Publié le 16 Mar 2017 - 10:26
GORA YALLY (MIGRANT DE LA FILIERE SUD AMERICAINE)

‘‘C’est un parcours suicidaire’’

 

Traverser plus de dix frontières de pays de l’Amérique du Sud. Ce n’est pas le rallye auto-moto Dakar délocalisé en Amérique latine, mais bien le parcours de candidats sénégalais pour l’eldorado étasunien. Ils ont emprunté cette filière périlleuse pour ‘‘une vie meilleure’’. Refoulé des USA depuis le 9 février 2017, Gora Yally, pikinois de 42 ans et bijoutier, a traversé ces rites de passages de cette aventure. Dans cet entretien avec EnQuête, il  raconte l’enfer qui était supposé être un paradis.

 

Quand avez-vous foulé le sol  américain (USA) ?

Le 2 juillet 2016 vers 17 heures. C’était un samedi

D’où veniez-vous ?

Je venais d’un périple qui a commencé au Brésil et qui nous a fait traverser une dizaine de pays de l’Amérique du sud et de l’Amérique centrale. J’ai quitté le Sénégal puis j’ai rejoint l’Equateur, le Pérou avant de venir au Brésil. Pour aller aux USA, j’ai encore refait un chemin inverse Pérou-Equateur-Colombie-Panama-CostaRica-Nicaragua-Honduras-Guatemala-Mexique. Certaines frontières étaient traversées en marche, d’autres en voiture, d’autres par des zodiaques. Ce trajet nous a pris trois mois. On aurait pu faire un trajet moins long mais des fois, on manquait de guides pour nous orienter, des fois les routes étaient impraticables. A la frontière entre le Nicaragua et Costa Rica, on a passé des nuits entières sous des remorques de camions. Un mois et 18 jours au total. Quand je quittais le Brésil, en avril 2016,  on était cinq.

Mais puisque c’était une filière très empruntée, certains venaient s’adjoindre au groupe au fur et  à mesure qu’on traversait les frontières. Il y avait des Haïtiens, des Congolais, des Ghanéens. De tous ces ressortissants de pays pauvres, les Sénégalais étaient de loin minoritaires. Heureusement, mon groupe initial est entré sur le territoire américain. Je n’ai pas eu connaissance de mort d’un Sénégalais, c’est très probable, mais je n’en ai pas entendu parler. De toute façon, rien n’est à exclure dans ce parcours.

Avant qu’on ait atteint la Californie, j’avais compté une soixantaine de compatriotes. Ils étaient originaires de Touba, Gossas, Vélingara, Koungheul etc. Ils venaient de l’intérieur du pays. De rares migrants disaient qu’ils venaient de Dakar. J’ai parlé à un ami au Brésil de mon désir d’aller aux Etats-Unis. Il m’a fait savoir qu’il connaissait un groupe de quatre autres Sénégalais qui se préparaient à y aller et a décidé de me mettre en rapport avec eux. Mais il m’a bien averti que c’était un chemin ‘‘peligroso’’ (Ndlr : dangereux), qu’il fallait y aller à plusieurs car plus vous êtes nombreux, moins vous serez exposés aux périls.

Combien payiez-vous pour le passage ?

La paie n’était pas aussi chère mais ce sont plutôt les attaques à répétition qui nous ont fatigués. Les passeurs étaient de mèche avec les agresseurs.  Ils étaient armés de fusils et de coupe-coupe. Nous nous sommes perdus de vue entre Sénégalais car après certaines étapes (Mexique, Honduras) certains ont préféré attendre un envoi d’argent tandis que d’autres ont poursuivi le chemin. Les agressions dans la jungle étaient l’œuvre des passeurs qui téléphonaient à leurs  groupes pour indiquer votre position. Ils arrivaient armés et criaient ‘‘Abajo !’’ ‘‘Abajo !’’ (Ndlr : à terre ! à terre !). Ils prenaient leur temps puisque c’est en pleine cambrousse. Ils nous mettaient à poil pour s’assurer que nous ne cachions nulle part de l’argent.

Quel a été le point de passage le plus difficile ?

Le Panama. C’est là-bas qu’il y avait les plus grands risques. On y évoluait dans une forêt tropicale tellement dense. Je me rappelle qu’il a plu à verse pendant presque deux heures sans que nous ne soyons trempés. Les arbres sont tellement enchevêtrés qu’ils forment comme une sorte de voûte. En plus, c’était un relief très montagneux. Avec le recul, je pense que tout ceci était à éviter.

