Publié le 24 Jul 2017 - 20:12
GENERAL IDRISSA FALL SUR LE RETOUR DU PRA AU GOUVERNEMENT ET LES EVENEMENTS DE DECEMBRE 1962

‘’Ma part de vérité…’’

 

Comme une énigme qui refuse de livrer tous ses dessous, des événements historiques survenus au Sénégal et dont les Sénégalais ne connaissent pas toujours toute la vérité, le ralliement du PRA au gouvernement et les Evènements de décembre 1962 tardent à livrer leurs secrets. Jusqu’à ce qu’un des acteurs décide de témoigner. Le Président Amadou Makhtar Mbow est de ceux-là. Des témoignages qui en provoquent d’autres qui se veulent plutôt des rectificatifs et des éclairages.
 
Et c’est parmi ceux-là qu’il convient de classer celui du Général Idrissa Fall, ancien Aide de camp du Président Senghor, ancien Chef d’Etat-Major de l’Armée sénégalaise… Que dit-il de ces événements ? D’où lui est venu ce besoin de parler lui aussi ? Explications…
 
Général Idrissa FALL : Je lisais, il y a peu, l’interview du Président Amadou Makhtar Mbow au groupe Sud Communication dans laquelle sont évoqués des événements fondamentaux de notre République et au centre desquels j’étais pour la plupart.
 
Retour du PRA (Parti du regroupement africain) au gouvernement
 
Le Président Mbow a, sans doute par modestie, occulté son action qui a été déterminante dans ces retrouvailles.
 
J’étais pour la seconde fois Aide de camp du Président de la République quand, peu de temps après le coup d’Etat du 24 Février 1966 au Ghana, Bassirou Cissé du PRA me transmit un message de Monsieur Mbow qui voulait me rencontrer ; ce dont je rendis compte immédiatement au Président Senghor.
Je fus reçu au « rond-point Mamadou Dia » face à la Mairie de Grand-Dakar, domicile de mon hôte, qui m’expliqua l’attitude des caciques de l’UPS qui, ne voulant pas du PRA, faisaient du sabotage en fermant les portes d’accès à Senghor, d’où l’idée de passer par son aide de camp.
 
Les partis politiques, me dit-il, doivent se regrouper et travailler dans la concorde. L’opposition a des cadres très valables qui, intégrés dans le gouvernement, pourraient participer au développement du pays évitant ainsi au Sénégal ce qui est arrivé au Ghana, un coup d’Etat militaire contre un Président Kwamé Nkrumah qui semblait être porté par son peuple.
 
Et c’est après cette rencontre que le contact fut noué entre Senghor et Mbow ? 
 
Exactement, après l’entrevue discrète entre Mbow et Senghor, ce dernier envoya, par mon intermédiaire, à Monsieur Abdoulaye Ly, Secrétaire Général du PRA, un message verbal suivi d’un message-réponse (toujours verbal) de Monsieur Ly au Président Senghor.  J’ai été chargé de deux messages de Senghor et deux de messages réponse de Ly, tous verbaux, dont je ne livrerai jamais la teneur.
 
D’autres canaux prirent le relais aboutissant ainsi au résultat que nous savons.
D’autres événements politico-militaires de très grande ampleur, le Sénégal en a connu en décembre 1962. D’aucuns parlent de tentative de coup d’Etat, d’autres soutiennent qu’il n’en a rien été. Là encore, vous avez vécu cette situation. Quel y fut votre rôle ?
 
Les événements du 17 Décembre 1962
 
J’ai été aide de camp du Président de la République du 3 Septembre 1960 au 15 Novembre 1962 et j’ai effectivement quitté mes fonctions le 17 Novembre 1962 un mois jour pour jour avant le 17 Décembre 1962 pour des raisons que je ne puis développer.
 
Tout comme l’adage « Rome ne s’est pas faite en un jour » la préparation pour contrer les adversaires ne s’est pas faite en un mois !
 
