Publié le 23 Jul 2016 - 06:31
GORGUI CISS (MAIRE DE YENNE)

‘’Le foncier est la voie la plus rapide pour s’enrichir’’

 

Le maire de Yenne n’est pas du tout emballé par les travaux de la Commission nationale de la réforme foncière (Cnrf) dirigée par le professeur Moustapha Sourang. ‘’Les gens ne s’entendront sur rien parce que les enjeux liés au foncier sont énormes’’, justifie Gorgui Ciss. Accroché la semaine dernière à Rufisque, en marge des préparatifs du 14ème Conseil interministériel délocalisé dans leur département, l’édile socialiste de Yenne a revisité ses réalisations à la tête de sa commune, mais aussi les maux auxquels il fait face.

 

Très souvent, la question foncière est agitée à Rufisque. Avec le recul, quel regard portez-vous sur ce phénomène au niveau de votre département?

Nous avons tous des problèmes relatifs au foncier. Et il est vrai qu’à Yenne, on entend de moins en moins cette question. Je me dis qu’à Yenne, chaque terre a un propriétaire. A partir du moment où elles appartiennent à des familles, il faut impérativement faire en sorte que l’initiative de les céder vienne de ces familles, et non de la commune. Par exemple, quand nous développons un lotissement pour l’extension des villages gagnés par la mairie, nous discutons avec les populations pour choisir une assiette. Mais dans le processus, nous demandons à chaque village de mettre sur pied une commission de lotissement du village. Ladite commission accompagne la commune dans le cadre de la transparence et la gestion participative de ces terres.

Après le bornage, nous choisissons avec cette commission d’aller faire la distribution provisoire au niveau du village. En un mot, les commissions nous permettent de gérer les problèmes qui, à notre avis, sont inévitables. Pour les autres terres qui n’ont pas fait l’objet de lotissement, nous n’intervenons que quand la famille nous sollicite. Maintenant, le problème qui se pose, c’est qu’à chaque fois que nous avons des projets qui demandent de la terre, nous avons des difficultés. Parce que la loi nous donne l’entière liberté d’affecter et de désaffecter les terres du domaine national. Et c’est là où nous avons des problèmes parfois avec les gens. On ne fait des lotissements que sur la demande des populations pour l’extension des villages. Maintenant, s’il y a des familles qui décident de céder leurs terres, on est obligé de les accompagner. Parce que si on ferme les yeux, on fait des irrégularités. J’ai des milliers de dossiers des gens qui ont cédé leurs terres.

Globalement, quel commentaire faites-vous sur la problématique foncière au Sénégal ?

De mon point de vue, le foncier, d’après la petite expérience que j’ai, c’est notre principal problème. Les populations sont arrivées à un niveau tel qu’elles pensent que pour avoir de l’argent, il faut impérativement passer par le foncier. Autrement dit, la voie la plus rapide pour s’enrichir, c’est de disposer de l’assiette foncière. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle les gens ne sont plus raisonnables. Et on voit du tout. De manière particulière, dans le département de Rufisque, nous connaissons une pression foncière telle qu’il est impossible de satisfaire toutes les demandes. Alors, on assiste à une surenchère. Les gens viennent avec beaucoup d’argent. Et compte tenu du déplacement du centre de gravité du Sénégal, ou de Dakar, du Plateau vers Diamniadio, et le tour de l’aéroport, la pression s’accentue. C’est un phénomène terrible qui va augmenter parce que tout le monde veut avoir de la terre dans la zone proche de Diamniadio qui accueille des projets de l’Etat avec l’aéroport Aéroport international Blaise Diagne (Aibd).

Vous soulevez des inquiétudes relatives au foncier. Les travaux de la Commission nationale de la réforme foncière (Cnrf) dirigée par le professeur Moustapha Sourang ne vous rassurent-ils pas?  

