Publié le 25 Jul 2015 - 20:12
GESTION DE L’EAU A TOUBA

Parfum de scandale à Mahu Rahmati

 

Une plainte contre Serigne Cheikh Aliou Mbacké, président du Comité Initiative Eau de Touba, communément appelé ‘’Mahu Rahmati’’, est déposée auprès du Tribunal régional de Diourbel. Le chef religieux, en charge de la gestion de l’eau dans la capitale du mouridisme, est accusé par la société américaine dénommée ‘’BSL Water Solution SA’’ de détournement d’objectif, et de vente illégale d’eau à Touba. Dirigée au Sénégal par Amary Guèye, ladite société  réclame au marabout sept milliards F CFA de dommages et intérêts. Documents à l’appui, EnQuête revient sur le processus qui a conduit la société américaine à porter plainte pour réclamer une telle somme d’argent au président de ‘’Mahu Rahmati’’, Cheikh Aliou Mbacké.

 

‘’Depuis 2 ans, on court derrière notre argent.  J’ai déposé une plainte contre le président de Mahu Rahmati, au parquet de Diourbel, depuis le 14 juillet 2015, sous le numéro 2109 ‘’, informe d’emblée Amary Guèye, Dg de Bsl Water Solution au Sénégal. Ce dernier d’ajouter qu’il a saisi, la veille (Ndrl le 13 juillet), l’Agent Judiciaire de l’Etat par lettre parce que ‘’c’est un projet que l’Etat nous avait confié en tant qu’entreprise’’. ‘’Cheikh Aliou Mbacké n'avait aucune autorité à s'approprier ces machines. Et en attendant que la justice se prononce, nous demandons l'arrêt immédiat de l'exploitation de l’eau.

Réclamons, également, l'état des lieux des équipements, leur restitution et enfin l'audit sur la commercialisation de l'eau provenant de ces unités’’, informe M. Guèye. Qui compte  demander aussi la réparation du préjudice causé. Des dommages et intérêts qu’il évalue  à 2 milliards de francs CFA. Et pour cause, ‘’la capacité de l'unité que Cheikh Aliou Mbacké a mise en route étant de 1200 m3 par jour, l'exploitation ayant duré jusqu'ici plus de deux années, considérant que le m3 est vendu à 10 000 francs, nous estimons sans erreur aucune que le sieur Aliou Mbacké et ses complices ont récolté au bas mot une somme  de 8 milliards de F CFA. Ce qui constitue pour nous un enrichissement illicite sur le dos de la ville de Touba et au détriment de l’entreprise BSL Water ‘’, a tenu à préciser Amary Guèye, directeur des opérations de la société BSL Water.

 GENESE DU PROJET

Le projet était, au départ, une volonté de l’ex-président de la République, Me Wade, de pourvoir aux populations de Touba de l’eau potable. Dans le document que  le plaignant nous a fait parvenir, il est mentionné que tout a démarré en 2010 au moment où la société ‘’BSL Water Solution SA’’ est venue au Sénégal sur invitation du président Abdoulaye Wade. ‘’L’objectif de cette invitation est qu’on avait beaucoup de projets pour le Sénégal’’, explique Amary Guèye responsable de ladite société au Sénégal. Les uns étaient destinés à la capitale, Dakar, qui selon lui devait abriter une usine de dessalement. ‘’Mais le projet le plus important était la purification des forages de Touba’’, a-t-il tenu à préciser. Ce projet, soutient monsieur Guèye, intéressait au plus haut niveau le président Wade ‘’parce qu’il entrait dans le cadre de son programme de modernisation des villes religieuses’’.

En effet,  avec le projet ‘’Touba ville moderne’’,  le président Wade voulait d’emblée régler le problème de l’eau et de l’assainissement de la capitale du Mouridisme. Et il avait confié ce projet à la société américaine BSL Water Solution SA. Toujours à en croire les explications de M. Guèye, dès leur arrivée sur place, les responsables de la société ont pris langue avec les autorités de Touba, notamment avec le khalife général des mourides, Serigne Sidy Mactar Mbacké, et les services hydrauliques de la ville. ‘’On leur avait fait des propositions. Et on était très avancé sur ces questions’’, confie-t-il. A l’époque, poursuit-il, ‘’on avait trouvé 19 forages à Touba et on avait fait des prélèvements’’.

