Publié le 9 Jan 2013 - 09:15
GOUVERNANCE

 Le nouveau Code des marchés publics à l'épreuve de la corruption

 

Depuis plus de 2 décennies, le Sénégal, à l'instar d'autres pays de la sous-région de l'Union économique et monétaire de l'Afrique de l'ouest (Uemoa), s'est attelé à mettre en place un Code des marchés publics avec ses institutions annexes. Quid de son applicabilité ?

 

En quelques années, la réglementation de la passation des marchés publics au Sénégal a réalisé de grandes avancées. Au Code des marchés publics est venu s’ajoindre des institutions annexes, telles que l'Autorité de régulation des marchés publics (Armp) et la Direction centrale des marchés publics (Dcmp). Si l'objectif visé a été une amélioration de la transparence, de l'efficacité et de l'efficience de la dépense publique, mais aussi la multiplication des PME et le renforcement des échanges au sein de la sous-région, la résurgence de cas de corruption et de concussion dans des passations de marchés gré à gré le mettent à rude épreuve.

 

Les opérateurs adoptent tant bien que mal cette nouvelle démarche. En témoigne le nombre croissant d’appels d'offres, jusqu'à 1089 à fin novembre 2012, consultables sur le portail des marchés publics du Sénégal. Néanmoins, en dehors des créneaux réservés aux ententes directes, notamment en les articles 75 et 76 du Décret n°2011-1048 du mercredi 27 juillet 2011 portant Code des Marchés publics, faisant allusion à la sécurité intérieure, aux secrets d'Etat, ... les cas de marché de gré à gré persistent. Le marché du contrôle des appels entrants internationaux est édifiant à ce titre. Le 15 décembre 2011, ignorant les textes de lois en vigueur en la matière, ce marché a été octroyé, sans appels d'offres, à MTL Infrastructures et Services par l'Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp).

 

Ndongo Diaw, directeur général de l'Artp, et Moustapha Yacine Guèye, patron de MTL, avaient alors paraphé un contrat de 105 milliards de f CFA, étalé sur 5 ans. Un contrat faisant suite au décret 2012-301, portant approbation de la convention de concession entre l'Etat du Sénégal et MTL. Il s'agissait d'un contrat qui n'a pas été autorisé par la Direction centrale des marchés publics (Dcmp), d'autant plus qu'il a fallu attendre la réforme apportée par le décret 2012- 01 du 02 janvier 2012,modifiant l’article 3 du décret n° 2011-1048 du 27 juillet 2011 portant Code des marchés publics, pour qu'un tel marché soit hors champ d'application de ce Code. Aujourd'hui, ce dossier est en cours d'être élucidé par les autorités compétentes sénégalaises.

 

Manquements en chaine

 

Par ailleurs, rien que pour le second semestre 2012, les chiffres de la DCMP font état de 79,4 milliards de f CFA en marché gré à gré. Dans ce pactole, la Direction générale des élections (DGE), avec 3,207 milliards de f CFA de marchés passés en entente directe pour essentiellement des marchés passés aux imprimeries Sen Roto (1,124 milliard de f CFA), IPS (660 millions de f CFA), Paper Industry, Polykrome, … D'aucuns défendent que le régime actuel en place, de peur de voir des délais forclos s'est empressé de reconduire la sélection d'entreprises choisies par l'ancien régime, sans appels d'offres.

 

De son côté, Tiendella Fall, directeur général des élections, a évoqué une question de sécurité. Quid alors des autorisations préalables de la DCMP ou d'Arrêté des Forces armées ? Relativement aux travaux de l'autoroute à péage, dont le premier tronçon a été réalisé par Eiffage Sénégal, un marché de 120 milliards de f CFA pour seulement 20 km, l'octroi de la seconde phase, sans appels d'offres risque de créer un tollé au sein des opérateurs exclus d'office.

 

Ces cas, d'une liste non exhaustive, corroborés par le nombre important de saisines (755) à la DCMP, au moment où nous rédigeons ces lignes, touchent différents secteurs et branches de l'économie. Ils montrent, si besoin est, que l'accès de l'entreprise à la commande publique, la promotion de l'efficience de la dépense publique et l'amélioration des règles de transparence ont encore du chemin à faire. Les attributions arbitraires, et autres recommandations de bailleurs de fonds, sont souvent allées contre les textes de lois. Pourtant, comme le stipule les décrets 2007-245, 2007- 546, et 2007-547 du 25 avril 2007, portant respectivement l'instauration du Code des marchés publics, et l'organisation et le fonctionnement de l'ARMP et la DCMP, entrée en vigueur en 2008, on devrait s'attendre à des avancées significatives.