Non. Et je l’avoue sincèrement. J’ai été approché par le président de cette commission, Moustapha Sourang, qui est un ami. Ceci étant dit, les propositions relatives à leurs travaux me laissent perplexe. Et, j’ai même entendu une haute autorité dire qu’il ne sera jamais question que les terres soient immatriculées pour qu’on ait des communes. Parce que si on le fait, les maires vont les vendre. Ce qui est vrai. Pour éviter des problèmes, toutes les terres du domaine national, on a qu’à les mettre au nom de la commune. Les gens ne s’entendront sur rien parce que les enjeux liés au foncier sont énormes, c'est-à-dire l’enrichissement assez rapide. Personne ne veut perdre ce pouvoir foncier. Et dans notre commune, notre principale ressource vient du foncier et de la coopération décentralisée.

Vous êtes, depuis 2002, à la tête de la commune de Yenne. De manière globale, quels sont les projets que vous avez eu à réaliser dans le cadre de vos activités au niveau de votre localité?

D’abord, nous avions eu la chance d’être élus comme conseiller aux élections de 2002. Parce que la réforme permettait aux fonctionnaires, agents de l’Etat, d’être élus dans une communauté rurale. Et quand on arrivait, le contexte était très difficile à Yenne qui, pratiquement, manquait de tout. Toutefois, avec la volonté et l’appui des populations, nous avons commencé par la route de Yenne. Elle était  dans un état impraticable. Et la chance que nous avions, c’était qu’en ce moment-là, l’entreprise Jean Lefebvre finissait le tronçon Bargny-Diamniadio. Le directeur, qui était un ami, nous a aidés à réfectionner gratuitement la route jusqu’à Toubab Dialao. Elle s’étend sur 12 km. L’autre aspect qui me semble important, c’est l’éducation. Quand je venais à la tête de la commune, il n’y avait pas un seul élève dans le secondaire. Et Yenne ne disposait pas de collège. Alors, avec notre budget et nos relations, nous avons construit un établissement scolaire. Et quand nous avons terminé les travaux, il fallait démarrer l’année avec les deux classes : cinquième et sixième.

A l’époque, les élèves étudiaient où?

Bon, ils étaient éparpillés dans les quatre coins du département de Rufisque, et à Dakar. Après l’entrée en sixième, les élèves étaient obligés de venir à Bargny ou à Rufisque. On les confiait à un parent ou à un ami avec des conditions très difficiles. D’ailleurs, c’est ce qui faisait qu’au bout de quelques mois, ils abandonnaient l’école. Et une fois à Yenne, ils s’adonnaient à la pêche ou à l’agriculture.

Quel a été le coût global de la construction de l’établissement ?

J’avoue que ce n’était pas très exorbitant. Avec moins de cinq millions de F CFA, on pouvait faire une salle de classe. Quand on a fini de transformer l’état-civil, j’ai réalisé un bloc sanitaire, un puits couvert pour que les élèves puissent avoir de l’eau. Aujourd’hui, nous avons un cycle complet pour un collège de quatre classes. C’est comme ça que nous avons démarré. Actuellement, ce collège de proximité a produit un lycée qui a plus de 1 500 élèves à Yenne. Depuis trois ans, il est devenu un centre de baccalauréat. Et c’est une révolution salutaire parce que les enfants nés en 2004 ne connaissent que le système que nous avons mis en place.

Quel est l’état de la Santé à Yenne?

Au départ, il y avait deux postes de santé. Pratiquement, Yenne était dépourvu de tout sur une population d’environ 25 mille habitants. Et présentement, nous avons, dans le programme de l’Agence du fonds de promotion de développement social (Afd), obtenu plusieurs cases de santé dans tous les villages de Yenne. S’il y avait des urgences, il fallait les évacuer à Dakar. En 2007, nous avons pris, dans notre budget, 15 millions pour acheter une ambulance médicalisée avec le pari de faire en sorte que le malade ou sa famille ne débourse rien pour participer aux frais de carburant. Tout récemment, nous avons inauguré une maison médicale qui vient d’élever le niveau du plateau médical avec la possibilité de pouvoir faire des échographies pour les femmes, des radios pour les hommes qui souffrent de prostate, etc. Aussi, nous avons un équipement qui nous permet de faire des soins dentaires. Chaque week-end, il y a une équipe de médecins qui vient nous appuyer en attendant que l’Etat nous affecte le personnel nécessaire. Et je rappelle que nos populations allaient à Rufisque ou à Popenguine pour se faire soigner.