 Ces prélèvements sur l’eau, révèle-t-il, ont été  envoyés  à l’institut Pasteur. Toujours selon le plaignant, lors de son audience avec le président Wade, il a attiré son attention sur les résultats de cette étude et les dangers que cette eau, qui est loin de répondre aux normes de l’OMS, représentaient pour les populations de Touba. Car, explique-t-il dans le document, ‘’le taux de fluor et de calcium est trop élevé et par conséquent l’eau est impropre à la consommation(…) ‘’ Mais ces propositions n’ont malheureusement pas abouti. ‘’Et le projet tomba à l’eau’’, se désole M. Guèye. Mais parallèlement, précise-t-il, le président Wade avait acheté deux unités d’Osmose d’une capacité chacune de 200 m3/heure, qu’il voulait installer à Touba dans deux sites différents pour, au moins, démarrer la purification de l’eau de Touba et permettre à la population d’accéder gratuitement à l’eau potable. Il a été précisé également dans le document que c’est le gouvernement qui a acheté les unités qui devaient les installer à sa charge. Et selon M. Guèye, la seule charge supplémentaire devrait être l’électricité devant faire marcher les usines. Et, déclare-t-il, ‘’le gouvernement était prêt à endosser les frais d’électricité’’.

 Installation d’une unité de purification de l’eau

Cette eau était donc destinée gratuitement à la population. En attendant de régler définitivement le problème de l’eau de Touba, on ne devait pas vendre cette eau. C’est ainsi qu’est né le projet  entre la société BSL Water Solution du Sénégal sise en Californie et représenté par Amary Guèye, Directeur des opérations en Afrique ;  et l’Etat du Sénégal, par le ministère de l’Hydraulique représenté par le Directeur de l’Hydraulique et de la Maintenance de l’époque M. Babou Sarr. Le document en notre possession indique que le marché a été conclu le 26 novembre 2010  et avait pour objet exclusif la fourniture et l’installation à Touba d’une unité de purification de l’eau d’une capacité de 2400 m3/jour pour un montant de 643 millions.

‘’Nous avons fourni les équipements en mars 2011, assuré leur transport à Touba’’, affirme M. Guèye. Mais, relève-t-il, il fallait attendre les instructions de la Direction de l’Exploitation et de la Maintenance pour procéder à l’installation et à la mise en route. Les populations devaient ensuite venir puiser gratuitement de l’eau dans trois forages que le khalife avait lui-même choisis. ‘’Entre-temps, un tiraillement sur le choix du lieu d’implantation est intervenu entre Cheikh Aliou Mbacké et le directeur de l’exploitation Babou Sarr’’. Ce dernier, précise notre source, ‘’avait avancé des arguments techniques s’opposant à l’implantation des unités au forage de l’université Baye Lahad, situé au quartier Madyana’’. Mais c’était sans compter avec la détermination de Cheikh Aliou Mbacké, président de ‘’Mahu Rahmati’’.

Pénurie d’eau à Touba Madyana.

Le rapport indique que M. Babou Sarr, qui est ingénieur de l’hydraulique, avait soutenu qu’implanter le forage à  Madiyana équivaudrait à priver les populations de Madyana, Dianatoul Mahwa  et environs d’eau en quantité. ‘’Mais Cheikh Aliou s’est entêté ‘’, souligne-ton dans un document dont EnQuête détient une copie. Selon toujours le document en question, le président de Mahu Rahmati était de connivence avec un fils du Khalife, Cheikh Bara Maty Lèye qui a par ailleurs appelé M. Guèye pour lui dire d’implanter le matériel en suivant les instructions de Cheikh Aliou Mbacké, président de Mahu Rahmati, responsable de la gestion de l’eau à Touba. Ce qui signifie, selon M. Guèye, que ces gens ont remis en cause le Ndiguel du khalife général des Mourides, en implantant contre toutes les normes techniques le matériel de BSL Water Solutions SA sans qu’on soit informé(…).