Comment ?

Les autorités doivent créer les conditions d’un épanouissement économique. Je regrette d’avoir pris ce chemin. Peut-être qu’en y allant, je ne disposais pas des bonnes informations. On nous dit que c’est un chemin pour les vrais hommes, qu’on y arrivera de toute façon. C’est vrai, on est arrivé à bon port, mais c’est un parcours suicidaire. S’il y a morsure de serpent ou piqûre de scorpion,  c’est la mort assurée. Les fractures, n’en parlons pas puisque personne ne va s’arrêter pour les soins. Par moments, même nos vêtements devenaient trop lourds.

Que mangiez-vous ?

Des fois, on se ravitaillait dès qu’on arrivait dans une localité. D’autres fois, c’étaient des escales de deux à trois jours pour se revigorer carrément. On achetait tout ce que nous permettaient nos deniers. Il y avait de la nourriture de bonne et de moins bonne qualité. On mangeait beaucoup de riz blanc et du poulet. Il y avait aussi des haricots, des biscuits ; et dans la forêt, on cueillait mangues, noix de coco et tous ces fruits qu’on pouvait trouver.

On a l’impression qu’il n’y avait pas de services d’ordre ou d’immigration dans ces pays. Que faisaient-ils ?

Quand on va à l’aventure, c’est Dieu Qui s’érige en Protecteur. Ce sont des républiques, donc tous ces services existent bel et bien. Quand on arrivait dans une structure de l’Immigration, on nous délivrait un papier administratif gratuitement et on passait à la frontière suivante. Ils te gardent en repérage dans les camps de réfugiés, le temps que le papier soit validé et ils te laissent passer.

Que s’est-il passé le 2 juillet 2016, quand vous êtes arrivés à la frontière Mexique-Usa ?

Je ne sais pas comment s’appelle la localité mais je sais que c’est la Californie. La dernière localité mexicaine qu’on a franchie, c’est Tijuana. Quand on est entré, l’Immigration nous a menottés deux à deux et nous a amenés dans un poste. Nous étions huit ou neuf Sénégalais. Nous y avons trouvé d’autres compatriotes et d’autres sont venus nous y rejoindre par la suite. Déjà à l’entrée des USA, des officiers armés nous attendaient. Ils savaient qu’on était en route. Ils ont enlevé nos ceintures, bracelets et bagues et nous ont mis dans une voiture. Nous étions dans une chambre de 3 mètres carrés où vingt personnes étaient entassées. Mais l’essentiel était d’arriver aux USA et d’attendre votre tour d’audition.

Audition ?

Oui. Ils te posent des questions sur tes motivations, les problèmes qui te poussent à fuir ton pays pour résider aux USA, ton affiliation ou non à une organisation. Ils demandent même si tu as déjà détenu une arme à feu. Si tu obtiens un certain nombre de points, ils poursuivent la procédure et un beau jour, ils te laissent entrer dans le territoire ou tu paies la caution pour sortir, ou tu es redirigé vers ton pays d’origine. Pour mon dossier, la Police de l’Immigration m’a entendu et a dit qu’elle allait transmettre à qui de droit. On nous a déférés dans trois différentes prisons Otameza avant de nous amener en Arizona, puis dans le New Jersey.

C’est là qu’on a purgé le plus clair de notre détention puisque c’était là que devait avoir lieu la grande audition. Quand tu racontes ton histoire, ils te disent automatiquement s’ils vont t’expulser ou te laisser entrer aux USA. Ils m’ont entendu le 26 juillet 2016. Ils savaient que je suis sénégalais. La juge m’a posé la question de savoir si elle allait me retourner au Sénégal. Je lui ai dit qu’elle ne pouvait pas me faire ça. Elle m’a alors demandé de prendre un avocat. Une de mes parents, établie en Amérique, s’en est chargée en m’a trouvé un conseil camerounais. Quand il a pris l’affaire, on lui a signifié que mon dossier avait mis trop de temps à trouver un défendeur et que je devais retourner au pays par conséquent.

Au bout de six mois de détention, ils auraient dû nous libérer avec un papier, mais ils nous ont gardés sept mois puis huit. Un jour, je suis allé m’acheter quelque chose à la boutique, j’ai vu que mon nom était effacé du système quand j’ai tapé sur l’ordinateur. Je me suis dit que c’était bon signe, qu’ils allaient me laisser libre dans le territoire américain, mais c’était l’inverse. Ils allaient m’expulser. Je n’ai vu personne, je n’ai parlé à aucun membre de l’ambassade ou du consulat sénégalais. Ils nous ont juste dit qu’on était des criminels qui devaient être expulsés et nous l’avons été.

