Publié le 6 Nov 2018 - 19:40
GESTION DE L’EAU

Les non-dits d’une guerre sans concession

 

La bataille de l’affermage est loin de livrer tous ses secrets. Au-delà de l’appel d’offres couronné par le choix de Suez, des sources lèvent un coin du voile sur la géographie du capital de la future société de gestion de l’eau. Elles démontrent que, derrière l’agitation des uns et des autres, se cachent le contrôle des 25 % qui seront réservés aux acteurs privés nationaux.

 

Les grands bandits, c’est toujours au moment du partage du butin qu’ils se disputent. Cette ‘’sagesse’’ d’un ancien Premier ministre du Sénégal est à méditer, en ce contexte où le débat public est pollué par l’ambiance du second affermage dans la gestion de l’eau. Un butin largement disputé par des personnes haut placées, en train de faire des pieds et des mains, qui pour rester dans le business, qui pour y entrer en vue de goûter aux délices du lac de Guiers (principale source d’eau potable du Sénégal). Le lièvre a été soulevé par des sources généralement bien informées. ‘’L’essentiel, indique un interlocuteur, est que les intérêts du Sénégal soient préservés. C’est cela le véritable combat. Que ça soit Sde, Suez ou Veolia qui l’emporte, cela importe peu. Nous demandons juste à nos gouvernants de jouer la transparence pour que nous puissions véritablement savoir si, dans ce dossier, l’Etat a agi dans le sens des intérêts de notre pays’’.

Jusque-là, les autorités se sont limitées à des communications laconiques qui ne renseignent nullement ou très peu sur les véritables raisons qui ont conduit au choix de Suez au détriment des autres. En tout cas, la guerre de l’opinion fait rage. Et chacun prêche pour sa propre chapelle. Une erreur à éviter, cependant, c’est de croire qu’il y a, d’une part, une équipe franco-sénégalaise (Sde), d’autre part, une équipe purement française (Suez). Le doyen Momar Seyni Ndiaye, s’indignant de l’attribution du marché à Suez, disait : ‘’Cette entreprise de droit sénégalais (Sde) qui avait fait l’offre la moins disante, a été délestée au profit d’une entreprise française. La Sde, qui est essentiellement composée d’entrepreneurs sénégalais à 43 %, est écartée illégalement d’un marché qui devait normalement lui revenir…’’ Jouant sur la fibre patriotique, il ajoutait : ‘’Qu’est-ce qu’il y a dans le capital de la Sde : 50 % appartiennent à Eranove (entreprise française, Ndlr), les 43 % appartiennent à Mansour Kama, Ablaye Bouna Fall, feu Alioune Sow de Cse, feu Yoro Fall et Félix Sanchez. Pourquoi on les a préférés à une entreprise totalement française… ? Donc moi, je considère que cette décision est un véritable scandale.’’

L’équation des 25 % réservés au privé national

Cet argumentaire est vite balayé par nos sources bien au fait du dossier. Elles invoquent, pour étayer leurs propos, le dossier d’appel d’offres. Suez, qui a gagné le marché, va devoir, comme Eranove en son temps, créer une société d’exploitation de droit sénégalais régie par les dispositions de l’Ohada, ayant son siège social au Sénégal pour l’exécution du contrat.

Autrement dit, une ‘’nouvelle Sde’’ dont le nom reste à déterminer et qui réunira aussi bien des Sénégalais que des Français. Mieux, renseignent nos interlocuteurs, la part réservée aux nationaux, dont l’Etat dans l’actionnariat de la future gestionnaire, sera même plus importante que sous l’ancienne formule. Dans les détails, il faut retenir que si les termes du dossier d’appel d’offres sont respectés, l’Etat verra ses actions passer de 5 à 25 %. En ce qui concerne les travailleurs de l’entreprise, leur portefeuille sera maintenu à 5 %. Les grands perdants, dans le dossier d’appel d’offres, c’est le privé national dont les parts (32 % dans l’ancien contrat) sont ramenées à 25 %. Quant à Suez, elle n’aura droit qu’à 45 % des actions, beaucoup moins que sa sœur Eranove qui détenait en réalité 57,83 % dans le capital de la Sde.

Pour comprendre certaines agitations, renseignent nos sources, il faut justement réserver une attention particulière aux 25 % du privé national. Quels seront les Sénégalais ayant le privilège d’être dans le capital de la nouvelle gestionnaire ? Dans quelles conditions ils vont être choisis ? Ce sont là, au-delà des questions de transparence dans l’attribution du contrat, qui interpellent certaines franges de la société civile. Des lobbies sont déjà activés. Et le moins que l’on puisse dire, si l’on en croit nos sources, c’est que les hommes d’affaires ne se feront aucun cadeau. En ligne de mire, une affaire de gros sous.

Le forum civil réclame un appel public à l’épargne

Ainsi, après la bataille franco-française, semble se profiler une autre guerre ; cette fois sénégalo-sénégalaise, pour le contrôle du jackpot de 25 % des actions dans le capital de la nouvelle entreprise. Des habitudes bien sénégalaises veulent qu’un régime qui arrive place ses hommes dans presque tous les business à milliards. Telle une maladie héréditaire, ce problème dépasse le régime actuel et semble avoir de beaux jours devant lui.

Nos interlocuteurs brandissent une étude de l’Agence française de développement (Afd) qui ne mettait pas de gants, accusant directement le régime de Diouf qui, en 1996, avait proposé cinq des Sénégalais qui devaient figurer dans l’actionnariat de la Sde. Comme l’a souligné le journaliste Momar Seyni Ndiaye, il y avait Mansour Kama (6,83 %), Yoro Fall (5 %), Ablaye Bouna Fall (1,67 %), Aliou Sow (5,17 %) et Félix Sanchez (10 %). Parmi les personnalités sénégalaises qui risquent de voir leurs intérêts sacrifiés, il y a également Lamine Niang qui détient 3,5 % à la Sde.

En attendant d’y voir plus clair, les questionnements se multiplient jour après jour. Interpellé sur la question, le coordonnateur du Forum civil, Birahim Seck, demande à l’Etat de lancer un appel public à l’épargne pour permettre à tous les Sénégalais le souhaitant d’être dans le capital de la future gestionnaire.

Telles sont, au-delà des piaillements et autres vociférations des perdants que sont la Sde et Veolia, les véritables préoccupations de la société civile. En ce qui concerne la défaite cuisante de la Sde, des sources indiquent que du point de vue technique, la Sénégalaise des eaux était bon dernier, suite à l’évaluation des offres techniques, avec une note cependant non éliminatoire.

Par ailleurs, il faut souligner que le dossier d’appel d’offres montre que la future société d’exploitation va avoir un capital minimum de 4 milliards de francs Cfa. Le moins que l’on puisse dire est que l’affaire est loin de livrer tous ses secrets.

MOR AMAR

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