Publié le 8 Sep 2018 - 17:26
GUEGUERRE OPPOSITION-POUVOIR

Le fichier de la discorde

 

Dans la plateforme revendicative de l’opposition sénégalaise, figure en bonne place la mise à leur disposition du fichier électoral. Du côté du pouvoir, on ne parle pas le même langage.

 

Chat échaudé craignant l’eau froide, l’opposition sénégalaise continue de nourrir une obsession pour le fichier électoral. Depuis plusieurs semaines, elle ne cesse de réclamer la mise à sa disposition de cet instrument essentiel pour le bon déroulement de tout scrutin. Idrissa Diallo, proche de Khalifa Ababacar Sall, en fait son principal cheval de bataille. Il s’explique : ‘’C’est pour ne pas revivre ce qui s’était passé aux législatives. Ils (les agents du ministère de l’Intérieur) avaient refusé de mettre à notre disposition ce fichier jusqu’à la dernière minute. Et dans les bureaux de vote, il y avait beaucoup de problèmes par rapport au suivi des opérations, puisque les représentants du pouvoir et de l’Administration étaient les seuls à avoir une maitrise des listes électorales. Ce n’est pas normal.’’

Ainsi, du côté de la minorité, l’on semble de plus en plus changer de fusil d’épaule. Le combat quitte le champ perdu du parrainage pour glisser, au fur et à mesure, vers celui de la mise à disposition du nouveau fichier électoral. ‘’Légitime’’ pour certains, la requête est ‘’exagérée’’ pour d’autres. Pour Ousmane Badiane de la mouvance présidentielle, c’est tout simplement de la ‘’mauvaise foi’’. Il déplore : ‘’Nous venons de sortir d’une révision. L’article 11 du Code électoral a bien précisé que la liste des électeurs par bureau de vote doit être remise aux candidats 15 jours au moins avant les élections sur support électronique et en version papier. Donc, le ministère est toujours dans les délais.’’ Comme pour la liste des électeurs, la loi est également claire, en ce qui concerne la carte électorale, estime M. Badiane. Selon lui, la même disposition (article 11 du Code électoral) prévoit que cette carte doit être mise à la disposition des partis au plus tard 30 jours avant le scrutin. Donc, renchérit-il, ‘’il n’y a jusque-là pas de quoi fouetter un chat’’.

Du côté de l’opposition, ces arguments semblent inopérants. Les choses, argue Idrissa Diallo, ont bougé avec la nouvelle loi sur le parrainage. En plus, fait-il savoir, le délai prévu par le code est flexible. ‘’Cette loi, dit-il, a été votée dans un contexte où il n’y avait pas le parrainage. En plus, elle ne prévoit pas un délai fixe. Elle se contente de fixer un délai minimum. Rien n’interdit donc que le fichier soit mis à notre disposition dès à présent, si le régime tient à organiser des élections transparentes’’. Pour le ‘’khalifiste’’, sans le fichier, il leur sera difficile de faire le travail de collecte correctement. ‘’Nous courrons aussi des risques énormes. Par exemple, on a l’obligation de saisir 17 chiffres, sans parler des autres éléments. La marge d’erreur est très importante. D’autant plus qu’on va d’abord saisir ces informations sur une fiche avant de reprendre le même travail sur ordinateur. Si on avait le fichier, on aurait pu contrôler la saisie. En cas d’erreur, la machine nous avertit immédiatement et on aurait le temps de rectifier’’.

Cet argument, selon M. Badiane, ne tient pas la route. Le responsable à la Ligue démocratique persiste que, pour le moment, c’est impossible, d’autant plus qu’on ne sait même pas qui est candidat, alors que le fichier doit être remis aux candidats, pas à n’importe qui. ‘’Actuellement, il n’y a que des intentions de candidature’’, argumente-t-il.

Ainsi, le débat autour du fichier électoral fait rage et vient polluer davantage l’atmosphère tendue autour de la présidentielle de 2019.