Face à la situation délétère qui commençait à prendre forme, j’ai pris de mon propre chef contact avec des camarades officiers dont Doudou Ndiaye de la 12ème compagnie, Thierno Ndiaye et Landing Bessane de passage à Dakar lesquels me donnèrent leur accord pour soutenir Senghor ; ce noyau devait s’agrandir.
Le Lieutenant Ahmet Fall, nouveau directeur de la gendarmerie, passé me voir à mon bureau, m’écouta religieusement et me dit qu’en cas de réquisition il ne pouvait exécuter que celle du gouvernement puisque dépendant du Ministre de l’Intérieur. Je lui rétorquai que la réquisition du Président étant la plus haute, il était tenu de l’exécuter en priorité. Ce à quoi il acquiesça.
 
Le Capitaine Faustin Preira à la tête du groupement Para répondit d’emblée niet : « On va te foutre à la porte de l’armée, ne te mêle pas du problème des civils ; c’est leur salade ! »
« Bien mon Capitaine ».
 
J’ai alors vu l’ancien ministre des Travaux Publics Edouard Diatta, soutien de toujours de Senghor, et qui avait une influence certaine sur le Capitaine Preira qu’il fera basculer de notre côté.
 
J’ai également fait venir à mes côtés à la Présidence deux militaires ayant servi sous mes ordres à Thiès dans l’armée française : le Sous-Lieutenant Doua Diaby Diallo, un ancien du collège d’agriculture de Louga et l’Adjudant de gendarmerie Dominique Boissy qui parlait créole portugais et pouvait en cas de nécessité communiquer avec Preira au téléphone sans risque de se faire écouter, ce dialecte étant du chinois pour les adversaires. 
 
Le Commandant Jean Alfred Diallo, alors Chef du 1er Bataillon, me convoqua à son bureau de Lat Dior : « Alors Fall, et ces civils ? Ça chauffe parait-il ? » 
« Affirmatif, mon Commandant » 
« Dites au Président Senghor que s’il a besoin de moi, je suis à sa disposition ».
 
J’étais évidemment ravi et ai foncé chez le Président Senghor qui me tança d’importance. « Je vous l’interdis ! Ne mêlez pas l’armée à ça, vous allez mettre le pays à feu et à sang»  S’ensuivit une réunion de son cabinet où il nous demanda d’arrêter toute action.
 
Désemparé, je fus réconforté par son Directeur de cabinet Lamine Diakhaté qui m’encouragea à persévérer. Il prit l’attache des amis proches du Président pour qu’il reçoive le Commandant Diallo.
Lors d’une réception au palais, la dernière avant le 17 Décembre, après un moment, le Président Senghor monta dans son bureau privé à l’étage ; le Commandant Diallo descendit aux toilettes du sous-sol où le Sous-Lieutenant Doua Diaby Diallo lui fit prendre l’ascenseur qui l’emmènera directement au Président où ils purent s’entretenir. 
 
Tout le gouvernement du Président Dia était présent à ladite réception ainsi que le Général Amadou Fall Chef d’Etat-Major. 
 
Subodorant une manœuvre, ce dernier me demande : 
« Où est le Commandant Diallo ? »  
« Mon Général, il est descendu aux toilettes » 
« Avant de venir dans une réception, à la présidence de surcroit, on vide ses tuyaux à la maison ! »
« Oui, mon Général ».
 
 Je n’en menais pas large, mais gardais mon calme en faisant la conversation au Général qui tenait mordicus à repartir avec son Commandant. Ce dernier apparu aux escaliers venant du sous-sol s’excusa auprès du Général et ils sortirent ensemble du Palais.
 
Le Général Amadou Fall a toujours été au contact des troupes de Marine que nous étions dans l’armée française et s’il y avait à choisir entre le Général Amadou Fall et le Commandant Jean Alfred Diallo que nous ne connaissions guère, la majorité aurait choisi Fall. Mais le fait que ce dernier se soit mis aux ordres du Président du Conseil l’éliminait de facto.
 
En effet, Monsieur Dia s’était mis à dos la grande partie des officiers du fait qu’il humiliait régulièrement et publiquement ses collaborateurs militaires.
 
Au niveau du Palais, il était prévu qu’en cas de pépin Philippe Senghor rejoindrait le domicile de sa cousine Madame Adèle Colin et les enfants du couple dont il était très proche.
Madame Senghor ne voulant absolument pas se séparer de son mari devait rester avec lui au Palais sous la garde des Parachutistes.
 
