Publié le 6 Jun 2018 - 07:21
GUERRE D’INFLUENCE AUTOUR DU KHALIFE DES MOURIDES

Touba sous haute tension politique

 

Malgré sa forte diversité, Touba a toujours su préserver son unité quelles que soient les circonstances. A en croire des confidences proches de l’Establishment mouride, cette unité est sérieusement menacée de toute part par des lobbies politiciens tapis dans l’ombre.

 

La ville religieuse de Touba est-elle assise sur une poudrière ? Certains dignitaires de la cité de Cheikh Ahmadou Bamba n’ont pas tardé à tirer la sonnette d’alarme. L’histoire monte au début de l’accession de Serigne Mountakha Bassirou Mbacké au califat. Très vite, des informations distillées à travers certains organes de presse avaient tenté de faire croire que Serigne Moussa Mbacké Nawel était désigné diawrigne (Bras droit du calife). Que nenni ! Quelques jours seulement après, ces ‘’intox’’ se sont écroulées comme un château de cartes. Le khalife rendait publique sa décision de faire de Serigne Sidi Abdoul Lahad Mbacké son bras droit. C’était au mois de janvier dernier, suite au rappel à Dieu de l’ancien khalife, Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké. Par la même occasion, le nouveau khalife confortait Serigne Bassirou Abdou Khadre à son poste de porte-parole de la confrérie mouride, fonction qu’il occupe depuis 2010, sous le magistère de Serigne Bara Mbacké (6ème khalife de Serigne Touba).

Depuis cette date, une véritable guerre de positionnement semble se dessiner dans le proche entourage du khalife. Le 30 mai dernier, le bouchon a été poussé un peu trop loin, selon certaines confidences. Nos interlocuteurs estiment que Touba n’a pas à se justifier devant un quelconque homme politique. Ils regrettent la sortie de Serigne Moustapha Lakram, proche de Serigne Moussa Nawel (marabout d’Idrissa Seck et ‘’neveu’’ du khalife), quelques heures seulement après le discours du khalife prononcé par son porte-parole attitré. Le proche de Serigne Moussa Nawel disait ceci : ‘’Je parle au nom du Khalife Général des Mourides, Serigne Mountakha Mbacké. Vous avez entendu hier Serigne Bassirou Mbacké Abdou Khadre tenir un discours devant Serigne Mountakha, lui-même, et devant Serigne Moussa Bassirou Nawel en réaction à des évènements qui se sont déroulés la veille.  Je n'ai pas besoin de revenir sur ce discours dit pour et au nom du Khalife. Un discours qu'il avait  effectivement recommandé et fidèlement restitué. Ce discours a toutefois semblé créer quelques incompréhensions dans ce pays. Je suis venu juste donner les raisons qui avaient amené le Khalife Général à parler.’’ Plus loin, le porte-parole occasionnel ajoute : ‘’Cheikh Bassirou Abdou Khadre s'était juste limité à dire  qu'avant d'être mouride, il faut d'abord être un musulman. Le Khalife rappelle qu'il est le premier à devoir répondre de ce postulat. Par conséquent, c'est une responsabilité  personnelle pour chacun d'entre nous de s'engager ou non dans le Mouridisme. Ceci étant dit, jamais il n'a été dans ses intentions de viser Idrissa Seck ou un autre d'ailleurs.’’

Malgré ces précisions, la polémique enfle dans la cité religieuse. Comme si des personnes tapies dans l’ombre étaient en train d’attiser le feu. A moins d’un an de la Présidentielle de février 2019, Idrissa Seck tente vaille que vaille de gagner du terrain dans le bastion Mouride avec l’avènement de Serigne Mountakha au califat. Talibé de Serigne Moussa Nawel, il n’a jamais été aussi proche de l’establishment mouride. Mais pour autant, cela ne fait pas de lui le candidat naturel de la ville sainte, analysent nos interlocuteurs qui ajoutent que ‘’certains  dignitaires de Touba, même s’ils ne le disent pas publiquement, sont soit avec le pouvoir, soit avec Me Abdoulaye Wade et sont déterminés à faire obstacle à toute percée d’Idrissa Seck à Touba’’.

 Nos sources s’insurgent contre les velléités de manipulation qui proviennent de toutes les chapelles politiques. Selon elles, Touba est connu pour son ‘’unité’’ et le respect du ‘’ndigël’’ de l’autorité suprême.  Malgré les luttes d’influence, la voix du khalife a toujours été prépondérante, renchérissent-elles. Ces dignitaires déplorent en conséquence la guerre de positionnement entre hommes politiques transposée dans la ville sainte. Ils estiment que le khalife doit sonner la fin de la récréation en appelant tous les responsables à l’orthodoxie. ‘’Les tâches sont bien définies, chacun doit rester dans son secteur. Au cas contraire, cela pourrait déboucher sur des conséquences fâcheuses’’, alertent nos interlocuteurs.

IDY, MACKY ET WADE

La guerre de Trois

C’est un secret de Polichinelle. Le branle-bas autour du feuilleton ‘’Idrissa Seck’’ cache mal une bataille de positionnement politique. Président du Cercle des intellectuels soufis, Serigne Fallou Dieng analyse la situation. ‘’Gagner un entourage religieux, selon lui, n'est pas gagner un terrain mouride.’’