Il faut rappeler qu’auparavant, le fichier électoral était même mis en ligne et accessible à tous les citoyens. Tel n’est plus le cas depuis les législatives de 2017. Un simple tour sur Google permet de retrouver des traces du fichier et de la carte électorale des élections de 2012. Mais pour les dernières législatives, il nous était impossible d’avoir des indicateurs sur la répartition de l’électorat.

Pour M. Badiane, c’est pour les besoins de la protection des données personnelles. ‘’Lors des dernières législatives, cela n’était pas sur Internet. On a arrêté de mettre le fichier en ligne, suite aux recommandations de la Commission nationale de protection des données personnelles. Mais tout cela n’a rien à voir avec le parrainage. Les opposants sont juste de mauvaise foi’’, peste le ‘’jallarbiste’’. ‘’Faux’’, rétorque le ‘’khalifiste’’ ; ‘’le parrainage, dit-il, a tout bouleversé. Actuellement, il y a incontestablement une rupture d’égalité, car seule la majorité est en possession du fichier. Les autres non. Vous pensez que c’est admissible dans une démocratie ?’’. Pis, de l’argument relatif aux données personnelles, Idrissa Diallo considère que le pouvoir est juste de mauvais aloi. ‘’Ce n’est pas valable, puisque les données sont déjà en circulation partout dans le pays. On les prend dans les villages reculés, on les transfère au niveau de la commune, puis du département, la région et au niveau national. Qu’on ne nous parle donc pas de protection. Et puis, l’Administration peut même cacher certaines informations et donner aux candidats le strict nécessaire’’.

SILENCE DE LA CENA

Ce que dit la loi électorale

Pendant que l’opposition et le pouvoir se crêpent le chignon autour du fichier électoral, la Cena, elle, s’est murée dans un silence profond.

Sur le terrain électoral, les protagonistes peinent à se mettre d’accord sur les règles du jeu. Pendant ce temps, l’arbitre, la Commission électorale nationale autonome (Cena), reste introuvable. Pourtant, la loi électorale confère à l’organisation des prérogatives très importantes pour procéder au contrôle du fichier, aussi bien en amont qu’en aval.

En effet, aux termes de l’article 11 du Code électoral, la Cena a, entre autres missions : le contrôle de tout le processus d’établissement et de gestion du fichier électoral, avec un droit d’accès à toute la documentation et aux équipements informatiques. Les services de Doudou Ndir ont également en charge la supervision et le contrôle de l’établissement et de la révision des listes électorales par la nomination d’un contrôleur auprès de toute commission ou toute structure chargée de l’inscription sur les listes électorales, ainsi que leur révision ou refonte… Ce n’est pas tout. Il incombe également à la Cena de superviser et de contrôler l’impression, la distribution et la conservation des cartes d’électeur. Mieux, elle peut même intervenir dans le processus d’appel à concurrence et de commande des cartes d’électeur. Un contrôleur, nommé par elle, est présent de droit dans toute commission ou structure chargée de fabriquer, de ventiler et de distribuer des cartes d’électeur.

Par rapport à la lancinante question de la remise du fichier aux différentes parties prenantes, la loi donne à la Cena un rôle privilégié. L’institution doit, en effet, veiller à ce que la liste des électeurs par bureau de vote soit remise, quinze jours au moins avant la date du scrutin, aux candidats et aux listes de candidats, sur support électronique et en version papier.

Tout comme la mise à disposition, le code prévoit aussi, sous le contrôle et la supervision de la Cena, la publication des listes électorales. Elle peut, le cas échéant, faire procéder aux rectifications nécessaires, contrôler le décompte des cartes d’électeur non retirées… Avant chaque reprise des opérations de distribution des cartes d’électeur non retirées, la Cena doit faire l’inventaire des cartes d’électeur et dresser un rapport circonstancié. De même, elle doit veiller à la remise de la carte électorale aux candidats et liste de candidats 30 jours, au plus tard, avant le scrutin.

L’on est, dès lors, tenté de se demander si l’organe de contrôle des élections remplit bien toutes ces fonctions. Nos tentatives d’entrer en contact avec les responsables sont restées vaines.

MOR AMAR

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