Le problème de l’accès à l’eau est une réalité à Yenne. Quelles appréciations faites-vous de ce constat ?

Oui, le problème de l’eau concerne l’hydraulique. J’ai toujours dit qu’à Yenne, nous avons la malchance d’être en fin du réseau par lequel nous sommes alimentés. La conduite vient de Bargny et traverse tous les établissements. Si chacun pompe, il est clair que la pression va baisser. Et nous qui sommes au bout, pour avoir de l’eau, nous sommes obligés d’attendre tard dans la nuit. Alors, pour régler ces contraintes, nous avons donc pensé à une solution locale. Et je précise que le problème est général. Mais localement, nous avons créé un forage solaire à Toubab Dialao.

Sauf que cette solution n’est pas durable…

Effectivement, elle n’est pas durable. Mais la Sénégalaise des eaux (Sde) et la Sones sont en train de nous aider. La Sde a décidé de construire dans la commune un forage suffisamment profond, atteignant la nappe. Déjà, elle a bouclé le financement. Avec les techniciens, nous avons trouvé un site qui va abriter l’infrastructure.

La pêche est le principal secteur d’activité au niveau de votre commune. Et selon des témoignages recueillis sur place, les jeunes de Yenne sont confrontés au chômage. Qu’est-ce qui explique, selon vous, une telle situation ?

Vous savez, pratiquement, la pêche emploie tous les jeunes de Yenne. Le problème, c’est de savoir s’ils en tirent quelque chose ou pas. Cette activité nourrit de moins en moins son homme. Aussi, il y a la rareté de la ressource. Pour avoir des poissons, il faut faire beaucoup de km. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle ils s’en sortent difficilement. Aujourd’hui, il y a un soulagement avec la subvention des pirogues motorisées annoncée par le Gouvernement. L’essence pirogue a également connu une baisse généralisée. A Yenne, plus de 90% de la population vivent de la pêche artisanale. De ce point de vue,  nous avons des défis à ce niveau. Nous avons un quai de pêche qui n’a pas été fonctionnel.

Au moment où je vous parle, nous avons, avec les pêcheurs qui viennent d’obtenir un agrément, transformé le site. Ce qui veut dire que le poisson traité dans le quai de pêche de Yenne peut aller directement en Europe parce que remplissant toutes les normes. A côté, il y a trois mois, nous avons signé un accord avec une entreprise sénégalaise qui prend en charge le complexe frigorifique de Yenne. Ils sont en train de démarrer les travaux. Et nous avons pensé à des solutions alternatives, notamment l’aquaculture. Pour le moment, nous sommes en pourparlers avec l’Etat, l’Association des pêcheurs qui a déjà subi une formation. Tout ceci pour essayer de solutionner les maux de ce secteur.

Dans votre localité, les femmes pratiquent-elles l’agriculture?  

Chez nous, les femmes ne font pas d’activité maraîchère. Et c’est ça notre particularité. Elles sont plutôt tournées vers la pêche, la transformation des produits halieutiques. Nous avons très peu de terres arables cultivables. Avec les aléas climatiques, les gens s’adonnent plus à la pêche qu’à l’agriculture. Personne ne s’occupe des champs laissés par les anciens. Par ailleurs, avec l’urbanisation et la pression foncière, nous constatons que les propriétaires ont pratiquement tout vendu. 

PAPE NOUHA SOUANE

 

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