont tenu à apporter la réponse du berger à la bergère et à réagir à la brutalité policière ainsi qu’aux accusations du ministre Diène Farba Sarr.

Mais, l’image saisissante de ce rassemblement, c’est quand la foule, nombreuse et totalement acquise à la cause de l’édile de la capitale sénégalaise, a entonné le refrain de la chanson qui sonne comme une mise en garde contre quiconque essaie de s’en prendre à son protégé. Une mélodie qui a fait tressaillir en son temps le régime du président Abdoulaye Wade lorsqu’il s’en était pris à un Macky Sall devenu un pestiféré après qu’il a eu à rendre tous les mandats obtenus sous la bannière du PDS, comme pour signer le divorce avec le parti de son ex-mentor et voler de ses propres ailes.

Aux sons de « Sòko làlè sò ko làlè dinà la door » (« Tu auras affaire avec-moi si tu touches à un seul de ses cheveux ») les partisans de Khalifa Sall ont chanté cet air comme l’avaient fait le mardi 27 janvier 2009 les partisans de Macky Sall qui s’étaient érigés en boucliers et en derniers remparts pour défendre l’ancien ministre, premier ministre et président de l’Assemblée nationale sous le régime du président Abdoulaye Wade avec lequel il était en froid, et qui l’avait fait convoquer à Police pour y être entendu. D’ailleurs, beaucoup d’observateurs et d’analystes s’accordent à considérer que cet avertissement et cette mobilisation spontanée adressés au régime de Wade ont constitué l’acte fondateur du pacte que Macky Sall allait nouer avec ses compatriotes et qui allait le conduire au pouvoir 3 ans après.

En entendant de nouveau la même chanson, le même cri de guerre, en faveur cette fois-ci d’un adversaire potentiel à l’élection présidentielle, et qui se trouve quasiment dans la même posture de victime du pouvoir en place, le président Macky Sall a dû ressentir des frissons, de fortes émotions et constater une montée d’adrénaline. Il a eu à vivre le même scénario. Un juste retour des choses.

Aujourd’hui, dans le cadre de la traque des biens supposés mal acquis, le régime de Macky Sall est accusé de trop médiatiser les dossiers des personnes traquées en organisant les fuites des minutes des auditions à la Division des investigations criminelles (DIC) ou de la Section des Recherches de la Gendarmerie qui se retrouvent immédiatement et systématiquement dans la presse. En réponse, le pouvoir rejette la responsabilité sur les personnes convoquées qui seraient les premiers à ameuter leurs partisans et à informer la presse de leur convocation à la Police ou à la Gendarmerie afin que leurs amis et sympathisants les raccompagnent jusqu’au seuil des locaux des enquêteurs, avec tout le boucan qui sied.

Seulement, cette « stratégie de victimisation » ou d’appel au secours ne date pas d’aujourd’hui car Macky Sall, président de l'Alliance pour la République (APR/Yakaar), en a usé et abusé à volonté, surtout l’occasion de sa convocation évoquée plus haut. On s’en rappelle encore, convoqué le mardi 27 janvier 2009, à 16 heures, par le commissariat urbain de Dakar dans une affaire de "blanchiment d’argent », l’ex-président de l’Assemblée nationale, Macky Sall, a tenu à faire un point de presse improvisé devant son domicile, et mis à profit pour faire un plaidoyer pro domo, avant de déférer à la convocation de la police. Tout au long du parcours qui mène au commissariat central, le cortège de Macky Sall a eu droit à des manifestations de sympathie de la part des populations.

À hauteur du marché Sandaga, son véhicule a même été arrêté par la foule, certaines personnes n’ayant pas hésité à monter sur le toit de sa voiture. Par la suite, des dizaines de personnes se sont massées devant le commissariat central de Dakar. Arrivé au commissariat central, Macky Sall a eu droit à un standing ovation de la part des nombreux militants et sympathisants venus le soutenir. Et il a fallu l’intervention de la police pour disperser ce beau monde. Mais auparavant, le cortège a été bloqué au rond-point par les sympathisants qui scandaient (Macky président ! Macky président ! Macky président !).

Entendu de 16h30 à 19h30 par deux enquêteurs de la sûreté urbaine du Commissariat central de Dakar, Macky Sall était visé dans une enquête sur une affaire de blanchiment d’argent dans lequel il serait impliqué, en compagnie du représentant de l’Alliance pour la République (APR) au Gabon, Abdoulaye Sally Sall. Finalement, les enquêteurs ont retiré son passeport à Macky Sall et lui ont demandé de rester à la disposition de la justice. Après son interrogatoire qui a duré quatre heures d'horloge au Commissariat central de Dakar, Macky Sall, a pu regagner son domicile. Et, ce n’est que le lundi 2 février 2009 que Macky Sall et Abdoulaye Sally Sall sont se sont vus restituer leurs passeports.

Pour en revenir à l’affaire Khalifa Sall-Diène Farba Sarr, la sagesse devrait guider le président Macky Sall à ne pas commettre les mêmes erreurs que le président Abdoulaye Wade dont la volonté de réduire à néant son ancien premier ministre avait valu à ce dernier de gagner la sympathie et de cristalliser les espoirs des Sénégalais qui abhorrent l’injustice et qui ont une affection pour les « martyrs ». Car, à trop persister dans ce qui ressemble à un acharnement sur Khalifa Sall, Macky Sall fait la publicité de ce dernier et contribue à le rendre plus populaire comme cela a été le cas avec Karim Wade. Et ce ne sont pas les rodomontades de saltimbanques de la trempe de Demba Diop Sy, des gens qui ne croient qu’au pouvoir de l’argent, qui vont l’aider à gérer une telle situation avec tact et intelligence.