Il faut noter que du point de vue électoral, Touba fait partie des communes où il y a le plus d’électeurs. Pour beaucoup d’observateurs, c’est afin de capter cet électorat mouride qu’Idrissa Seck multiplie ces derniers temps ses visites et autres déclarations d’amour à la capitale du Mouridisme. Longtemps très loin des décideurs à Touba, il a depuis quelque temps des soutiens dans le plus proche entourage de l’actuel Khalife. S’appuyant sur ces derniers, le président du Conseil départemental de Thiès,qui était hier encore à Touba, joue son va-tout pour la Présidentielle de 2019. Un pari loin d’être gagné si l’on sait qu’il est peu probable que le khalife puisse se prononcer pour un candidat au détriment d’un autre. Il est encore moins probable qu’il se prononce en faveur d’Idrissa Seck dont la popularité à Touba reste à être prouvée. Tout le contraire de son ex-mentor Abdoulaye Wade qui, de tout temps, a bénéficié d’une grande sympathie dans la ville de Serigne Touba.

Serigne Fallou Dieng du cercle des intellectuels soufis explique : ‘’On pourrait bien s’apercevoir d’une guerre d'influence se dessiner,  sous forme d'une lutte de  positionnement et de querelles picrocholines entre un dispositif très rapproché du commandement, soutenant Idrissa Seck  et des états-majors mourides, très conservateurs,  réfractaires et nantis du pouvoir’’. Le religieux craint que cette guerre des tranchées soit envenimée davantage en cette veille de Présidentielle, que Touba devienne un ‘’champ politique’’ où va se dérouler une  âpre lutte d'influence politique, entre protagonistes.

Quant à une éventuelle percée d’Idrissa Seck, Serigne Fallou Dieng dresse un certain nombre d’obstacles. ‘’Deux facteurs pourraient bloquer la montée du leader du parti Rewmi. Primo : le fait qu’Idrissa n'ait pas pu (jusqu'ici), ni conquérir une assisse électorale mouride,  ni  fidéliser des poches ayant une représentativité à Touba. Il n’a pas su non plus provoquer une forte mobilisation des Mourides à sa cause, comme l'avait bien réussi, avec un coup de  Maître, Abdoulaye Wade, en son temps’’. Analysant les nombreux témoignages en faveur de l’ancien Premier ministre, il déclare : ‘’Cette chaleur spasmodique  et fièvre politique,   en faveur d’Idrissa, pourrait se révéler fausse  et se remettre comme  un coup de tonnerre politique dans un ciel bleu,  si le patron de Rewmi ne réussissait  pas à faire rallier à sa cause les lieutenants mourides et factotum politique de Wade  comme Madické Niang  et Samuel Sarr’’. Mais enfin, souligne l’intellectuel soufi : ‘’Gagner un entourage religieux n'est pas gagner un terrain mouride.’’

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SERIGNE MOUSSA NAWEL

L’arme fatale d’Idrissa Seck

Entre Idrissa Seck et Serigne Moussa Nawel, le compagnonnage ne date pas d’aujourd’hui. De tout temps, le petit-fils de Serigne Bassirou Mbacké a été le protecteur du leader de Rewmi.

Fils de Serigne Moustapha Bassirou Mbacké, décédé en 2007,  Serigne Moussa Nawel est aujourd’hui le plus âgé des petits-fils de Serigne Bassirou (fils de Cheikh Ahmadou Bamba). Son défunt père et l’actuel khalife sont des frères germains.

Réputé être un riche cultivateur, Serigne Moussa Nawel est également connu pour sa proximité avec Idrissa Seck qui est son disciple. Au mois de février déjà, il avait été au cœur d’une polémique à Touba. Le site Assirou.net avait rapporté ses propos qui ont diversement été interprétés dans la ville sainte. Le site d’informations générales signalait que le neveu du khalife général des Mourides conseillait au président de la République d’appeler directement Serigne Mountakha au cas où il aurait besoin de lui. Tout était parti, selon Assirou.net, d’un coup de fil du chef de l’Etat. Macky Sall demandait alors à Serigne Moussa Nawel qui serait son intermédiaire auprès du khalife. Serigne Moussa Nawel de lui préciser qu’il a le numéro personnel du khalife et vice-versa, qu’il pouvait en conséquence le joindre directement à chaque fois qu’il aurait besoin de lui.

 Certains avaient vu dans ce geste une volonté de neutraliser les trafiquants d’influence qui rôdent autour du Khalife. ‘’Le nouvel homme fort de Touba’’, comme l’avaient intronisé certains observateurs, serait, selon certaines déclarations, partisan de la neutralité du khalife général des Mourides. Mais s’empressent d’ajouter nos interlocuteurs, il ne faudrait pas s’attendre à la même neutralité de sa part. En effet, Serigne Moussa Nawel  a,  à maintes reprises, manifesté sa préférence à l’endroit de son talibé (Idrissa Seck). Ce soutien, selon certaines informations, ne date pas d’aujourd’hui. Nos sources rappellent en effet que même en 2012, le petit-fils de Serigne Bassirou Mbacké avait choisi Idrissa Seck au détriment d’Abdoulaye Wade. A l’époque, l’ancien maire de Thiès n’avait pas encore rendu publique son adhésion au Mouridisme. Ainsi donc, affirment nos interlocuteurs, Serigne Moussa Nawel a toujours été le protecteur d’Idrissa Seck dans la famille de Serigne Touba.

Mame Talla Diaw

 

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