Nos adversaires ayant préparé des réquisitions, nous en fîmes de même et j’ai les miennes, avec mon nom écrit de la main de Senghor et signées ; j’en fis tirer d’autres avant de quitter mon poste et les remis au Président qui n’avait plus qu’à mettre le nom de mon successeur le moment venu.
J’ai évidemment vu le Khalife des Mourides.
 
En ces temps troubles, il fallait un officier sûr pour me remplacer ; le Président qui ne les connaissait pas me laissa carte blanche.
 
J’étais dans l’Armée française Lieutenant en premier d’une compagnie en Algérie où je servais à titre français dans la zone des Barbelés face à Oujda (Maroc).
 
J’y avais sous mes ordres outre les français, les sous-lieutenants Wally Faye et Léon Sankaré, un camarade soudanais. C’était une zone très dure où les cisailles des barbelés et des tentatives de franchissement en vagues étaient monnaie courante. Les réactions vigoureuses et les actions d’éclat de ma compagnie me vaudront une citation avec attribution de la Croix de la Valeur militaire avec étoile d’argent.
 
Nous recevions des renforts en cas de coups très durs qui repartaient vers leur base à la fin des opérations. C’est dans le cadre de ces renforts que j’ai rencontré le Lieutenant Amadou Belal Ly qui devint un ami.
C’est donc tout naturellement que le Commandant Moustapha Ngalandou Diouf, son Commandant de zone à Tambacounda, m’ayant fait part du désir de Ly de me remplacer à mon poste d’Aide de camp.
 
Ce que Ly me confirmera. J’en parlais au Président Senghor qui, les yeux fermés, accepta ma proposition.
 
Quelques années plus tard, le Sénégal et son pouvoir se retrouveront en pleine tourmente dénommée ‘’Evénements de 1968’’. Y avez-vous joué un rôle comme dans le retour du PRA au gouvernement ?
 
En 1968, j’étais Commandant de la zone sud à Bignona. Je n’étais donc pas à Dakar quand la délégation militaire conduite par le Général Diallo fut reçue par le Président de la République. L’aide de camp de l’époque du Président ainsi que quelques officiers membres de la délégation sont encore vivants et mieux placés pour en parler.
 
Ce que j’en sais, je le tiens du Président Senghor : lors de la seconde rencontre, la délégation militaire était revenue avec une liste de ministres avec à la tête un homme politique. Senghor aurait alors dit « Général, vous voulez faire votre coup d’Etat ? Je vous souhaite bien du plaisir… ! ».
L’homme politique en question se révélera beaucoup plus tard être un parent très proche du Général Diallo.
 
Le Général Diallo ne voulait pas de moi comme successeur, je ne l’ai cependant jamais entendu tenir des propos désobligeants à mon encontre jusqu’à ce que récemment, on le fasse parler de mon manque de « valeur militaire intrinsèque ». 
 
Mes galons d’officier, je les ai pris à pleines mains des braises des combats, ce qui me vaudra quelques années plus tard de recevoir dans la cour d’honneur de l’Ecole Militaire de Paris des mains du Général Maurin, Chef d’Etat-major des Armées, la Légion d’honneur devant le front des troupes, cérémonial exceptionnel destiné non pas au Lieutenant-colonel Idrissa Fall du Sénégal, mais à l’Officier français « chef de section calme et courageux […] ».   
 
Je rends grâce à Dieu pour la carrière qu’il m’a donnée en particulier pour les douze années passées comme Chef d’Etat-major Général des Armées de mon pays.
 
L’on me dit « l’homme de confiance » du Président Senghor, je dirais plutôt que Senghor avait confiance en moi, ce dont je m’honore.  
 
Un jour, j’étais à Verson avec ma femme et mes enfants chez le Président Senghor qui me dit : « Général, vous êtes trop modeste, il faudrait que nous écrivions nos mémoires. Vous et moi ensemble...»!
J’ai pris ma plume et prie Dieu de me donner la force de terminer mon livre.
Je suis fier de me compter parmi les premiers bâtisseurs de notre cher Sénégal, fier de transmettre à nos enfants et petits-enfants notre part de cette histoire exempte de scories.
 
                                                                           Propos recueillis par Jean Meïssa DIOP

 

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