Jusque-là, vous croyiez toujours en un séjour chez l’oncle Sam. Mais tout a basculé en février n’est-ce pas ?

Oui. Le 7 février 2017,  on est venu taper à ma porte. Ils m’ont interpellé par mon nom et m’ont demandé de plier bagages. Je leur ai demandé où est-ce qu’on allait, mais on ne m’a pas répondu. On m’a enchaîné moyennement. Quand on est arrivé dans une autre direction de l’immigration à New York, j’y ai trouvé un autre Sénégalais, Fallou Sourang. Je lui ai demandé ce qu’il faisait là, il m’a dit qu’il allait être expulsé. Je croyais toujours qu’on allait m’accorder la résidence, puisque j’avais été détenu avec un compatriote qui a fait vingt mois et qui a finalement été autorisé de séjour sur le territoire américain. Ils sont venus quelques instants plus tard nous menotter  les pieds, les hanches et les mains, et ont toujours refusé de nous dire où nous allions. Dans la voiture, j’ai reconnu un des gardiens de l’ICE qui m’a dit que nous allions être expulsés vers le Sénégal. Je me suis senti complètement seul, abandonné par les autorités et le  consulat sénégalais.

Il n’y avait aucune proposition pour un vol commercial ou  un vol charter. Mais nous sommes plus chanceux que les autres, car nous sommes venus à bord de Royal Air Maroc. Quand on  nous a fait  descendre du bus pour le terminal de l’aéroport, c’était digne d’une scène de tabaski. Tous les passagers nous regardaient avec nos menottes et nos sacs en mains comme si on était des Martiens. Si tu traînais un peu les pieds, ils te bousculaient alors que tout le monde avait son appareil portable en main. Je suis sûr que ces images ont fait le tour du net. De toute façon, on n’avait pas le choix. Je suis interdit d’entrée aux USA pour 5 ans. A la frontière, tu signes un papier comme quoi tu ne seras plus admis aux Etats-Unis pour un quinquennat si le séjour ne t’est pas accordé. Quelqu’un m’a dit que c’est cinq ans si tu signes et 20 si tu refuses de signer.

Combien avez-vous perdu dans cette aventure ?

Environ 9 000 dollars (5 640 750 F CFA). Ce n’était pas que du cash puisqu’il y avait des biens matériels, un bracelet en or de valeur, des montres que je revendais, des lunettes ; des bagues, des colliers, des téléphones etc. j’ai tout perdu dans cette aventure. Aux USA, je n’ai pas eu le temps de ramasser quelque chose, puisque j’y ai été détenu durant les huit mois que je suis resté.

Toute cette énergie dans le voyage et cette somme dépensée n’auraient-elles pas mieux été utilisées à bon escient pour démarrer une affaire ici ?

L’appétit vient en mangeant. Qu’on se le dise ! Economiquement, le Sénégal, c’est presque des cimetières (sic). ‘’Dëkk bi dafa meti’’ (La vie est dure) Tout ce qu’on parvient à gagner, c’est pour la subsistance, alors que ce n’est pas mon objectif. Je veux aider mes parents et toute ma famille. Si tes revenus n’assurent que tes propres besoins, ce n’est pas intéressant. Bon, si ça devait fonctionner ici, ça fait longtemps que c’aurait dû être le cas.

Je ne connais que l’or car je suis bijoutier. En tentant l’aventure, j’avais déjà ma boutique ici, mais ça ne décollait pas. Quand je me suis décidé à y aller, j’avais bon espoir que tout finirait bien et que je parviendrais à fructifier tout ce que j’y avais investi. J’ai échoué parce que le Consulat du Sénégal à New-York m’a regardé échouer. L’expulsion en tant que telle, je finirai par l’accepter, mais est-ce qu’elle s’est faite dans l’intérêt du Sénégal ? Si les Américains ont donné des impenses, qu’ils nous le disent. Nous n’en voulons pas, nous voulons que le Sénégal en profite et que ce ne soit pas au profit de quelques personnes qui ont fait des combines.

Etes-vous prêt à reprendre l’aventure ?

Pour le moment, ce n’est pas ma priorité. Je suis en train de mener un combat pour lequel j’appelle mes compatriotes d’ici et de la diaspora et principalement  tous les expulsés pour voir comment rentrer dans nos droits.

OUSMANE LAYE DIOP

 

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