 

Evolution en dents de scie

 

Dans son préambule ce texte, il est stipulé que le Gouvernement du Sénégal a procédé, dès l’année 2003, à mettre en place un nouveau dispositif qui garantit la professionnalisation des acteurs, l’efficacité du contrôle à priori et à postériori, la régulation du système par l’institution d’un recours non juridictionnel. Ce dispositif est matérialisé par les décrets n° 2007-545, 2007-546 et 2007- 547 du 25 avril 2007 portant respectivement Code des marchés publics, organisation et fonctionnement de l’ARMP et création de la DCMP.

 

Entrée en vigueur en janvier 2008, le nouveau dispositif a connu des améliorations successives pour prendre en compte des préoccupations particulières relatives notamment aux marchés passés pour la défense nationale, à la prise en charge de la dimension environnementale, aux situations urgences (simple ou impérieuse). Au départ, des modifications ont été enregistrées concernant l’appel d’offres avec concours et les dispositions spécifiques aux manifestations d’intérêts.

 

Dès lors, il s’est avéré nécessaire de réunir les différents textes dans un document unique consolidé, enrichi des apports de la Commission des Nations- Unies pour le développement du commerce international et de l’expérience des partenaires techniques et financiers du Sénégal. Les textes régissant le Code des Marchés publics se sont, entre autres, inspirés de la Constitution du Sénégal, des directives n° 04/2005/CM/Uemoa et n° 05/2005/CM/Uemoa du 09 décembre 2005 portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés et délégations de service public dans l’Uemoa, de l’Acte Uniforme du 17 avril 1997 de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) portant organisation des sûretés, la loi organique n° 99-70 du 17 février 1999 sur la Cour des Comptes, des diverses lois sénégalaises portant Code des obligations civiles et commerciales, Code des obligations de l’Administration modifiée, ou relative à l’organisation et au contrôle des entreprises du secteur parapublic et au contrôle des personnes morales de droit privé bénéficiant du concours financier de la puissance publique, … Les textes sont limpides et ne laissent aucune place à une éventuelle équivoque.

 

Champ d’application

 

Dans son article premier, le Code des Marchés publics fixe les règles régissant la préparation, la passation, l’exécution et le contrôle des marchés conclus par l’Etat et ses démembrements, ainsi que par les collectivités locales, y compris leurs services déconcentrés, ... pour répondre à leurs besoins en matière de réalisation de travaux et d’achat de fournitures ou de services, ainsi que la passation et le contrôle des contrats portant participation à l’exécution d’un service public. L'article 2 précise que les marchés passés par une personne morale de droit public ou privé pour le compte d’une autorité contractante sont soumis aux règles qui s’appliquent aux marchés passés directement par ladite autorité contractante. La délégation des tâches relatives à la passation de marchés concernant la réalisation d’ouvrages ou de projets, doit être effectuée dans les conditions stipulées aux articles 31 à 34.

 

Des dérogations sont énoncées dans l'article 3. Il est stipulé que les marchés passés en application d’accords de financement ou de traités sont soumis aux dispositions du décret, sous réserve de l’application de dispositions contraires résultant des procédures prévues par lesdits accords ou traités internationaux.

 

Sauf dispositions législatives ou règlementaires contraires, la conclusion des contrats, portant participation des cocontractants des personnes publiques à l’exécution d’un service public visés à l’article 10 du Code des obligations de l’Administration, est soumise aux règles de passation et de contrôle prévues par le présent décret.

 

Les dispositions du décret ne sont pas applicables aux prestations suivantes passées par les autorités contractantes visées à l’article 2, à savoir les prestations de service concernant, les services d’arbitrage, de conciliation, d’assistance et de représentation, les services financiers relatifs à l’émission, à l’achat, à la vente et au transfert des titres ou d’autres instruments financiers, en particulier les opérations d’approvisionnement en argent ou en capital des autorités contractantes, et des services fournis par des banques centrales., … Il s'y ajoute que le service chargé du mobilier national peut faire des acquisitions aux enchères publiques sans limitation de prix et sans appliquer les procédures prévues par le Code des marchés publics. Le règlement de ces achats peut avoir lieu sur production du procès-verbal de vente de la personne habilitée à faire les ventes aux enchères. En outre, les missions diplomatiques et consulaires à l’étranger peuvent faire des acquisitions sans appliquer les procédures prévues par le Code des marchés.

 

De plus, les autorités contractantes peuvent, sans appliquer les procédures prévues par le Code des marchés pour l'achat de produits pétroliers dénommés super carburant, essence ordinaire et gasoil, destinés uniquement à l’usage des véhicules administratifs, …, des titres de transport aérien et maritime pour les besoins des missions de leurs agents, ou pour assurer l’hébergement et la restauration dans les réceptifs hôteliers existants, ou dans les structures ayant une telle vocation, des hôtes officiels de l’Etat, des collectivités locales et de leurs démembrements à l’occasion de l’organisation de sommets officiels, de séminaires ou ateliers. Notons que le décret n° 2012-01 du 2 janvier 2012 modifiant l’article 3 du décret n° 2011-1048 du 27 juillet 2011, portant Code des marchés publics, est venu apporté des modifications dans un souci d'efficacité. Il inclut les services d’arbitrage, de conciliation, d’assistance, de conseil juridique et de représentation, les services financiers relatifs au conseil financier, à l’émission, à l’achat, à la vente et au transfert des titres ou d’autres instruments financiers, en particulier les opérations d’approvisionnement en argent ou en capital des autorités contractantes, et des services fournis par des banques centrales, d'une part.