L’explication  fournie par le Directeur des Opérations de la société BSL Water Solution SA est d’autant plus valable car, selon M. Sarr, la capacité de ses machines est égale au débit du forage. ‘’Si les machines fonctionnent, le forage sera incapable de fournir de l’eau à la  population’’, avait-il déclaré. Ce qui a, par conséquent, expliqué les pénuries d’eau récurrentes ces  trois dernières années, de certains quartiers dépendant directement  du forage de l’Université Baye Lahad.  ‘’Le président de Mahu Rahmati est le responsable direct des pénuries d’eau notées pendant et après le magal dans ces quartiers. On l’impute à l’Etat, mais c’est le fait d’une seule personne qui  se trouve être Cheikh Aliou Mbacke’’, accuse M. Guèye. Il faut que les populations de Touba le sachent.

Ce n’est ni un manque de volonté politique de l’Etat, encore moins la faute à la mairie de Touba, mais c’est uniquement du fait de l’installation de ces deux unités d’Osmose dans ce forage que Cheikh Aliou Mbacké exploite au grand dam de la population qui en payent les pots cassés (...)  ‘’Pire, les machines qui devraient être installés sur trois sites différents sont concentrées dans un seul lieu par le chef religieux’’, renchérit le directeur de BSL Water Solution SA dans son document. Donc techniquement, Babou Sarr avait raison de dire que l’installation de ces unités sur ce site est quasiment impossible. Entre-temps, l’alternance est survenue, Me Wade a quitté le pouvoir. ‘’Comme les unités étaient déjà sur place, Cheikh Aliou et ses complices ont pris la lourde responsabilité de prendre nos machines à notre insu pour les installer au niveau du forage Université Baye Lahad’’, s’indigne Amary Guèye. 

Détournements d’objectifs et de biens matériels

 Très en colère contre le président de la structure Mahu Rahmati, le Dg de BSL Water Solution poursuit ses accusations sans porter de gangs. ‘’Un jour Babou Sarr m’a appelé par téléphone pour m’informer de l’installation des unités par Cheikh Aliou Mbacké. Une  grande fête avait été organisée sur les lieux avec comme invité  Serigne Mountakha Mbacké Bassirou, en présence de Serigne Bassirou Mbacké  Abdou Khadre qui avait représenté le khalife général, ainsi que le ministère de l’Hydraulique, dirigé à l’époque par Omar Guèye. Mieux, durant toute la cérémonie, Serigne Cheikh Aliou Mbacké n’a aucunement mentionné la provenance de ces unités.   Et je pense que si le khalife savait que l’eau douce qu’il vend aux populations, à raison de 10 000 F CFA le m3, est acquise de manière  illicite, il allait ordonner l’arrêt immédiat de l’exploitation’’, a soutenu M. Guèye.  De l’avis de ce dernier donc, le projet a été  détourné  de son objectif.

Il faut préciser que l’Etat du Sénégal a payé à hauteur de 90%.  Il reste à recouvrer les 10% restants. Et pour ce faire, M. Guèye affirme qu’il est allé, dans un premier temps, voir Babou Sarr qui lui a, dit-il, opposé un niet catégorique, en lui notifiant que le payer, c’est cautionner ce que  fait actuellement Cheikh Aliou Mbacké. Ce qui selon lui est contraire aux normes. A noter que les 10% devraient être payés après réception et selon M. Guèye, sa société n’a jamais installé, encore moins réceptionné les unités qu’on avait juste positionnées là-bas. Le nouveau régime (celui de Macky Sall), ne sachant pas les tenants et les aboutissants, nous a clairement signifié à la société BSL WATER Solution SA, qu’il n’entendait pas payer ce reliquat.

A noter que  toutes nos tentatives d’entrer en contact téléphonique avec  Cheikh Aliou Mbacké, président de Mahu Rahmati, pour recueillir sa version des faits, ont été vaines. Nos colonnes lui sont encore grandement ouvertes, pour s’expliquer.

Abdou Fatah Gaye (Touba)

 

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