Heureusement que le président Macky Sall lui rabattu le caquet par un cinglant « Mane douma tòntu kenn » (« je ne réponds à personne »). Déjà que Karim Wade, Idrissa Seck, Abdoulaye Baldé, Pape Diop, Cheikh Bamba Dièye ou Malick Gakou lui (Macky Sall) lui mènent la vie dure, lui en font voir de toutes les couleurs, ne veulent faire de lui qu’une seule bouchée et ne font donc pas mystère de leur volonté de le bouter hors du palais présidentiel. Le plus vite possible. D’où leur préférence à voter OUI au référendum pour en finir avec lui dès l’année prochaine. Maintenant que le président Macky Sall trouve les moyens de se créer un nouveau concurrent direct pour le fauteuil présidentiel, pour grossir le rang de ses adversaires politiques, cela commence à faire beaucoup. Quand bien même Khalifa Sall se trouve être un partenaire dans Benno Bokk Yaakaar car étant un membre du Parti Socialiste d’un Ousmane Tanor Dieng qui semble avoir fait acte d’allégeance pour le président de la République. Quoiqu’il en soit, le président Macky Sall ne gagne rien à multiplier les fronts ou à ouvrir de nouveaux foyers de tension. Toute l’énergie qu’il va consacrer à se dépêtrer dans le cercle de feu où il s’est enfermé aurait pu être canalisée et utilisée ailleurs, avec plus d’efficacité de surcroît.

De fait, l’Acte III de la Décentralisation a montré toutes ses limites et a valu au régime de Macky Sall de se mettre à dos la plupart des collectivités locales devenues des murs de lamentations. Le blocage par l’Etat du Sénégal de l’emprunt obligataire initié par la mairie de Dakar, les conciliabules autour des fonds de concours ou de dotation, la gestion des ordures ménagères qui a été retirée à la mairie de Dakar pour être rétrocédée à l’Unité de coordination et de gestion des déchets solides (UCG), et aujourd’hui la polémique autour de la préséance dans les travaux d’embellissement de la Place de l’Indépendance, achèvent de montrer que l’Etat a décidé de ne pas faciliter les choses à Khalifa Sall.

En brutalisant et en humiliant des élus locaux, comme cela a été le cas le mardi dernier, à la Place de l’Indépendance, le président Macky Sall sème les germes d’un conflit d’où il ne pourra se sortir, au meilleur des cas, qu’avec une victoire à la Pyrrhus. En utilisant contre des élus locaux, les forces de l’ordre fidèles au ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo, grand responsable de l’APR, le président Macky Sall vient à la rescousse d’un Diène Farba Sarr visiblement hors-jeu. D’ailleurs, ce dernier n’est en fait qu’un faire-valoir dans cette affaire. C’est tout juste un pantin manipulé pour faire dans l’agitation et dans la fanfaronnade.

En réalité, c’est Macky Sall qui, derrière, tire les ficelles. Il faut comprendre que le chef de l’Etat gère un vieux conflit. Après avoir échoué à les convaincre puis à les dissuader de transhumer à l’Apr pour conserver leurs postes de maires, le régime de Macky Sall avait donné rendez-vous à ses adversaires « têtus » pour les élections locales de juin 2014 afin d’en finir avec eux. Mais, suite à l’humiliation que le pouvoir avait subie au sortir du scrutin, quand la liste « Taxawu Ndakaru » amenée par Khalifa Sall a noyé dans la baie de Soumbédioune la liste du pouvoir avec en tête, un Mimi Touré, battue à plate couture, Macky Sall qui a encore ce revers en travers de la gorge, a voulu faire payer chèrement aux Dakarois leur choix en leur infligeant une sévère punition par le truchement de leurs élus à qui il va couper les vivres en leur ôtant les moyens de subsistance ainsi que leurs capacités de subvenir aux besoins de leurs administrés dans le but de provoquer l’ire de ces derniers.

Mais c’était ignorer la maturité et se méprendre du sens du discernement des populations, qui ont de la jugeote, savent où se trouve l’origine de leurs difficultés et sont à même d’identifier les véritables responsables de leurs problèmes. Manifestement, ce régime apporte tous les jours les preuves de son incompétence, de son irritabilité et de son allergie à la critique (limogeages des professeurs Malick Ndiaye et Amsatou Sow Sidibé). Les actes qu’il pose effacent les derniers doutes sur son manque de culture démocratique comme en atteste ce châtiment qu’il veut administrer aux électeurs de Dakar à travers leurs élus qui ont été gazés et chassés de la Place de l’Indépendance comme des malpropres. Comme quoi la souveraineté du peuple sénégalais peut être remise en cause quand cela ne cadre pas avec les intérêts de l’Apr. (…).

Les autorités de l’Etat central, parce que conscientes que « qui trop embrasse, mal étreint » ont besoin des autorités décentralisées pour davantage d’efficacité au plan local, ont tout à gagner à accompagner et à soutenir ces dernières et non à leur mettre des bâtons dans les roues, ou à leur chercher la petite bête, si tant est que leur mission d’être au service de l’intérêt général en dehors de toute contingence politique leur est chevillée au corps. Toute posture contraire, qui utilise des méthodes que la morale réprouve, dans le seul but d’affaiblir un élu, fut-il d’un autre parti, revient à tomber dans l’hérésie et à signer son arrêt de mort politique.

Pape SAMB

papeaasamb@gmail.com

 

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