 

D'autre part, il exclu l'acquisition de combustibles destinés à l’exploitation des centrales électriques de l’Etat (fuel, diesel, etc.), les produits pétroliers dénommés super carburant, essence ordinaire et gasoil, destinés uniquement à l’usage des véhicules administratifs, et dont l’acquisition est soumise à l’application du prix en vigueur figurant au barème des produits pétroliers publié périodiquement par la Commission nationale des hydrocarbures du ministère chargé de l’énergie ainsi que les activités d’opération et de maintenance (O & M) d’installations destinées à produire de l’énergie électrique lorsqu’elles sont confiées aux fabricants des machines concernées.

 

Approbation des marchés publics

 

C'est l'article 29 du Code des marchés qui indique que l'acte d’approbation, matérialisé par la signature de l’autorité compétente à ce titre, est la formalité administrative nécessaire pour donner effet au marché. Il stipule que les marchés de l’Etat sont approuvés par le Premier ministre lorsque le montant du marché est égal ou supérieur à 500 millions f CFA, le ministre chargé des finances lorsque le montant du marché est égal ou supérieur à 100 millions f CFA mais n’atteint pas 500 millions f CFA, le ministre dépensier lorsque le montant du marché est égal ou supérieur à 50 millions f CFA mais n’atteint pas 100 millions, le gouverneur de région lorsque le montant du marché est inférieur à 50 millions, à l’exception de la région de Dakar pour laquelle l’approbation des marchés reste de la compétence du ministre dépensier.

 

Conformément aux dispositions du Code des Collectivités locales, les marchés des collectivités locales sont approuvés par le représentant de l’Etat suivant les localités et les montants des marchés. A noter que la loi, qui ne laisse pas de place à des imprécisions, clarifie que les marchés des établissements publics, agences et autres organismes sont approuvés par le Premier ministre lorsque le montant du marché est égal ou supérieur à 300 millions f CFA, le ministre chargé des finances lorsque le montant du marché est égal ou supérieur à 150 millions f CFA mais n’atteint pas 300 millions f CFA, le Président du Conseil d’administration lorsque le montant du marché est égal ou supérieur à 50 millions f CFA mais n’atteint pas 150 millions f CFA, le Directeur de l’établissement public lorsque le montant du marché est inférieur à 50 millions f CFA.

 

Dans ce même ordre d'idées, l'article 30 mentionne que les marchés des sociétés nationales et des sociétés anonymes à participation publique majoritaire sont signés par leur représentant légal, désigné conformément aux dispositions légales et statutaires qui leur sont applicables. Cependant, l'avis favorable du Conseil d’administration préalable à la signature des marchés, matérialisé par le procès verbal des délibérations, est requis lorsqu'ils sont passés par une société nationale ou une société anonyme à participation publique majoritaire créée depuis moins de 12 mois, et lorsque le représentant légal décide de retenir un candidat autre que celui proposé par la Commission des marchés.

 

Micmacs et absence de transparence

 

Les manquements dans des procédures, qui ne laissent aucune place à l’imprécision, sont légion. Dernière péripétie, au moment où nous rédigeons ces lignes, des opérateurs jouent des coudes sur le site de l’aéroport Léopold Sédar Senghor de Dakar pour contrôler des marchés estimés à plusieurs milliards de francs CFA. L’octroi par les Aéroports du Sénégal (ADS) d’un marché de 4,690 milliards de f CFA, portant sur des travaux de reconstruction des parkings- avions et taxiways des aéroports de Ziguinchor et de Cap Skiring, à la société Sotracom, a créé beaucoup de bruits. Les sociétés soumissionnaires, en l’occurrence Obkmat Arekzi et C19, qui ont été évincés, évoquent des manquements et autres manipulations peu amènes pour l’adjudication de ces marchés, scindés en deux lots respectivement de 2,560 milliards de f CFA et de 2,130 milliards. Très remontées contre Pape Mael Diop, représentant la direction générale d’ADS, ces deux entreprises ne vont pas hésiter à se défendre. Le Code des marchés publics, cadre de transparence par excellence, le leur permet.

 

Seulement aujourd’hui les contentieux se multiplient. De toutes les façons, les opérateurs, qui se sentent lésés, n’hésitent pas à intenter des recours et saisissent l’ARMP. Il n’est pas rare que le Comité de règlement des différends accepte la recevabilité du recours et suspende le marché en question.

 

Les Afriques

 

 

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